HISTOIRE- ETRANGER- CAMPS D’INTERNEMENT
FRANÇAIS (VICHY) EN ALGERIE 1941/1943- FRANCE
1941-1943 : les camps
d'internement en Algérie, une histoire largement méconnue
© Michel Lachkar/France Télévisons,
22/10/2021
C’est une page sombre de l'Histoire, longtemps restée
cachée dans les archives de l’armée française : les camps de travail en
Afrique du Nord, où ont été internés les soldats juifs démobilisés après la
défaite de 1940.
Le 24 octobre 1870, le décret Crémieux, du nom du
ministre de la Justice de l'époque, attribue la citoyenneté française aux juifs
d’Algérie, avec l’idée de rattacher un peu plus l’Algérie à la France. Mais 70
ans plus tard, le décret Crémieux est abrogé d’un trait de plume au lendemain
des lois anti-juives adoptées par le régime de Vichy. Le 3 octobre 1940, les
110 000 juifs d'Algérie cessent d'être des citoyens français, y compris
les anciens combattants de 1914, ceux qui avaient survécu aux batailles de
Verdun, du Chemin des dames ou des Dardanelles (Bosphore).
Chassés de l'école
En 1941,18 500 enfants juifs sont chassés de
l’école publique. Un numérus clausus est appliqué aux élèves et aux professeurs
juifs dans l’enseignement primaire, secondaire et les universités. Les
fonctionnaires sont révoqués et les métiers de médecin, d’avocat ou de la
presse leur sont interdits. "L'ampleur du traumatisme est à la
mesure de leur assimilation"… "pour une communauté qui avait
multiplié les marques d’amour envers la République sur laquelle se focalisaient
toutes les espérances", écrit l’historien Benjamin Stora dans son
livre Les trois exils juifs d’Algérie.
Moins connue, mais tout aussi tragique, l’histoire des
soldats juifs engagés en 1939, déchus de la nationalité française par Vichy et
enfermés dans des camps de travail en Algérie, en Tunisie et au Maroc.
En septembre 1939, lors de la déclaration de guerre,
les jeunes Français sont mobilisés en Algérie comme en métropole. Parmi eux,
plusieurs milliers de juifs rejoignent leurs unités, mais la débâcle de
mai-juin 40 arrête les combats. Les militaires juifs se trouvent alors dans la
situation difficile d'être les soldats d'une armée aux ordres de Vichy et de
ses lois anti-juives. Celles-ci vont être appliquées avec un zèle tout
particulier dans les départements français d’Algérie.
Des camps d'internement
En avril 1941, les soldats juifs d'Afrique du Nord
sont emmenés dans les camps d’internement de Bedeau dans l'Oranais et de Teleghma dans le Constantinois.
Dans un courrier du 28 février 1941, le général
Huntziger, secrétaire d’Etat à la Guerre sous Vichy, s’adresse au Général
Weygand, délégué général du gouvernement de Vichy en Afrique française : "Les
rapports sur l'état d'esprit des troupes de l'Afrique du Nord font ressortir
que les juifs demeurés dans les unités ont une influence néfaste et que, par
leur manque de sens national, ils nuisent au bon moral dans ces unités. (...)
Je vous demande de faire cesser cet état de choses (et de) retirer
tous les juifs des unités de l'Afrique du Nord."
Cette lettre exhumée par le journaliste Jean-Dominique
Merchet en 1997 dormait depuis la fin de la Seconde
guerre mondiale dans les archives de l'armée au château de Vincennes. Ces
militaires juifs affectés dans ces camps de travail ne constituent qu'une
partie de l'ensemble des juifs internés en Afrique du Nord. L'
historien Robert O. Paxton avance le chiffre de 14 000 à
15 000 personnes qui furent soumises à de mauvais traitements par les
autorités françaises. L’historien américain a recensés jusqu’à seize camps de
travaux forcés répartis en Afrique du Nord.
Des camps extrêmement durs, le plus souvent gardés par
des membres de la Légion française des combattants, milice vichyste pro-nazie. Ces camps regroupent les soldats juifs algériens
des classes 1938 et 1939, mais aussi des opposants, des communistes ou des
francs-maçons. Ils sont affectés à des travaux de terrassement, mais le plus
souvent à "l'épuisante et mortelle corvée de caillasse", selon
les témoignages des "détenus" du camp de Bedeau, dans la
région de Tlemcen.
Le froid et la faim
"Malgré le climat glacial la nuit, et torride le
jour, les hommes sont logés sous la tente dans des conditions d'hygiène
précaire. Ils ont des vêtements de rebut et une nourriture insuffisante (...)
Ils y endurent le froid, la faim, les brimades"
Archives
du centre de documentation juive contemporaine
En novembre 1942, les Américains débarquent en Algérie
et au Maroc, mais les "Groupes de travailleurs israélites" ne
disparaîtront pas avant avril 1943. Un document de l'époque dénonce le
fait que "les travailleurs qui sont suspectés de sentiments
pro-américains sont sévèrement punis ou battus". A leur arrivée
en Algérie, les Anglo-Américains dénombrent 2 000 détenus dans ces camps.
Les militaires fidèles à Vichy redoutent surtout de
voir ces jeunes soldats juifs rejoindre les Français libres de Leclerc, alors qu'à
Alger la bataille fait rage entre giraudistes et gaullistes. Il faut attendre
la victoire définitive de ces derniers pour que les camps de travail soient
finalement fermés, entre avril et juillet 1943. Quant au décret
Crémieux, il est rétabli en Algérie le 18 mars 1943, quand les vichystes sont
affaiblis en Afrique du Nord.
Beaucoup de ces prisonniers s'engageront immédiatement
pour participer aux campagnes d'Italie et de Provence jusqu’en Allemagne, où
ils participeront à la libération des camps.