COMMUNICATION- OPINIONS ET POINTS DE
VUE- TÉLÉS ALGÉRIENNES 2021/CHRONIQUE MÂAMAR FARAH
© Mâamar Farah/Le Soir d’Algérie ,
jeudi 4-11-2021
Depuis quelque temps, ça bouge au sein
de l'ENTV et c'est tant mieux! Alors que le secteur
privé s'amenuise sous le coup des fermetures sanctionnant des écarts par rapport
à la loi, les chaînes étatiques se renforcent. Mais il arrive aussi que les
privées disparaissent toutes seules car le marché publicitaire, qui est leur
seule source de financement, n'est pas extensible à souhait. Or, une télé qui
se respecte doit faire face à de grosses dépenses pour asseoir une
programmation digne d'intérêt. Sinon, c'est du n'importe quoi ; c'est-à-dire un
studio casé dans une chambre d'appartement, une régie et des installations
primaires et un minimum de programmes maison.
Par contre, le secteur public bénéficie de gros moyens qui lui permettent
d'acquérir les équipements les plus modernes. En quelques années, les chaînes
se sont multipliées et l'Unique s'est enrichie de plusieurs sœurs spécialisées,
le tout sur satellite et en TNT. Parallèlement, la transmission est passée de
la SD à la HD et du DVB S au DVB S2 qui est un standard intimement lié aux
développements multimédias grâce à sa voix retour par satellite. Depuis
l'arrivée de M. Tebboune à la présidence et M. Belhimer au ministère de la Communication, on note un
profond changement de politique dans le secteur audiovisuel. Durant les
précédentes années, j'avais personnellement attiré l'attention des anciens
responsables de la Télévision nationale sur la nécessité impérieuse d'occuper
le champ de l'information télévisée qui est au centre de terribles enjeux. On
m'avait répondu que l'État n'a plus à s'occuper d'information et que c'est
désormais le rôle des chaînes privées. Ils étaient bien contents de «leurs» chaînes privées lancées sans aucune assise
juridique, dans l'unique but de soutenir la campagne de Bouteflika pour le 4e
mandat ! J'avais expliqué à ces responsables que les pays d'Europe de l'Ouest,
hormis la France (qui rejoindra le peloton plus tard avec France Info) possédaient
leurs propres chaînes d'information publiques. L'Allemagne venait en tête avec
des programmes nationaux et régionaux. L'Italie, outre les différents journaux
télévisés qui peuplent ses chaînes, diffusait Rai News et Rai International.
L'Espagne rejoignait le lot avec 24 horas. Mais l'exemple le plus populaire
reste la BBC qui offre des bouquets en hertzien et sur satellite où l'information
se taille une place de choix !
Ces pouvoirs ont compris l'importance de disposer de moyens de communication publics
leur permettant de propager leurs idées au sein des populations et de faire
face à toute tentative de désinformation venant de l'étranger. Grâce aux
changements intervenus dans la superstructure du pouvoir, l'ENTV a pu sortir de
sa léthargie en s'engageant, depuis une année, dans une politique de
renforcement et de diversification de ses programmes. La dernière-née de ses
chaînes, AL24 News, nous a agréablement surpris par son ton résolument moderne
et son large spectre de centres d'intérêt. A ce titre, une mention spéciale
sera décernée pour les portraits Media et Culture d'une haute
facture consacrés à Naït Mazi,
ancien directeur d'El Moudjahid, et Hiahemzizou,
bédéiste de renom et inégalable dessinateur d'affiches de films de la belle
époque du cinéma national. Mais un regard lucide sur l'ensemble des programmes
qui fleurissent ce beau bouquet public laisse un arrière-goût d'inachevé et une
impression de... désordre. En fait, l'amalgame date du début de l'expérience
satellite lorsque l'Algérie décida de lancer une deuxième chaîne en langue
française uniquement sur satellite. Algerian TV, née en 1994, se proposait,
d'emblée, de toucher directement notre émigration à l'étranger, et notamment en
France où elle reste, et de loin, la plus nombreuse. Mais on ne savait pas si
on avait affaire à une chaîne satellite internationale qui regroupe les meilleures programmes du réseau national (en fait, une
seule chaîne à l'époque !) ou si c'était une seconde chaîne d'expression
francophone. Pour la première proposition, les exemples ne manquent pas : TV 5
pour la France, BBC World pour l'Angleterre, 3 Sat
pour l'Allemagne, Suisse alémanique et Autriche, ESC pour l'Egypte, etc.
