FINANCES-ENQUÊTES ET REPORTAGES-FRAUDE
/CORRUPTION- ENQUÊTE ICIJ/PANDORA PAPERS 2021
©Afp/Liberté
L'enquête, publiée dimanche 3 octobre 2021 par le Consortium
international des journalistes d'investigation (ICIJ) et à laquelle ont
collaboré environ 600 journalistes, s'intitule “Pandora Papers”, référence à la boîte de Pandore. Elle s'appuie sur quelque 11,9
millions de documents provenant de 14 sociétés de services financiers et a mis
au jour plus de 29 000 sociétés offshore. L'ICIJ s'est
fait connaître, début avril 2016, avec les “Panama Papers”, une enquête appuyée
sur quelque 11,5 millions de documents provenant d'un cabinet d'avocats panaméen.
Ils détaillaient les avoirs cachés de milliers de clients de Mossack Fonseca, dont des personnalités de premier plan.
L'onde de choc de cette publication a notamment entraîné la démission du
Premier ministre islandais Sigmundur David Gunnlaugsson et du chef du gouvernement pakistanais Nawaz Sharif. Depuis 2013 et la publication des “Offshore Leaks”, déjà par l'ICIJ, de nombreuses enquêtes
journalistiques coordonnées ont révélé les noms d'entreprises, de dirigeants ou
de personnalités ayant recours à des montages financiers opaques, notamment les
“LuxLeaks” (2014) ou les “Paradise
Papers” (2017) évoquant le prince Charles, le champion de Formule 1 Lewis
Hamilton ou le groupe Nike. Créé en 1997 par le Centre américain pour
l'intégrité publique, l'ICIJ est devenu une entité indépendante en 2017. Son
réseau compte des journalistes d'investigation dans plus de 100 pays et
territoires, avec quelque 100 médias partenaires.
Les milliards offshore de dizaines de dirigeants politiques
Plusieurs dirigeants, dont le Premier ministre tchèque, le roi de Jordanie
ou les présidents du Kenya et d'Équateur, ont dissimulé des avoirs dans des
sociétés offshore notamment à des fins d'évasion fiscale, selon une enquête
publiée dimanche par le Consortium international des journalistes
d'investigation (ICIJ). L'enquête, à laquelle ont collaboré environ 600
journalistes, s'intitule “Pandora Papers”, référence à la légende de la boîte
de Pandore. Elle s'appuie sur quelque 11,9 millions de documents provenant de
14 sociétés de services financiers et a mis au jour plus de 29
000 sociétés offshore. Selon ces documents, le roi Abdallah II de
Jordanie a créé au moins une trentaine de sociétés offshore, c'est-à-dire dans
des pays ou territoires à fiscalité avantageuse, et acheté par leur biais 14
propriétés de luxe aux États-Unis et au Royaume-Uni, pour plus de 106 millions
de dollars.
En Jordanie, le palais royal a déclaré lundi que ces “informations de
presse sont inexactes, déformées et exagérées” et qu'elles constituent une
“menace pour la sécurité du monarque et celle de sa famille”. Le Premier
ministre tchèque, Andrej Babis, a placé selon
l'enquête 22 millions de dollars dans des sociétés écran pour financer l'achat
du château Bigaud, une grande propriété à Mougins
dans le sud de la France. “Je n'ai jamais rien fait d'illégal ou de mal”, a tweeté M. Babis, “mais cela ne les empêche pas d'essayer de
me dénigrer et d'influencer les élections législatives tchèques”, prévues
vendredi et samedi prochains.
