COMMUNICATION
– FORMATION CONTINUE- COM’ PRESIDENTIELLE/AVIS J-M APATHIE
© Propos recueillis
par Benjamin Meffre/ www.ozap.com et www.puremedias.com, septembre 2021
« Observateur de la vie politique depuis près de 40 ans, Jean-Michel Aphatie consacre un
livre au quinquennat d'Emmanuel Macron. Intitulé "Les amateurs"
(Editions Flammarion), celui-ci fait le procès en incompétence de la macronie depuis son installation au pouvoir en 2017,
notamment dans sa relation aux médias. Le chroniqueur de "C l'hebdo"
sur France 5 et de "24h Pujadas" sur LCI
pose aussi dans cet ouvrage un regard critique sur le travail des journalistes
depuis le début du mandat du chef de l'Etat en 2017. puremedias.com est
parti l'interroger*.
puremedias.com : Dans
votre livre, vous taxez le quinquennat macroniste
d'amateurisme généralisé. Diriez-vous qu'il était aussi amateur dans son
rapport aux médias ?
Jean-Michel Aphatie : Je pense qu'Emmanuel
Macron a peu réfléchi à ce que devait être la communication d'un président de
la République. Il a dessiné une posture jupitérienne qui a eu pour conséquence
de mettre à distance les journalistes et d'instiller une forme de mépris. Ce
n'est pas une bonne réponse. Une mécanique de pouvoir doit communiquer,
expliquer et accepter la critique. La posture jupitérienne, c'est pour les
enfants, pas pour la vraie vie. Donc oui, dans la conception des choses,
c'était un peu de l'amateurisme.
Cette "posture
jupitérienne" se voulait une forme de rupture avec la relation de
proximité entretenue par François Hollande avec les journalistes lors du
quinquennat précédent... :
François Hollande a toujours aimé les journalistes. Il en a laissé certains
s'introduire trop près du coeur du pouvoir, et
notamment Gérard Davet et Fabrice Lhomme (auteurs
d'"Un président ne devrait pas dire ça", ndlr). C'est bien sûr une
faiblesse. Mais on ne définit pas une relation avec les journalistes en faisant
simplement l'inverse de ce qu'a fait François Hollande. On doit définir une
communication en fonction des actions qu'on mène et des objectifs que l'on
vise. Aujourd'hui, la relation de la macronie aux
médias s'est cependant améliorée par rapport au début du quinquennat. Il y a
des gens disponibles, qui acceptent le dialogue. Les deux premières années de
mandat ont en revanche été stupides du point de vue de la communication. Vous
n'aviez personne au bout du fil et quand vous aviez quelqu'un, c'était pour ne
rien vous dire. Conséquence, le pouvoir ne pouvait pas faire passer les
messages qu'il voulait faire passer dans la presse.
Emmanuel Macron a-t-il
selon vous un goût de la transgression dans son rapports aux médias
?:
Oui. Mais la transgression quand on a 20 ans, ça a un sens. Quand on a 40 ans
et qu'on est président de la République, à quoi cela sert-il
? A fâcher des gens ?
Cela peut servir à
parler à d'autres publics comme lorsque le chef de l'Etat fait une vidéo Youtube
avec McFly et Carlito pour s'adresser
aux jeunes ?:
Pour moi, ce n'est pas véritablement de la transgression. Emmanuel Macron
sollicite ces deux youtubeurs pour faire passer des messages sanitaires auprès
des jeunes. Le dialogue se noue à ce moment-là et il y a une contrepartie : la
vidéo à l'Elysée. Si on oublie le début, on ne comprend pas la suite. McFly et Carlito n'arrivent pas à l'Elysée par la voie du ciel. Pour
faire passer un message aux plus jeunes sur les gestes barrières, il valait
sans doute mieux les solliciter, eux, que Philippe Bouvard...
