RELATIONS INTERNATIONALES- ITALIE- INTERVIEW PRESIDENT ITALIEN S.MATTARELLA/EL MOUDJAHID (S.6/11/2021)
Dans l’interview accordée à El Moudjahid Sergio
Mattarella (en visite d’Etat en Algérieles
6 et 7 novembre 2021) revient sur le «dialogue politique de
haut niveau» entre les deux pays, et les domaines de coopération prioritaires
identifiés par les deux Gouvernements. Promouvoir le dialogue politique sur les
questions régionales d’intérêt commun, telles que celles portant sur la Libye
et le Sahel, la collaboration dans la lutte contre le terrorisme, le crime
organisé et les trafics illicites transnationaux, la coopération économique et
commerciale, «y compris dans la perspective des importantes réformes en cours
en Algérie», et la lutte contre les flux financiers illicites et… une
collaboration portant sur la «récupération et le rapatriement des avoirs volés
et transférés illégalement à l'étranger», seront au menu des discussions
bilatérales.
© Entretien réalisé par Mohamed Koursi/El
Moudjahid (quotidien)
El
Moudjahid : Monsieur le Président, l’Algérie et l’Italie ont signé un
mémorandum d’entente instituant un dialogue stratégique sur les relations
bilatérales et les questions politiques et de sécurité globale. Ce mémorandum
sera-t-il revu, élargi ? Quels en sont les volets susceptibles d’être concernés
? En clair, comment concevez-vous les perspectives de cette relation et quels
seraient les domaines de coopération prioritaires à l’avenir ?
Sergio Mattarella : Le mémorandum
d’entente instituant un dialogue stratégique sur les relations bilatérales et
les questions politiques et de sécurité globale a été signé par les deux
ministres des Affaires étrangères il y a plus d’une année. Les dix dernières
années, le dialogue existait déjà, mais d’une façon informelle et non
institutionnalisée. La signature de ce mémorandum témoigne donc de la volonté
de l’Italie et de l’Algérie de relancer ce format de consultation politique et
stratégique et de l’élargir à tous les domaines d’intérêt prioritaire commun,
en hissant davantage le partenariat à un niveau supérieur. Les deux ministres
ont convenu de convoquer très rapidement la prochaine réunion du Dialogue, qui
se tiendra à Rome. Les domaines de coopération prioritaires ont été identifiés
par les deux Gouvernements dans la promotion du dialogue politique sur les
questions régionales d’intérêt commun, telles que celles portant sur la Libye
et le Sahel, la collaboration dans la lutte contre le terrorisme, le crime
organisé et les trafics illicites transnationaux, la coopération économique et
commerciale, y compris dans la perspective des importantes réformes en cours en
Algérie, et la lutte contre les flux financiers illicites et la collaboration
portant sur la récupération et le rapatriement des avoirs volés et transférés
illégalement à l'étranger.
Alger
est intéressé par le modèle italien des PME/PMI. Le Président Tebboune n’a pas tari d’éloges sur le dynamisme –la
proximité et la similitude– de votre modèle. Comment votre gouvernement
pourrait contribuer à développer notre tissu de petites et moyennes entreprises
?
Comme vous l'avez bien dit, le système économique italien est caractérise par la présence de plus de 4,5 millions de PME.
Ce sont des entreprises généralement familiales, qui n'ont pas toujours les
moyens pour s'établir à l'étranger et ont donc besoin de l'appui des
institutions pour cela. D'un côté, l'Italie favorise les échanges et la
coopération entre entreprises italiennes et algériennes, surtout à travers
notre Agence pour le Commerce ITA, qui promeut la participation d'entreprises
italiennes aux foires économiques qui se déroulent en Algérie et vice-versa. La
prochaine réunion d'un Business Forum bilatéral pourra sûrement impulser ce
processus. De l'autre côté, nous regardons avec attention à la mise en œuvre du
plan d'action du Premier ministre Benabderrahmane. Un plan ambitieux qui vise à
améliorer le climat des affaires dans le but d'accompagner les perspectives de
diversification de l'économie algérienne, y compris en faveur des opportunités
pour les nouvelles générations. L’Italie souhaite accompagner l’Algérie dans ce
parcours.
Monsieur
le Président, l’Italie est un client traditionnel de l’Algérie pour ses
importations de gaz. Et les deux pays sont liés par des contrats à moyen et
long terme satisfaits, notamment, via le gazoduc Transmed
qui traverse la Tunisie. Quels impacts pourraient avoir les nouvelles mutations
énergétiques mondiales sur ces accords et la présence marquée de la Norvège et
de la Russie sur le marché européen ?
