DEFENSE- ETUDES ET ANALYSES / RAPPORT DE RECHERCHE/ TERRORISME
/FINANCEMENT/EUROPE (II/II)
L’UNION EUROPÉENNE ET
LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET SON FINANCEMENT
© Mohammed DJAFOUR (Algérie) , docteur en droit public de
l’université de Lille et spécialiste de la lutte contre le blanchiment et le
financement du terrorisme/Centre
Français de Recherche sur le Renseignement Cf2R, septembre 2021.Extrait.Conclusion.
CONCLUSION : UN BILAN
MITIGÉ : Le financement du
terrorisme se fait grâce à des sources financières multiples, privées ou
publiques, légales et illégales et via des circuits financiers formels et informels
- la hawala1 et les passeurs de fonds étant les plus emblématiques - permettant
aux terroristes le déplacement rapide et discret de leurs fonds. Fondés sur la
clandestinité et l’anonymat, il est quasiment impossible de détecter voire
d’encadrer ces circuits qui sont en constante mutation grâce à l’évolution
des technologies de paiement. Cela constitue un défi majeur pour les enquêtes
criminelles car cela exige une adaptation constante des moyens de lutte.
L’Union européenne a
procédé au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 à l’adoption de
plusieurs textes définissant le cadre juridique de sa lutte contre le
financement du terrorisme et destinés à saper les fondations financières des
groupes et organisations terroristes. Toutefois, si l’Union européenne dispose
aujourd’hui d’un cadre juridique lui permettant de lutter contre le financement
du terrorisme et d’un ensemble d’instruments de coopération pénale, l’efficacité
globale de son action demeure limitée.
Si l’intention de
l’Union européenne derrière l’adoption de mesures antiterroristes était celle
d’assécher les ressources financières de terrorisme, l’efficacité de certaines
d’entre elles peut être remise en cause. L’alignement de l’Union européenne sur
les choix américains après les attentats de 2001 et l’inclusion de la lutte
contre le financement du terrorisme dans le dispositif européen relatif à la prévention
du système financier contre le risque de blanchiment de capitaux semble un
choix politique et largement inadapté à la lutte contre le financement du
terrorisme. C’est un choix politique car cette inclusion est intervenue dans un
mouvement de précipitation qui a suivi les attentats du 11 septembre 2001 mais
aussi dans un élan de solidarité avec le peuple américain. C’est aussi un choix
inadapté car le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme sont
deux phénomènes différents. Ni leurs objectifs, ni l’origine des fonds, ni leur
mode opératoire ne sont semblables. A cela s’ajoute la nature de l’activité
terroriste qui privilégie la clandestinité et l’anonymat. Cela suggère que les
terroristes ne vont pas privilégier l’utilisation des circuits financiers
formels, dont la surveillance est de plus en plus renforcée. Ils vont
privilégier celle de circuits informels, afin d’éviter tout risque
d’identification de leurs activités.
Par ailleurs, si Europol
et Eurojust sont les principaux acteurs de la coopération européenne en matière
policière et pénale, leurs actions sont limitées par de nombreux obstacles, en particulier
la résistance des Etats membres à une véritable coopération pénale. En effet,
en matière de lutte contre le terrorisme, ceux-ci privilégient les coopérations
bilatérales permettant le contrôle de l’information.
A plusieurs reprises,
l’Union a appelé ses Etats membres à renforcer leur coopération policière et
judiciaire, mais sans que cela soit d’un grand effet à ce jour.
Malheureusement, un climat de méfiance et de résistances étatiques continue de
prévaloir. Pourtant, la coopération en matière pénale est aujourd’hui
indispensable en raison de l’internationalisation du terrorisme et de son
financement.
Le présent rapport a
cherché à mettre en en lumière aussi bien les efforts significatifs de l’Union
européenne contre le terrorisme et son financement que les faiblesses de cette lutte.
Si depuis les attentats du 11 septembre 2001 l’UE essaie de rendre sa lutte
contre les assises financières du terrorisme plus efficace, en modifiant les
textes juridiques existant, en adoptant de nouveaux textes ou en mettant en
place différents instruments, leur efficacité reste grandement dépendante de la
volonté politique des Etats membres et des institutions de l’Union. Dans un
rapport du 24 juillet 2019, la Commission a identifié 47 vulnérabilités dans le
système européen de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement
du terrorisme. Elle a souligné également la difficulté de mise en oeuvre, dans certains Etats membres, des textes européens
relatifs à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du
terrorisme. Elle a
enfin
insisté sur la nécessité d’une mise en oeuvre
intégrale de ces textes, par tous les Etats membres.
Aujourd’hui, l’absence
de volonté politique concernant la coopération policière et pénale reste la
principale lacune de la politique de lutte contre le terrorisme et son
financement de l’UE. Une problématique qu’elle ne pourra pas résoudre en légiférant.
C’est aux Etats membres d’agir et de rendre plus efficaces les règles
européennes de lutte contre le terrorisme et son financement.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
1 Système informel de transfert d'argent via un
réseau d'intermédiaires. Il a pour spécificité de ne pas nécessiter de moyens
de paiement et d'être basé sur la confiance entre les protagonistes, avec des
promesses non écrites de remboursement. L'hawala est
utilisé principalement dans les marchés sous-bancarisés, mais également à des
fins de blanchiment d'argent, d'évasion fiscale ou de financement d'activités
illicites. Comme il est très difficile à détecter, il est illégal dans de
nombreux Etats.