Depuis son lancement, Algerian TV, puis Canal Algérie, est restée sans identité
propre, avec moult émissions en studio, quelques reportages et, le reste du
temps, la reprise des programmes de l'Unique. L'apparition de la Trois va
rendre le tableau encore plus flou. Chaîne satellite ? Troisième chaîne à
caractère culturel ? Canal destiné au Proche-Orient ? Là aussi, le flou
continue de régner. Tout récemment, la 3ème chaîne est devenue un programme
d'information mais, très vite, la surcharge d'émissions de débats en studio lui
a conféré les traits d'une radio bavarde. Avec le lancement de AL24 News, on ne
sait plus quel sera le rôle de cette Trois qui va faire doublon avec la
dernière-née. Et ce n'est pas le seul doublon : malgré sa nouvelle appellation
de «chaîne de la jeunesse», TV 6 est souvent une
réplique de la Une. Suffit-il de mettre des animateurs plus jeunes pour mériter
du titre de programme jeunesse ? Hormis la 5 (religieuse) et la 4 (tamazight),
la 7 (connaissance et savoir) et la 8 (Mémoire), il y a comme un imbroglio qui
mérite d'être clarifié. En fait, en suivant de près les programmes de toutes
ces chaînes, on remarque des grilles qui traitent pratiquement des mêmes
sujets. Exemple : il y a des émissions Santé sur la Une, Canal Algérie, la
Trois, la 6 et même la 7 ! Les émissions sportives font du saute-mouton entre
les chaînes avec parfois des rediffusions. On peut épiloguer longtemps sur les
anomalies mais il serait plus intéressant de proposer un nouveau plan de
partage au sein de ce bouquet qui s'inspire des expériences mondiales :
- Chaîne Une : chaîne généraliste à caractère populaire.
- Canal Algérie : chaîne satellite à destination de l'émigration en Occident.
Langues : français, anglais. Davantage de programmes impliquant la communauté
algérienne, à partir de l'Europe et du Canada.
- La Trois : chaîne satellite à destination de l'émigration dans le monde arabe
et en Asie. Caractère culturel à renforcer.
- La Quatre : chaîne en tamazight. Multiplier les bureaux dans les régions
berbérophones.
- La Cinq : chaîne religieuse.
- La Six : chaîne sportive avec retransmission en direct des différents
championnats nationaux, toutes compétitions confondues.
- La 7 : chaîne éducative et du savoir. S'intéresser davantage à la formation
professionnelle avec diffusion privilégiée d'émissions d'apprentissage dans les
différents corps de métier.
- La 8 : chaîne histoire. Parler de toute l'histoire. Multiplier les
reportages, les fictions historiques et biographiques et réduire les tables
rondes !
- AL24 News : rien à ajouter. Reste juste à voir et à écouter ces
correspondants éparpillés à travers le monde. Si la Trois change d'identité,
AL24 News pourrait bénéficier de l'expérience et de la compétence de ses
équipes.
Voilà un plan parmi d'autres. Mais il faut reconnaître que ce bouquet de neuf
chaînes montées en quelques mois est un miracle en soi. Il reste à parfaire son
organisation interne pour donner plus de cohérence aux programmes et parfaire
leur lisibilité. Et satisfaire la demande d'un public de plus en plus
exigeant.
P. S. : ce panorama à caractère technique ne saurait
occulter l’autre atrophie de la télé publique : son incapacité à muer en
service public ouvert à tous les courants qui traversent la société et ne plus
se satisfaire de répercuter le seul point de vue du pouvoir.