L'Algérie est le deuxième fournisseur de gaz de l'Italie. Tenant compte de
l'histoire spéciale qui lie nos deux pays et surtout du rôle central qu’a joué
ENI, je suis convaincu que l'Algérie restera un partenaire central aussi dans
le futur. Ceci dit, du côté italien, il y a l'intérêt à diversifier le
partenariat bilatéral en explorant de nouvelles collaborations avec des
entreprises algériennes, dans des secteurs de nouvelles opportunités, tels que
les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Ce sont des secteurs
qui sont notamment au cœur des stratégies de transition énergétique italienne
et algérienne et dont les opportunités économiques vont se multiplier dans les
prochaines années.
Dans
les discussions entre les pays du Sud et l’Union européenne, les questions en
rapport avec le déséquilibre des échanges commerciaux et les flux migratoires
sont récurrentes. Comment rééquilibrer les rapports ; et quelle approche serait
la plus juste pour traiter le phénomène de l’immigration clandestine ?
Vingt-cinq ans après la Déclaration de Barcelone, l’Union européenne a adopté
en février dernier le nouvel Agenda pour la Méditerranée, sur impulsion
italienne. Cette initiative, que nous soutenons pleinement, est un message
clair sur l’importance pour nous, y compris du point de vue économique et
commercial, des pays du voisinage méridional et sur le caractère stratégique
d’un partenariat méditerranéen renforcé, dans une optique d’approche synergique
pour relever des défis communs. L’un d’entre eux est certainement celui des
migrations. La lutte contre les trafiquants exige qu’on soit tous engagés sur
un même front. Je dis souvent que sans une volonté commune de gouverner cette
tragédie, les raisons humanitaires et celles de l'État de droit disparaîtront.
Les jeunes générations du continent africain doivent avoir la possibilité de
contribuer au développement de leur territoire, dans un partenariat efficace
entre l'Europe et l'Afrique.
L’Europe et l’Italie sont prêtes à agir pour un changement réel, effectif et
mutuellement bénéfique, y compris en contribuant financièrement à l’éradication
de la pauvreté et à la réalisation d’un développement durable, à partir des
pays d’où les flux migratoires irréguliers partent.
Rome
a, à plusieurs reprises, souligné qu’elle partageait la même vision qu’Alger
sur les questions régionales, en particulier la crise libyenne. La Libye, pays
avec lequel vous êtes aussi liés par l’histoire, qui aspire à une
réconciliation, à des élections et à des institutions stables, peine à
retrouver la paix et la stabilité. Comment l’Italie conçoit-elle la sortie de
crise dans ce pays ?
Il est vrai que les positions italienne et algérienne sur la situation en Libye
sont très proches. Pour notre part, nous nous sommes toujours rendu compte de
la nécessité pour les pays voisins, y compris l’Algérie, d’être impliqués dans
le processus de Berlin qui, avec les initiatives dans le cadre onusien, a tracé
le chemin de la paix en Libye. Nous apprécions le rôle d’Alger dans cette
perspective et nous avons pris note avec intérêt des résultats du sommet entre
pays voisins qui s’est tenu à Alger en août dernier.
Territoire
non autonome selon la classification de l’Onu, le Sahara occidental est en
partie occupé par un pays étranger, qui arrive à contourner le droit
international et à signer des contrats commerciaux basés sur le pillage des
richesses. Quel est votre point de vue sur cette situation en tant que pays
membre de l’Union ?
Nous suivons de très près la question du Sahara occidental. Nous avons toujours
soutenu avec conviction le rôle joué par les Nations-Unies et, à cet égard,
nous avons appris avec satisfaction la nomination du diplomate italo-suédois Staffan de Mistura comme envoyé
personnel du Secrétaire général de l’ONU. Il est à espérer que son engagement
pourra contribuer, malgré la situation actuelle de tension, à une reprise de
négociations directes entre les parties en vue d’une solution équitable et
durable de la question, qui tienne dûment compte des droits du peuple sahraoui.
Dans ce contexte, nous soutenons le rôle de l’Algérie et son attachement au
cadre onusien sur le Sahara occidental.
Monsieur
le Président, une question sur la Palestine. La solution à deux Etats c’est
pour quand ?
Il y a longtemps qu’il y a un large consensus international sur le fait que la
solution à deux États est la seule voie possible vers la paix entre Israéliens
et Palestiniens. Il est nécessaire que les deux parties retournent à la table
des négociations. Sur ce point, une nouvelle action, sur impulsion de l’Union
européenne et des autres partenaires du Quartet international pour le
Moyen-Orient pourra jouer un rôle important pour faciliter la reprise des
contacts directs entre les parties. À moyen et à long terme, le maintien du statu
quo ne constitue pas une alternative durable et seule une solution globale au
conflit israélo-palestinien pourra conduire à une paix et une
stabilité durables dans toute la région du Moyen-Orient.