Vous décrivez dans votre livre Sibeth Ndiaye,
fraîchement nommée porte-parole et incapable de pousser la porte de son premier
point-presse tant l'angoisse l'étreint. Cette peur physique des journalistes
est-elle plus répandue qu'on ne le pense chez les politiques
?:
Oui. Pour un ministre, pousser la porte et avoir 50 journalistes qui vous
attendent, ça donne un trac digne de Jacques Brel avant d'entrer en scène ! Ils
savent qu'ils ne bénéficieront d'aucune indulgence et qu'un seul mot déplacé de
leur part aura des répercussions énormes. Sibeth
Ndiaye me raconte d'ailleurs l'histoire d'un porte-parole du gouvernement
précédent qui vomissait régulièrement avant ses points-presse.
Ces points-presse
hebdomadaires après les conseils des ministres sont-ils toujours utiles en 2021 ?:
Oui, c'est utile. Cela fait partie de la démocratie. Un conseil des
ministres vient de se tenir, il est important, démocratiquement, de savoir ce
qu'il s'y est dit.
Vous évoquez aussi
dans votre ouvrage la dureté envers les journalistes dont peut faire preuve la
même Sibeth Ndiaye. Elle aurait par exemple lancé à
un reporter : "Toi t'es mort, tu n'auras plus rien"... :
Elle n'est pas la seule à avoir recours à ce genre de phrases. Sibeth Ndiaye a une forme de brutalité. C'est un soldat au
service d'Emmanuel Macron qui, comme elle le dit elle-même, est prête à mentir pour
protéger le président. Elle avait parfois de mauvais réglages avec la presse.
Dans votre livre, vous
évoquez aussi le cas de Bruno Roger-Petit, ex-journaliste devenu porte-parole
de l'Elysée en 2017. Est-ce que ces transferts entre les deux milieux ne
desservent pas autant le journalisme que la politique ?:
Je dirais que non. Faire de la politique, c'est servir la collectivité.
C'est bien qu'il y ait des gens qui acceptent de quitter une position
professionnelle pour s'occuper des affaires publiques. Ils peuvent être
bouchers, cordonniers mais aussi journalistes. Si on définit une profession qui
n'aurait pas le droit d'accepter une fonction publique, on définirait quelque
chose d'artificiel. On ne peut pas a priori conceptualiser le fait que des
journalistes ne pourront pas franchir le pas de la politique. Cela ne me paraît
pas juste comme pensée. Dans le livre, je me moque cependant un peu de Bruno
Roger-Petit qui, quand il écrivait dans "Challenges", disait
d'Emmanuel Macron qu'il était un génie. Quand il dit qu'il n'y a pas de lien
entre le contenu de ses papiers et sa nomination, on peut le croire ou on peut
ne pas le croire...
Vous revenez aussi longuement dans votre livre sur le traitement de
l'affaire Hulot par les médias. Vous estimez qu'ils n'ont pas bien fait leur
travail à ce moment-là... :
Oui, je dirais même que le travail n'a pas été fait. Le papier d'"Ebdo" (paru en 2018 et relatant le dépôt
d'une plainte pour viol contre Nicolas Hulot en 2008, classée sans suite, ndlr)
est mal fait mais apporte une information : une plainte pour viol a été déposée
contre Nicolas Hulot. C'est colossal ! Je rappelle qu'à l'époque de ces révélations,
Nicolas Hulot est un poids lourd du gouvernement. "Ebdo"
dit aussi que Nicolas Hulot et son accusatrice se sont croisés 10 ans avant le
dépôt de la plainte, en 1997. Ce qui m'intéresse c'est comment la machine
médiatique traite cette information. Elle ne la traite pas. Au motif que la
victime présumée ne veut pas s'exprimer, elle ne cherche pas à savoir. Elle ne
cherche pas à savoir comment la rencontre s'est nouée, ce qui a pu se passer,
comment un homme de 42 ans à l'époque, en 1997, rencontre une photographe de 19
ans. La presse ne cherche rien.
