FINANCES-
ETRANGER- DETTE CHINOISE
© Julien Bouissou/fb, septembre 2021
Comment la Chine tient les pays en
développement par la dette ?
Depuis
vingt ans, Pékin a versé, en dons et surtout en prêts, 843 milliards de dollars
à 163 pays à faible et moyen revenu, selon un rapport américain. La Chine est
certes généreuse, mais son aide se paie cher.
Par
Julien Bouissou
Les
financements de la Chine en direction des pays en développement ont atteint des
sommets, dépassant de loin l’aide déboursée par l’ensemble des pays riches de
la planète.
Pékin a
versé, en dons et surtout en prêts, 843 milliards de dollars (722 milliards
d’euros) à 163 pays à faible et moyen revenu au cours des deux dernières
décennies, soit six fois l’enveloppe budgétaire du plan Marshall, destinée à la
reconstruction de l’Europe au lendemain de la seconde guerre mondiale (en
tenant compte de l’inflation de la devise américaine depuis 1947). Cela
représente, en moyenne annuelle, 85 milliards de dollars, soit deux fois plus
que les sommes versées par les Etats-Unis et les autres grandes puissances.
Ce
chiffre inédit, tiré d’un rapport de l’université américaine William &
Mary, publié mercredi 29 septembre, donne une idée de l’ampleur de
l’expansionnisme chinois et de la situation de dépendance dans laquelle se
trouvent les pays en développement.
L’encours
des emprunts chinois dépasse désormais les 10 % du produit intérieur brut (PIB)
dans quarante-deux pays en développement alors que leurs finances publiques
sont fragilisées par la crise du Covid-19.
Pour
parvenir à ces estimations, plus d’une centaine de chercheurs du monde entier,
en Allemagne, en Afrique du Sud, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, ont
décortiqué près de 91 000 documents officiels de 13 427 projets financés par
Pékin, rédigés dans de nombreuses langues, du néerlandais au persan en passant
par le portugais.
Une aide
qui se paie cher
La Chine
est généreuse, mais son aide se paie cher. Contrairement aux pays riches, elle
ne finance pas les économies en développement avec une majorité de dons et de
prêts à taux réduits. Depuis le lancement des «nouvelles
routes de la soie» en 2013, la part des prêts commerciaux a rapidement pris le
dessus, notamment pour financer les grands projets d’infrastructures – avec un
coût supérieur à 500 millions d’euros – dont le nombre a triplé en moyenne
annuelle entre 2013 et 2017.
«Depuis, la Chine a réduit la voilure, remarque
cependant Andrew Small, chercheur au German Marshall Fund.
La crise
du Covid-19 est passée par là et les grands projets ne sont pas sans
conséquences politiques et diplomatiques.» Dans des
pays comme les Maldives ou le Sri Lanka, les financements chinois ont par
exemple été accusés de favoriser le pouvoir en place, d’alimenter la corruption
ou d’alourdir la dette.
Les taux
d’intérêt pratiqués sont parfois élevés car la Chine « prête de manière
disproportionnée à des pays dont la solvabilité est fragile », peut-on lire
dans le rapport.
Pékin
peut exiger de ces pays de souscrire une assurance, ou de demander la caution
d’un tiers pour se protéger des risques, voire de gager les prêts sur des
actifs. Même si la Chine a rarement pris le contrôle d’infrastructures gagées
comme des ports ou des terrains, elle peut en tirer des gains géopolitiques.
L’exploitation du port de Hambantota, au Sri Lanka,
étape importante du trafic maritime dans l’océan Indien, a été confiée en 2019
à une société chinoise pour 99 ans, à la suite de l’incapacité de Colombo à
honorer sa dette.
Les
auteurs du rapport montrent toutefois que les liquidités sont en majorité
utilisées comme garantie. «Des créanciers chinois
demandent qu’une somme équivalente à une partie du prêt soit déposée sur un
compte offshore, celle-ci pouvant être saisie en cas de défaut, rapidement et
sans passer par les tribunaux », explique Bradley Parks, le directeur du laboratoire
AidData, à l’université William & Mary.
Lorsque
les gouvernements, surendettés, n’ont pas la capacité d’emprunter, la Chine
leur propose d’autres choix. Elle prête par exemple à des entreprises ou à des
organismes semi-étatiques – sommes qui ne figurent pas dans les comptes publics
– tout en réclamant des garanties de l’Etat. A l’été 2020, Pékin a ainsi
demandé au gouvernement des Maldives de lui rembourser le prêt d’un homme
d’affaires en faillite, qui lui avait été accordé avec une garantie de l’Etat.
Problèmes
de transparence démocratique
Plus des
deux tiers des prêts chinois analysés par AidData
sont ainsi distribués à des joint-ventures ou à des entités qui ne dépendent
pas directement du gouvernement alors qu’ils ne constituaient qu’une petite minorité
avant 2013. A la moindre crise, ces dettes privées peuvent soudain se
transformer en dettes publiques.
«Le problème, ce n’est pas seulement que le
montant d’une dette soit confidentiel, mais que les pays en développement ne
sachent pas combien ils devront rembourser au cours des prochaines années»,
déplore M. Parks. Ces encours dissimulés représenteraient dans les pays en
développement l’équivalent de 5,8 % de leur PIB.
«Déjà problématiques en temps normal, les dettes
cachées sont particulièrement inquiétantes au moment de la pandémie de Covid-19
car les capacités de remboursement des pays à bas et moyen revenu sont
diminuées», avertit le rapport.
Selon le
dernier décompte du Fonds monétaire international, trente-six pays frôlent le
défaut de paiement ou y sont déjà et quarante-sept ont bénéficié d’une
initiative de suspension du service de la dette dans le cadre du G20. Une
situation de fragilité dont la Chine, devenue en l’espace de trente ans le
premier créancier de la planète, pourrait tirer profit, comme cela s’est
produit dans le passé.
Alors
qu’elle cherchait à imposer son candidat à la tête de l’Organisation des
Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en 2019, elle a
discrètement annulé la dette de 70 millions de dollars du Cameroun, qui, peu de
temps après, a retiré son candidat de la course.
L’augmentation
rapide des emprunts chinois dans les pays en développement complique aussi les
procédures de restructuration collective des dettes. Pékin exigeant que
les montants restent confidentiels, comment
les créanciers d’un pays au bord du défaut de paiement peuvent-ils évaluer sa
solvabilité ou ses capacités de remboursement ? Et comment s’assurer que le
principe de l’équité dans le traitement des créanciers soit respecté ? De plus,
cette opacité pose de sérieux problèmes de transparence démocratique, puisque
les gouvernements doivent cacher
à leurs contribuables les sommes que ces
derniers devront rembourser tôt ou tard.
En 2020,
la Chine s’est engagée pour la première fois à collaborer au Club de Paris et à
participer aux efforts collectifs de restructuration de la dette, mais les
résultats sont encore incertains. «Dans les réunions
internationales, Pékin dit le contraire de ce qui est écrit dans ses contrats»,
souligne Bradley Parks.