Déposé pour la première fois en 2016, le dossier de la musique Raï sera examiné, en décembre 2022, à l’Organisation des
Nations-unies pour l’Education, les Sciences et la Culture (Unesco), en
prévision de son éventuel classement sur la liste du patrimoine immatériel de
l’humanité, a annoncé le directeur du Centre national de Recherches
préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH).
« Le dossier est en cours d’expertise par l’organe d’évaluation de
l’Unesco et ce n’est que vers septembre-octobre que nous aurons un projet de
décision qui sera soumis au Comité inter-gouvernemental pour la sauvegarde du
patrimoine culturel immatériel, en prévision de son examen lors de la prochaine
session annuelle, en décembre 2022 », a expliqué Farid Kherbouche
à l’APS.
Et de préciser que l’examen de ce dossier « aura lieu à cette date à
moins que l’Algérie ne décide de le retirer pour prioriser un autre, ce qui
n’est pas le cas », rappelant « les réserves techniques » émises
par ce Comité des experts, lors du dépôt initial du projet en 2016.
« Il y a eu ces réserves au motif qu’il fallait enrichir le dossier
par notamment des mesures de sauvegarde de ce patrimoine, ce que l’Algérie a
fait. Il faut comprendre que lorsqu’un pays classe un élément, il exprime par
cette démarche sa volonté de préserver celui-ci », explique-t-il encore.
Abordant l’origine de ce genre musical, il se montre catégorique:
« le Raï est non seulement algérien, mais plus précisément lié à l’ouest
du pays », insiste-t-il, rappelant l’environnement « rural » où
il naquit : « Et c’est vers le début du 20éme siècle que ce genre musical
s’est déplacé vers les villes, avec l’exode rural dicté par les conditions
économiques de l’époque. C’est ainsi que nous retrouvons ses auteurs, les ‘Chouyoukh’, installés dans les périphéries des centres
urbains et l’y pratiquant ».
S’agissant des tentatives d’appropriation du Raï, il fera remarquer: « Partout dans le monde, lorsqu’un label
représente une manne financière importante, des pays essayent de se
l’approprier ». Une « logique » qui expliquerait que
l’inscription du Raï n’ait pu aboutir à ce jour, soutiennent diverses parties.
Tout aussi tranchant quant à la « paternité » disputée à
l’Algérie, le directeur de l’Agence algérienne pour le Rayonnement culturel
(AARC), Abdelkader Bendaamache, affirme:
» Il n’existe aucune ambiguïté sur l’origine algérienne du Raï qui est né
dans le milieu rural de l’Ouest. N’empêche, le Maroc a, de tout temps, tenté de
se l’approprier en organisant des festivals du Raï et en y invitant des chanteurs
algériens, notamment les plus célèbres d’entre eux ».
Et de citer, parmi les précurseurs de ce style musical, nombre de voix
féminines, telles que KheiraKandil,
Fatma El-Khadem, Fatima « El-Relizania »,
Zaza « El-Maascria », CheikhaDjénia, Habiba « El Abassia »
et CheikhaRimitti,
précisant que cette illustre ambassadrice du Raï, native de Sidi-Bel-Abbès, a
connu son 1er succès en 1952, à Alger.
Cette wilaya, avec Tiaret, Relizane et
Mostaganem, constituent « le rectangle originel du Raï », poursuit-il,
faisant aussi savoir que, durant l’occupation française, les colons ont tenté
d’instrumentaliser ce genre musical pour détourner les Algériens de leurs
conditions d’opprimés.
« Car, contrairement à la Tunisie et au Maroc, gérés en protectorats,
la France a colonisé l’Algérie pour y demeurer définitivement. C’est pourquoi,
il était important pour elle d’effacer tout ce qui caractérisait l’identité, l’histoire
et la culture du peuple algérien », commente le chercheur en poésie et
littérature bédouine.
A la conquête du monde…
Si le Raï a connu une modernisation, après l’indépendance du pays, grâce
notamment aux frères Rachid et Fethi Baba ainsi que Messaoud Bellemou, son essor a été propulsé avec l’avènement, en
1985, du festival qui lui était consacré, avant qu’il ne conquiert
la scène musicale internationale, à travers des « Chebs »
et « Chebbate », notamment Cheb Khaled et
Cheb Mami, respectivement « Roi » et « Prince » du Raï,
rappelle M. Bendaamache.
Point de doute également quant à « l’Algérianité »
du Raï pour l’archéologue et historien, Abderrahmane Khelifa,
qui maintient que ce patrimoine « est né, depuis les temps les plus
anciens, dans l’Ouest algérien », citant, en sus de Cheb Khaled, Cheb Mami
et CheikhaRimitti, Cheikh Hammada, SeghirBoutaiba, Chaba Zahouania et tant
d’autres: « Autant de voix qui ont porté haut les
couleurs du Raï, très répandu en Algérie », s’est-il félicité.
Se référant aux archives de la presse nationale des années 70 et 80, le
chercheur en patrimoine immatériel, AbdelhamdiBourayou, souligne, quant à lui, que ce genre musical,
« natif de l’Ouest algérien dans la sphère bédouine », était
caractérisé à l’époque par son essence « contestataire », faisant de
lui une « expression culturelle en porte-à-faux avec le discours
officiel ».
D’où sa large présence chez la jeunesse en dehors des circuits et autres
médias officiels, tels que les fêtes de mariage et les espaces de loisirs
(bars, discothèques), ajoute l’enseignant-universitaire qui tient, par la même
occasion, à rendre un hommage appuyé à son confrère, Hadj Miliani,
décédé en juillet dernier, pour ses travaux de recherche qui constituent
« une référence » en la matière.
Et de considérer que c’est « durant les dernières
décennies que le Raï est passé de l’autre côté de la frontière ouest, à la
faveur notamment de son développement au sein de la communauté maghrébine
établie à l’étranger et de l’intérêt que cette musique a suscité dans les
milieux des affaires », faisant observer que les Maghrébins évoluent,
souvent, dans les mêmes espaces en Europe et partagent des habitudes et
pratiques culturelles communes ou ressemblantes.