Vous critiquez aussi
durement l'interview de Nicolas Hulot que réalise Jean-Jacques Bourdin juste
avant la parution de l'enquête d'"Ebdo"... :
Parce que je pense qu'il a fait ce qu'il ne fallait pas faire. Le premier
qui met la presse sur de mauvais rails, c'est Jean-Jacques Bourdin. Il
accueille Nicolas Hulot la veille de la publication de l'enquête. On entend en
écoutant l'interview qu'il n'a pas lu l'enquête. Les seules questions que pose
Jean-Jacques Bourdin concernent la souffrance que ressent son invité et s'il va
démissionner du gouvernement. La victime devient Nicolas Hulot. Ce moment sera
fondateur de deux manières. Tout d'abord, Nicolas Hulot renverra ensuite
systématiquement vers cette interview avec Jean-Jacques Bourdin dès qu'on le
questionnera de nouveau sur cette affaire, sur le mode "J'ai tout
dit". Et puis dès le jeudi 8 février, le pouvoir se met au carré. Bruno
Roger-Petit évoque "la sérénité de marbre" du président de la
République. Edouard Philippe dit que Nicolas Hulot s'est très bien expliqué.
Marlène Schiappa affirme que Nicolas Hulot est un
homme bien. Et puis plus rien ensuite... Cette interview est un coup de génie à
étudier dans toutes les écoles de communication.
Pourquoi les journalistes
n'ont-ils selon vous pas cherché à creuser cette affaire ?:
Il n'y a que des hypothèses. Moi, ce qui me met en mouvement, c'est la négation
de la victime présumée dans cette affaire. On ne peut pas dire que le mouvement
#Metoo est formidable et la négliger comme on l'a fait. Sinon, c'est que nous
n'avons tiré aucune leçon de #Metoo. Il se trouve que la personne accusée est
la plus populaire de France. Il me paraît évident, même si cela reste une
hypothèse, que la popularité de Nicolas Hulot est une protection. D'habitude,
vous avez toujours un titre de presse qui cherche. Là, aucun. La machine ne
s'est pas mise en mouvement. Comment l'expliquer sinon par la force de l'image
publique de Nicolas Hulot ?
Comment avez-vous la
certitude qu'aucune enquête n'a été menée par des journalistes sur cette affaire ?:
J'amène des éléments nouveaux sur cette affaire dans mon livre. S'ils ont
cherché, ils n'ont pas beaucoup fouillé...
Vous terminez votre livre en évoquant Eric
Zemmour qui a commencé comme vous sa carrière de journaliste politique à la fin
des années 1980. Vous écrivez : "Il y a longtemps qu'Eric
Zemmour a cessé d'être journaliste, s'il l'a été un jour". Pour vous, il
ne l'a jamais été ?
Non, il l'a été puisque des gens l'ont embauché en tant que journaliste...
"Nous avons une responsabilité, nous les médias. Nous avons fabriqué
Éric Zemmour", disiez-vous récemment dans "C l'hebdo" sur France
5. Qui visez-vous ?:
Eric Zemmour commence à être condamné pour incitation à la haine à partir du
début des années 2010. Tous les gens qui continuent à l'employer ensuite savent
qui ils emploient...
Vous avez travaillé sur la même radio que lui, RTL, pendant plusieurs
années. Quels étaient vos rapports à l'époque ?:Des plus lointains. On
m'a proposé de débattre avec lui plusieurs fois. J'ai toujours refusé.
A force de commenter la vie politique, n'êtes-vous tenté de vous lancer en politique ?:
Jamais ! Je n'ai aucune envie d'être candidat à la présidentielle (rires).
Que pensez-vous de la proposition de Stéphane Séjourné de décompter le temps de parole des éditorialistes
"les plus engagés" ?:
C'est stupide. Faire des éditoriaux, c'est aussi du journalisme. Cela consiste
à incarner des sentiments autour de l'actualité. Les éditorialistes, même les
plus engagés, ne peuvent pas être décomptés dans un camp politique. Dans le cas
d'Eric Zemmour, c'est un peu différent puisqu'il
existe une association de financement de sa possible future campagne, des
affiches, des sondages...
Vous avez travaillé sur Europe 1. Que vous inspire l'arrivée de Vincent
Bolloré à la tête de sa maison-mère, Lagardère ?:Arnaud Lagardère a
tenté trop de relances sans continuité. Il s'est usé et a perdu le fil de
l'histoire. Quelqu'un le reprend, tant mieux pour Europe 1. Nous verrons bien
ce qu'en seront les résultats.
Il n'est pas selon vous un danger pour la station ?:
Je n'en sais rien.
Est-ce que la quasi-fin du clair en semaine sur Canal+ vous attriste, vous
qui en avez été l'une des figures de proue du temps du "Grand journal