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Interview A. Tebboune/Der Spiegel, V 5-11-2021 (II/IV)

Date de création: 07-11-2021 17:54
Dernière mise à jour: 07-11-2021 17:54
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RELATIONS INTERNATIONALES- GOUVERNEMENT- INTERVIEW A. TEBBOUNE /DER SPIEGEL, V 5/11/2021 (II/IV)

© Publiée par www.algerie54.Dz

« Traduction de l’intégralité » de l’interview du Président Abdelmadjid Tebboune  »

Der Spiegel : Monsieur le Président, fin septembre, Emmanuel Macron s’est demandé, lors d’une conversation avec de jeunes Algériens, si l’Algérie avait été une nation avant la colonisation par les Français. Par la suite, vous avez rompu les relations diplomatiques avec la France. Une seule phrase justifie-t-elle une réaction aussi radicale ? Abdelmadjid Tebboune  : On ne touche pas à l’histoire d’un peuple, et on n’insulte pas les Algériens. Ce qui en est ressorti, c’est la vieille haine des maîtres coloniaux, et je sais que Macron est loin de penser de cette façon. Pourquoi a-t-il dit ça ? Je pense que c’était pour des raisons de stratégie électorale. C’est ce même discours que le journaliste d’extrême-droite Éric Zemmour utilise depuis longtemps : l’Algérie n’était pas une nation, c’est la France qui en a fait une nation. Avec cette déclaration, Macron s’est placé du côté de ceux qui justifient la colonisation.

Der Spiegel : Pourtant, vous vous êtes très bien entendu avec lui jusqu’à présent. Vous aviez des projets communs, notamment pour aborder l’histoire des deux pays. Regrettez-vous la crise actuelle ? Abdelmadjid Tebboune : Je n’ai pas de regrets. Macron a rouvert un vieux conflit de manière totalement inutile. Si Zemmour dit quelque chose comme ça, qu’importe, personne ne fait attention à ça. Mais quand un chef d’État déclare que l’Algérie n’était pas une nation indépendante, c’est très grave. Je ne serai pas celui qui fera le premier pas. Sinon je vais perdre tous les Algériens, il ne s’agit pas de moi, mais d’un problème national. Aucun Algérien n’accepterait que je prenne contact avec ceux qui nous ont insultés.

Der Spiegel : L’année dernière, le président français a commandé à un historien un rapport contenant des recommandations sur la manière dont Paris devrait gérer son histoire coloniale. Qu’attendiez-vous de lui, de la France, des excuses ? Abdelmadjid Tebboune : Notre pays n’a pas besoin d’excuses de la part de Macron pour ce qui s’est passé en 1830 ou en 1840, mais nous voulons une reconnaissance complète et sans réserve des crimes que les Français ont commis. Macron l’a déjà fait. Il a déclaré publiquement que la colonisation était un crime contre l’humanité. Vous savez, les Allemands ont détruit un village entier à Oradour-sur-Glane. Aujourd’hui encore, ce massacre est commémoré, à juste titre. Mais en Algérie, il y avait des dizaines d’Oradour-sur-Glane. Les Français ont emmené les habitants de nombreux villages dans des grottes, y ont ajouté du bois et y ont mis le feu. Les gens suffoquaient misérablement.

Der Spiegel : Il n’y a aucune perspective de règlement de la crise avec la France dans un avenir proche ? Abdelmadjid Tebboune: Non, si les Français veulent aller au Mali ou au Niger maintenant, ils devront juste faire neuf heures de vol au lieu de quatre. Toutefois, nous ferons une exception pour le sauvetage de personnes blessées. Mais pour tout le reste, nous ne sommes plus obligés de coopérer les uns avec les autres, c’est peut-être terminé maintenant. Macron a porté atteinte à la dignité des Algériens. Nous n’étions pas des sous-hommes, nous n’étions pas une nation de tribus nomades avant l’arrivée des Français.

Der Spiegel : Vous adoptez un ton beaucoup plus conciliant envers un autre pays européen, l’Allemagne. Pourquoi ? Quel est le lien entre l’Algérie et la République fédérale d’Allemagne ? Abdelmadjid Tebboune : Les Allemands nous ont toujours traités avec respect, ils ne nous ont jamais traités avec arrogance, il n’y a jamais eu de désaccords en matière de politique étrangère. J’admire également la persévérance et la modestie d’Angela Merkel. Je suis vraiment désolé de la voir partir. Je n’oublierai jamais comment elle s’est personnellement occupée de moi lorsque j’étais en Allemagne pour un traitement médical. L’Allemagne est un modèle pour nous à bien des égards.

Der Spiegel : Vous souhaitez également développer la coopération avec l’Allemagne sur le plan économique. Qu’attendez-vous des relations germano-algériennes après le changement de gouvernement à Berlin ? Abdelmadjid Tebboune : Pour être honnête, tout ce qui est possible. Par exemple, je souhaiterais que nous construisions ensemble un grand hôpital à Alger. Une institution qui couvre toutes les spécialités de la médecine, pour tout le Maghreb. Un président africain pourrait alors enfin être soigné ici, sur son propre continent, au lieu d’aller en Suisse. Nous serions prêts à financer une grande partie de ce projet. Les énergies renouvelables offrent également un grand potentiel. Avec l’aide de l’Allemagne, nous pourrions approvisionner l’Europe en énergie solaire.

