RELATIONS INTERNATIONALES- GOUVERNEMENT- INTERVIEW A.
TEBBOUNE /DER SPIEGEL, V 5/11/2021 (IV/IV)
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Synthèse publiée par El
Watan/M.Benfodil , D7/11/2021
Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire
allemand Der Spiegel paru vendredi 5 novembre, le président de la République,
Abdelmadjid Tebboune, a clairement laissé entendre
qu’il ne faut pas espérer un dégel des relations avec Paris dans l’immédiat
après les propos véhéments d’Emmanuel Macron tenus le 30 septembre dernier.
Pour rappel, le président français, à
l’occasion d’un échange avec des jeunes issus de familles ayant toutes un lien
avec «la guerre d’Algérie», s’était permis de mettre
en doute l’existence de la nation algérienne avant la colonisation.
L’interview du Spiegel attaquait
d’ailleurs d’emblée par cette brouille, d’après la transcription de l’entretien
relayée par plusieurs confères. «On ne touche pas à
l’histoire d’un peuple et on n’insulte pas les Algériens», a rétorqué avec
fermeté le chef de l’Etat.
«Ce qui est
ressorti, c’est la vieille haine des maîtres coloniaux. Mais je sais que Macron
est loin de penser ainsi. Pourquoi a-t-il dit cela ?
Je pense que c’était pour des raisons électorales», poursuit Abdelmadjid Tebboune.
Il fera remarquer au passage que «c’est le même
discours que le journaliste d’extrême droite Eric
Zemmour répète depuis longtemps : que l’Algérie n’était pas une nation, que
c’est la France qui en a fait une nation…»
Et le président de la République d’asséner
: «Avec cette déclaration, Macron s’est placé du côté
de ceux qui justifient la colonisation.»
Aux envoyés spéciaux du magazine allemand qui lui signalent qu’il
s’entendait bien pourtant avec son homologue français,
Tebboune n’en démord
pas et charge de nouveau : «Macron a relancé tout à fait inutilement une vieille
querelle. Si Zemmour dit quelque chose comme ça,
qu’im- porte, personne n’y prête
attention. Mais quand un chef d’Etat déclare
que l’Algérie n’était
pas une nation à part entière, c’est très grave.» Dans un autre
passage, il déclare : «Macron
a porté atteinte à la dignité
des Algériens. Nous n’étions
pas des sous-humains, nous n’étions pas un
peuple de tribus nomades avant l’arrivée des Français.» Tebboune est catégorique : «Je ne serai pas celui qui fera le premier pas, sinon, je
perdrai tous les Algériens. Il ne s’agit pas de
moi, mais d’un problème national. Aucun Algérien n’accepterait mon contact avec ceux qui nous
ont insultés.» Il
exige dans la foulée une
«reconnaissance pleine et entière des
crimes commis par les Français» durant la
colonisation.
Evoquant la coopération
au Sahel, le président de la République campe sur l’interdiction de survol de
l’espace aérien de l’Algérie
par les avions militaires français : «Si les Français veulent
aller au Mali ou au Niger maintenant, ils devront voler neuf heures au lieu de
quatre. Cependant, nous ferons une exception lors du sauvetage de blessés. Mais pour tout le reste, nous n’avons plus à coopérer les uns
avec les autres, c’est peut-être terminé maintenant» a-t-il fait savoir.
«LE HIRAK,
C’EST MOI»
Aux journalistes Britta
Sandberg et Monika Bolliger qui lui demandent si l’Algérie serait prête
à envoyer des troupes au Mali en vertu de la nouvelle Constitution, il
affirme : «L’ONU peut se tourner vers nous ou vers
l’Union africaine. Si les Maliens attaquaient demain, nous interviendrions
à leur demande.»
Le Président
prend toutefois soin de préciser : «Mais nos soldats sont des Algériens qui ont des familles. Je ne les enverrai
pas à la mort pour l’intérêt des
autres. Assez d’Algériens sont morts dans le
passé. La grande question est de savoir comment réunifier
le pays. En tout cas, l’Algérie n’acceptera
jamais une partition du Mali.»
S’exprimant également
au sujet de la crise avec le Maroc, Tebboune relève que «les Marocains
veulent diviser l’Algérie», rappelant le
soutien affiché par l’ambassadeur du royaume chérifien
à l’ONU à l’indépendance de la
Kabylie.
Abordant les affaires intérieures,
le Spiegel s’est intéressé à la
relation du président de la République
avec l’armée. A ce propos, Abdelmadjid Tebboune a rejeté avec énergie l’idée selon
laquelle il serait une simple «façade
civile» des militaires : «C’est moi qui ai nommé
le chef de l’armée», soutient-il, avant
d’ajouter : «En plus de la fonction de Président,
je suis également ministre de la Défense. Les services secrets ont été
placés sous mon contrôle,
ils ne sont plus sous l’autorité des
militaires. C’est la nouvelle réalité
constitutionnellement garantie en Algérie.»
Et de marteler : «La
politique, c’est moi. Personne ne la fera à ma place. C’est moi qui ai ordonné la fermeture de l’espace aérien
algérien aux avions militaires français. C’est moi qui ai commandé la même mesure pour les avions marocains.» Questionné sur les arrestations qui ont touché des journalistes, il lance : «En
France, des journalistes sont en prison, aux Etats-Unis aussi, pourquoi n’y en
aurait-il pas en Algérie ? Nous avons 180
quotidiens. Il y a 8500 journalistes qui travaillent dans le pays. Si deux ou
trois d’entre eux ont été condamnés à juste titre, on dit ah, ils mettent
des journalistes en prison. La liberté de la
presse n’inclut pas la liberté de produire de
fausses informations ou de dénigrer votre pays.
Si ces lignes rouges sont franchies, alors la justice s’impose.»
Interrogé pour finir sur ses promesses
de changement, Tebboune proclame : «Le
hirak, le soulèvement,
c’est fini, le hirak, c’est moi maintenant.» «Ce soulèvement était un mouvement national, pas une collection de
petites factions. J’ai déclaré le 22 février, début des
manifestations en 2019, jour férié, car
ce mouvement a stoppé le déclin de notre
Etat. Peut-être que vous vous
souvenez des images, vous pouviez voir un peuple résilient,
avec un sens prononcé de la liberté
semblable à ce qui s’est passé plus tôt à Cuba, au Vietnam et dans d’autres Etats révolutionnaires» a-t-il conclu.