Le président équatorien Guillermo Lasso a, lui, logé des fonds dans deux
trusts dont le siège se trouve aux États-Unis, dans le Dakota du Sud, selon
l'ICIJ qui épingle également les présidents du Chili et de République
dominicaine. “Tous mes revenus ont été déclarés et j'ai payé les impôts
correspondants en Équateur, faisant de moi l'un des principaux contribuables
dans le pays à titre personnel”, a assuré dans un communiqué M. Lasso, un
ancien banquier. “Tous les investissements réalisés en Équateur et à l'étranger
se sont toujours faits dans le cadre de la loi.” Au total, des liens ont été
établis par l'ICIJ entre des actifs offshore et 336
dirigeants et responsables politiques de premier plan qui ont créé près de 1000
sociétés dont plus des deux tiers aux îles Vierges britanniques.
Environ deux millions des 11,9 millions de documents proviennent du cabinet
d'avocats panaméen Alcogal (Aleman, Cordero, Galindo & Lee) qui
selon l'ICIJ a joué “un rôle majeur dans l'évasion des taxes” et est impliqué
dans la création de comptes pour dissimuler l'argent de plus de 160
personnalités dont le roi de Jordanie ou le Premier ministre tchèque. “Alcogal rejette ces spéculations, inexactitudes et
mensonges”, a dit le cabinet dans un communiqué. “Cela démontre que les gens
qui pourraient mettre fin au secret de l'offshore, en finir avec ce qui s'y
passe, en tirent eux-mêmes profit”, a commenté dimanche dans une vidéo le
directeur de l'ICIJ, Gerard Ryle. “On parle de milliers de milliards de
dollars.”
Pour Maira Martini, chercheuse de l'ONG Transparency International, cette enquête apporte une
nouvelle “preuve claire que l'industrie offshore fait le jeu de la corruption
et de la criminalité financière, tout en faisant obstruction à la justice”. “Ce
modèle économique” basé sur le secret financier “ne peut plus continuer”. Parmi
les personnalités exposées figurent également la chanteuse colombienne Shakira,
le mannequin allemand Claudia Schiffer ou la légende indienne du cricket Sachin
Tendulkar. Apparaissent aussi les noms de l'ancien
Premier ministre britannique Tony Blair, pour l'achat d'un bien immobilier à
Londres, et de l'ancien ministre français Dominique Strauss-Kahn.
L'ex-directeur général du Fonds monétaire international (FMI) a fait transiter
plusieurs millions de dollars d'honoraires de conseil à des entreprises par une
société marocaine exempte d'impôts, selon l'enquête. Au total, selon le quotidien
français Le Monde partenaire de l'ICIJ, 600 Français apparaissent dans
l'enquête dont “un conspirationniste d'extrême droite” qui a recouru à une
société aux Seychelles “pour vendre livres et pilules miracles”.
Dans la plupart des pays, ces faits ne sont pas susceptibles de poursuites.
Mais pour les dirigeants, l'ICIJ dresse un parallèle entre le discours
anti-corruption de certains et leurs placements dans des paradis fiscaux. Le
président kényan Uhuru Kenyatta a ainsi maintes fois
affirmé sa détermination à lutter contre la corruption dans son pays et à
obliger les officiels kényans à la transparence quant à leur patrimoine.
Pourtant, selon les “Pandora Papers”, M. Kenyatta possède une fondation au
Panama et plusieurs membres de sa famille directe détiennent plus de 30
millions de dollars logés dans des comptes offshore.
REPÈRES
Offshore Leaks
L'ICIJ (International consortium of investigative journalists) se procure 2,5 millions de documents (emails,
mémos internes, pièces comptables...) concernant 122 000 sociétés offshore,
gérées à Singapour et aux îles Vierges britanniques. En 2013, les médias
partenaires révèlent quelques-uns des milliers de détenteurs d'intérêts dans
les paradis fiscaux, parmi lesquels le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev. Une base de données “Offshore Leaks”
accessible sur le site de l'ICIJ permet de démêler les liens entre les sociétés
écrans et leurs bénéficiaires.
China Leaks
C'est le deuxième volet de révélations des “Offshore Leaks”,
publié en 2014 en raison des difficultés de traduction. Le consortium dévoile
les placements dans les paradis fiscaux de dignitaires chinois, dont plusieurs
proches du chef de l'État Xi Jinping. En représailles, les autorités bloquent
l'accès aux sites de l'ICIJ et des médias collaborateurs.
