RELATIONS INTERNATIONALES- GOUVERNEMENT-
INTERVIEW A. TEBBOUNE /DER SPIEGEL, V 5/11/2021 (II/IV)
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« Traduction de l’intégralité »
de l’interview du Président Abdelmadjid Tebboune »
Der Spiegel : Monsieur le Président, fin
septembre, Emmanuel Macron s’est demandé, lors d’une conversation avec de
jeunes Algériens, si l’Algérie avait été une nation avant la colonisation par
les Français. Par la suite, vous avez rompu les relations diplomatiques avec la
France. Une seule phrase justifie-t-elle une réaction aussi radicale ? Abdelmadjid
Tebboune : On ne touche pas à l’histoire d’un
peuple, et on n’insulte pas les Algériens. Ce qui en est ressorti, c’est la
vieille haine des maîtres coloniaux, et je sais que Macron est loin de penser
de cette façon. Pourquoi a-t-il dit ça ? Je pense que c’était pour des raisons
de stratégie électorale. C’est ce même discours que le journaliste
d’extrême-droite Éric Zemmour utilise depuis longtemps : l’Algérie n’était pas
une nation, c’est la France qui en a fait une nation. Avec cette déclaration,
Macron s’est placé du côté de ceux qui justifient la colonisation.
Der
Spiegel : Pourtant, vous vous êtes très bien entendu avec lui jusqu’à présent.
Vous aviez des projets communs, notamment pour aborder l’histoire des deux
pays. Regrettez-vous la crise actuelle ? Abdelmadjid Tebboune : Je n’ai pas de regrets. Macron a
rouvert un vieux conflit de manière totalement inutile. Si Zemmour dit quelque
chose comme ça, qu’importe, personne ne fait attention à ça. Mais quand un chef
d’État déclare que l’Algérie n’était pas une nation indépendante, c’est très grave.
Je ne serai pas celui qui fera le premier pas. Sinon je vais perdre tous les
Algériens, il ne s’agit pas de moi, mais d’un problème national. Aucun Algérien
n’accepterait que je prenne contact avec ceux qui nous ont insultés.
Der
Spiegel : L’année dernière, le président français a commandé à un historien un
rapport contenant des recommandations sur la manière dont Paris devrait gérer
son histoire coloniale. Qu’attendiez-vous de lui, de la France, des excuses
? Abdelmadjid Tebboune : Notre
pays n’a pas besoin d’excuses de la part de Macron pour ce qui s’est passé en
1830 ou en 1840, mais nous voulons une reconnaissance complète et sans réserve
des crimes que les Français ont commis. Macron l’a déjà fait. Il a déclaré
publiquement que la colonisation était un crime contre l’humanité. Vous
savez, les Allemands ont détruit un village entier à Oradour-sur-Glane.
Aujourd’hui encore, ce massacre est commémoré, à juste titre. Mais en Algérie,
il y avait des dizaines d’Oradour-sur-Glane. Les Français ont emmené les
habitants de nombreux villages dans des grottes, y ont ajouté du bois et y ont
mis le feu. Les gens suffoquaient misérablement.
Der
Spiegel : Il n’y a aucune perspective de règlement de la crise avec la France
dans un avenir proche ? Abdelmadjid Tebboune: Non, si les Français veulent aller au
Mali ou au Niger maintenant, ils devront juste faire neuf heures de vol au lieu
de quatre. Toutefois, nous ferons une exception pour le sauvetage de personnes
blessées. Mais pour tout le reste, nous ne sommes plus obligés de coopérer les
uns avec les autres, c’est peut-être terminé maintenant. Macron a porté
atteinte à la dignité des Algériens. Nous n’étions pas des sous-hommes, nous
n’étions pas une nation de tribus nomades avant l’arrivée des Français.
Der Spiegel
: Vous adoptez un ton beaucoup plus conciliant envers un autre pays européen,
l’Allemagne. Pourquoi ? Quel est le lien entre l’Algérie et la République
fédérale d’Allemagne ? Abdelmadjid Tebboune : Les Allemands nous ont toujours
traités avec respect, ils ne nous ont jamais traités avec arrogance, il n’y a
jamais eu de désaccords en matière de politique étrangère. J’admire également
la persévérance et la modestie d’Angela Merkel. Je suis vraiment désolé de la
voir partir. Je n’oublierai jamais comment elle s’est personnellement occupée
de moi lorsque j’étais en Allemagne pour un traitement médical. L’Allemagne est
un modèle pour nous à bien des égards.
Der
Spiegel : Vous souhaitez également développer la coopération avec l’Allemagne
sur le plan économique. Qu’attendez-vous des relations germano-algériennes
après le changement de gouvernement à Berlin ? Abdelmadjid Tebboune :
Pour être honnête, tout ce qui est possible. Par exemple, je souhaiterais que
nous construisions ensemble un grand hôpital à Alger. Une institution qui
couvre toutes les spécialités de la médecine, pour tout le Maghreb. Un
président africain pourrait alors enfin être soigné ici, sur son propre
continent, au lieu d’aller en Suisse. Nous serions prêts à financer une grande
partie de ce projet. Les énergies renouvelables offrent également un grand
potentiel. Avec l’aide de l’Allemagne, nous pourrions approvisionner l’Europe
en énergie solaire.