Der Spiegel : Il y a presque deux ans, vous avez promis de mettre fin aux anciennes conditions et de laisser une nouvelle ère commencer. Dans quelle mesure cela s’est-il réalisé entre-temps ? Abdelmadjid Tebboune : J’ai supprimé les impôts pour tous les salaires inférieurs à 30 000 dinars, l’équivalent de près de 190 euros, j’ai augmenté le salaire minimum. Des régions rurales autrefois oubliées bénéficient désormais d’un soutien particulier. L’une des tâches les plus importantes est cependant d’introduire une nouvelle moralité dans l’administration et l’économie. Nous luttons contre la corruption depuis deux ans.

Der Spiegel : Avant même que vous n’entriez en fonction, l’armée a fait mettre derrière les barreaux des membres de haut rang de l’ancien appareil du pouvoir, dont Saïd, le frère de Bouteflika, qui a été condamné pour conspiration contre l’État. Est-ce que d’autres arrestations ont suivi sous vos ordres ? Abdelmadjid Tebboune : Bien sûr. Pour l’instant, je m’attaque principalement à la corruption dans les échelons inférieurs. Ce qui s’est passé au niveau du gouvernement est un gaspillage impardonnable des richesses de ce pays. Avec la corruption quotidienne, ce sont les citoyens qui paient. C’est terminé maintenant. Personne ne devrait plus jamais avoir à déposer un billet dans une mairie pour obtenir un nouveau passeport.

Der Spiegel : Mais peut-on changer comme ça un système et des habitudes ancrées depuis des décennies ? Abdelmadjid Tebboune: Cela commence par les choses de base. Nous avons dû reconstruire complètement l’État, il y avait ce que j’appellerais un État informel ici, avant. J’ai fait entrer beaucoup de personnes du secteur privé dans le gouvernement, le porte-parole du gouvernement était auparavant un présentateur de télévision. L’homme qui dirige aujourd’hui le ministère des start-ups a fait partie du mouvement de protestation. Nous sommes en train de reconstituer la Cour des comptes. Nous nous attaquons à l’argent sale. Et nous avons voté une nouvelle constitution qui donne plus de droits aux citoyens.

Der Spiegel : Et pourtant, vos citoyens craignent plus que jamais la répression et n’osent pas exprimer ouvertement leurs opinions. Des journalistes sont arrêtés dans votre pays. N’êtes-vous pas juste la façade civile d’un régime militaire qui existe toujours ? Abdelmadjid Tebboune : Le peuple algérien sait que ce n’est pas vrai. C’est moi qui ai nommé le chef de l’armée. J’exerce la fonction de ministre de la Défense en plus de la présidence. Les services secrets ont été placés sous mon contrôle, ils ne sont plus sous l’autorité des militaires. Telle est la nouvelle réalité en Algérie, garantie par la constitution – pas de dépendances, et une action souveraine.

Der Spiegel : Quel est le rapport de force actuel entre l’armée et le président ?Abdelmadjid Tebboune : Je peux vous le dire. Le chef des armées, que je dirige, a reçu de moi des instructions pour moderniser l’armée. D’ailleurs, il a assez à faire avec la situation délicate de nos frontières. La politique, c’est moi. Personne ne l’exercera à ma place. C’est moi qui ai ordonné la fermeture de l’espace aérien algérien aux avions militaires français. C’est également moi qui ai ordonné la même mesure pour les avions marocains. Mais on ne peut pas se débarrasser de cette image que l’Algérie est un État militaire.

Der Spiegel : Vous avez inclus dans la nouvelle constitution un passage selon lequel l’Algérie peut envoyer des troupes à l’étranger. Allez-vous envoyer vos propres soldats au Mali ? Abdelmadjid Tebboune : On peut maintenant nous demander de l’aide. L’ONU peut se tourner vers nous ou même vers l’Union africaine. Si les Maliens sont confrontés à une attaque demain, nous interviendrons à leur demande. Mais nos soldats sont des Algériens qui ont des familles, je ne les enverrai pas mourir pour les intérêts des autres. Assez d’Algériens sont morts dans le passé. La grande question au Mali est de savoir comment réunifier le pays. En tout état de cause, l’Algérie n’acceptera jamais une partition du Mali.

Der Spiegel : La France n’est pas le seul pays avec lequel vous avez des problèmes en ce moment. Vous avez également interdit au Maroc, votre pays voisin, de survoler l’espace aérien algérien. Pourquoi ? Abdelmadjid Tebboune : Les Marocains veulent diviser l’Algérie. Leur représentant à l’ONU a parlé favorablement des aspirations indépendantistes d’une partie de notre pays, la Kabylie. Personne, pas même le roi, n’a corrigé ses déclarations. Finalement, nous avons rompu les relations.

Der Spiegel : Mais vous soutenez toujours le Polisario, le mouvement indépendantiste du Sahara occidental. Le Maroc revendique ce territoire pour lui-même. Pourquoi faites-vous cela ? Abdelmadjid Tebboune: Nous sommes favorables à ce que le peuple sahraoui décide de son propre sort. Mais le Maroc ne s’y adhère pas. Vous savez, il y a quelque chose qui me dérange dans la perception publique des deux pays. Au Maroc, le roi est riche, mais le taux d’analphabétisme est toujours de 45 % ; chez nous, il n’est que de 9%. L’Europe imagine à tort le Maroc comme une belle carte postale, mais nous sommes vus comme une sorte de Corée du Nord. Pourtant, nous sommes un pays très ouvert.

Der Spiegel : Le fait que tant d’Algériens tentent actuellement de quitter leur pays ne va-t-il pas à l’encontre de votre politique ? Abdelmadjid Tebboune  :