Luxleaks
Fin 2014, l'ICIJ dénonce un système d'accords fiscaux entre le Luxembourg et
340 multinationales, dont Apple, Amazon ou Ikea, afin de minimiser leurs
impôts. Les accords avaient été passés entre 2002 et 2010 lorsque Jean-Claude
Juncker était Premier ministre. Même fragilisé, il est maintenu à la tête de la
Commission européenne. L'enquête s'appuie sur des documents transmis par deux
lanceurs d'alerte, Raphaël Halet et Antoine Deltour, anciens employés du cabinet d'audit PwC, au
journaliste Edouard Perrin. Inculpés au Luxembourg notamment pour vol et
violation du secret d'affaires, Raphaël Halet a écopé
d'une amende de 1 000 euros en appel en 2017. Antoine Deltour
a vu sa peine de six mois de prison avec sursis et 1 500 euros d'amende
suspendue en 2018. Edouard Perrin a été acquitté.
SwissLeaks
En 2015, l'ICIJ dévoile les pratiques d'évasion fiscale de clients de la banque
HSBC, à partir de données datant de 2005 à 2007. Des milliards détenus sur des
comptes non déclarés à Genève étaient cachés derrière des structures offshore,
parfois constituées par la banque elle-même. De nombreuses personnalités sont
impliquées, dont le roi du Maroc Mohammed VI, le roi de Jordanie Abdallah II ou
encore un cousin du président syrien Bachar al-Assad.
Les journalistes ont eu accès à une partie des documents subtilisés par
l'ex-informaticien franco-italien de HSBC Hervé Falciani,
condamné par défaut à cinq ans de prison par la justice suisse en 2015 pour
espionnage économique. L'administration française détenait depuis plusieurs
années les fichiers qui avaient notamment servi à établir une liste de 3000
contribuables fraudeurs.
Panama Papers
La fuite de 11,5 millions de documents du cabinet d'avocats panaméen Mossack Fonseca permet une gigantesque enquête qui révèle
l'argent caché de dizaines de responsables politiques, de milliardaires ou
encore de stars du football, ainsi que l'implication de grandes banques dans la
création de sociétés offshore. Les publications entamées en 2016 provoquent
entre autres la démission du Premier ministre islandais Sigmundur
David Gunnlaugsson et la destitution du Premier
ministre pakistanais Nawaz Sharif. Suite aux Panama
Papers, au moins 150 enquêtes ont été lancées dans plus de 70 pays pour évasion
fiscale ou blanchiment d'argent supposés, selon l'ICIJ.
Paradise Papers
Fin 2017, les “Paradise Papers”, basés sur 13,5
millions de documents financiers provenant notamment d'un cabinet international
d'avocats basé aux Bermudes, révèlent des circuits planétaires d'optimisation
fiscale utilisés par des personnalités (le chanteur Bono, la reine Elizabeth
II, le coureur automobile Lewis Hamilton...) et par certains grands groupes
internationaux (Nike, Apple, Uber...). Ils affirment avoir eu recours à des
montages légaux.
Luanda Leaks
L'ICIJ publie début 2020 les “Luanda Leaks”, accusant
Isabel dos Santos, fille de l'ancien président angolais Jose Eduardo dos
Santos, d'avoir “siphonné l'économie angolaise”. Trois jours après les
révélations, la justice angolaise, qui avait déjà gelé les avoirs d'Isabel dos
Santos en Angola, accuse formellement la milliardaire et plusieurs de ses
associés portugais de fraude, détournement de fonds et blanchiment d'argent.
Elle évoque le détournement de plus d'un milliard de dollars des groupes
publics pétrolier et de diamants. Dans la foulée, la justice portugaise gèle à
son tour ses comptes et certains de ses actifs au Portugal.