Der
Spiegel : Il y a presque deux ans, vous avez promis de mettre fin aux anciennes
conditions et de laisser une nouvelle ère commencer. Dans quelle mesure cela
s’est-il réalisé entre-temps ? Abdelmadjid Tebboune : J’ai supprimé les impôts pour
tous les salaires inférieurs à 30 000 dinars, l’équivalent de près de 190
euros, j’ai augmenté le salaire minimum. Des régions rurales autrefois oubliées
bénéficient désormais d’un soutien particulier. L’une des tâches les plus
importantes est cependant d’introduire une nouvelle moralité dans
l’administration et l’économie. Nous luttons contre la corruption depuis deux
ans.
Der
Spiegel : Avant même que vous n’entriez en fonction, l’armée a fait mettre
derrière les barreaux des membres de haut rang de l’ancien appareil du pouvoir,
dont Saïd, le frère de Bouteflika, qui a été condamné pour conspiration contre
l’État. Est-ce que d’autres arrestations ont suivi sous vos ordres ? Abdelmadjid
Tebboune : Bien sûr. Pour l’instant, je m’attaque
principalement à la corruption dans les échelons inférieurs. Ce qui s’est passé
au niveau du gouvernement est un gaspillage impardonnable des richesses de ce
pays. Avec la corruption quotidienne, ce sont les citoyens qui paient. C’est
terminé maintenant. Personne ne devrait plus jamais avoir à déposer un billet
dans une mairie pour obtenir un nouveau passeport.
Der
Spiegel : Mais peut-on changer comme ça un système et des habitudes ancrées
depuis des décennies ? Abdelmadjid Tebboune: Cela commence par les choses de base.
Nous avons dû reconstruire complètement l’État, il y avait ce que j’appellerais
un État informel ici, avant. J’ai fait entrer beaucoup de personnes du secteur
privé dans le gouvernement, le porte-parole du gouvernement était auparavant un
présentateur de télévision. L’homme qui dirige aujourd’hui le ministère des
start-ups a fait partie du mouvement de protestation. Nous sommes en train de
reconstituer la Cour des comptes. Nous nous attaquons à l’argent sale. Et nous
avons voté une nouvelle constitution qui donne plus de droits aux citoyens.
Der
Spiegel : Et pourtant, vos citoyens craignent plus que jamais la répression et
n’osent pas exprimer ouvertement leurs opinions. Des journalistes sont arrêtés
dans votre pays. N’êtes-vous pas juste la façade civile d’un régime militaire
qui existe toujours ? Abdelmadjid Tebboune : Le peuple algérien sait que ce
n’est pas vrai. C’est moi qui ai nommé le chef de l’armée. J’exerce la fonction
de ministre de la Défense en plus de la présidence. Les services secrets ont
été placés sous mon contrôle, ils ne sont plus sous l’autorité des militaires.
Telle est la nouvelle réalité en Algérie, garantie par la constitution – pas de
dépendances, et une action souveraine.
Der
Spiegel : Quel est le rapport de force actuel entre l’armée et le président ?Abdelmadjid Tebboune : Je peux vous le dire. Le chef
des armées, que je dirige, a reçu de moi des instructions pour moderniser
l’armée. D’ailleurs, il a assez à faire avec la situation délicate de nos
frontières. La politique, c’est moi. Personne ne l’exercera à ma place. C’est
moi qui ai ordonné la fermeture de l’espace aérien algérien aux avions
militaires français. C’est également moi qui ai ordonné la même mesure pour les
avions marocains. Mais on ne peut pas se débarrasser de cette image que
l’Algérie est un État militaire.
Der
Spiegel : Vous avez inclus dans la nouvelle constitution un passage selon
lequel l’Algérie peut envoyer des troupes à l’étranger. Allez-vous envoyer vos
propres soldats au Mali ? Abdelmadjid Tebboune : On peut maintenant nous demander
de l’aide. L’ONU peut se tourner vers nous ou même vers l’Union africaine. Si
les Maliens sont confrontés à une attaque demain, nous interviendrons à leur
demande. Mais nos soldats sont des Algériens qui ont des familles, je ne les
enverrai pas mourir pour les intérêts des autres. Assez d’Algériens sont morts
dans le passé. La grande question au Mali est de savoir comment réunifier le
pays. En tout état de cause, l’Algérie n’acceptera jamais une partition du
Mali.
Der
Spiegel : La France n’est pas le seul pays avec lequel vous avez des problèmes
en ce moment. Vous avez également interdit au Maroc, votre pays voisin, de
survoler l’espace aérien algérien. Pourquoi ? Abdelmadjid Tebboune :
Les Marocains veulent diviser l’Algérie. Leur représentant à l’ONU a parlé
favorablement des aspirations indépendantistes d’une partie de notre pays, la Kabylie.
Personne, pas même le roi, n’a corrigé ses déclarations. Finalement, nous avons
rompu les relations.
Der
Spiegel : Mais vous soutenez toujours le Polisario, le mouvement
indépendantiste du Sahara occidental. Le Maroc revendique ce territoire pour lui-même.
Pourquoi faites-vous cela ? Abdelmadjid Tebboune: Nous
sommes favorables à ce que le peuple sahraoui décide de son propre sort. Mais
le Maroc ne s’y adhère pas. Vous savez, il y a quelque chose qui me dérange
dans la perception publique des deux pays. Au Maroc, le roi est riche, mais le
taux d’analphabétisme est toujours de 45 % ; chez nous, il n’est que de 9%.
L’Europe imagine à tort le Maroc comme une belle carte postale, mais nous
sommes vus comme une sorte de Corée du Nord. Pourtant, nous sommes un pays très
ouvert.
Der
Spiegel : Le fait que tant d’Algériens tentent actuellement de quitter leur
pays ne va-t-il pas à l’encontre de votre politique ? Abdelmadjid Tebboune :