CULTURE- CINEMA- ARTICLE MALIKA
AICHOUR ROMANE (2015) (VI/VI)
Le cinéma algérien : en quête de l’intime
© La Pensée janvier 2015/4 (janvier N° 384), pages 67 à 78
Mis en ligne sur Cairn.info le
22/03/2020
Question de la représentation féminine au cinéma
Quelle est la légitimité d’une telle
posture ? Est-ce une posture intelligente qui produit du sens ?
Pourquoi individualiser l’image féminine au risque de lui faire porter un
discours fragmenté du film, de la séparer des autres personnages ? Le
personnage féminin asexué par exemple produit de fait un personnage masculin
asexué. Aborder l’étude de l’image de la femme dans le cinéma algérien pour
déconstruire les clichés tenaces oui, mais pourquoi de ne pas les déconstruire
avec des films ? L’exil est-il/sera-t-il le territoire libéré pour le
cinéma ? Pas sûr.
Lorsqu’elles ont commencé à faire du
cinéma, on a attendu des réalisatrices un cinéma féminin, une affaire de
femmes, pour avoir accès au cinéma. Toutes les réalisatrices ne sont pas
féministes et il y a des réalisateurs féministes. Seul le cinéma militant ou
engagé peut être questionné avec pertinence car son auteur élève sa cause au
rang d’objet d’étude et en fait le cœur de son œuvre. Faut-il un cinéma
militant pour émanciper la femme et sortir de l’affrontement femme
traditionnelle occupant la salle familiale imaginaire et femme publique diabolisée
et maintenant orientalisée ? Certainement. L’engagement n’est que
subjectivité. C’est pourquoi le cinéma algérien a besoin d’un regard
provocateur, militant et agitateur.
L’arrivée de l’intime et du subjectif pour un cinéma
d’auteur
L’absence de l’intime, de la
subjectivité de l’auteur qui aurait des choses à nous dire et en retour une
œuvre qui le révèlerait, l’absence de la représentation féminine semblent cohabiter
tristement dans nombre de films algériens. Une triple absence sans fécondité, sans
désir et sans perspective réelle.
Dans un cinéma de l’intime, il est
sûr que la femme, les femmes occuperaient l’espace filmique. Il manque cette
liaison largement déclinée ailleurs : c’est l’histoire d’un homme et
d’une femme. Cet agent de liaison est loin d’habiter le cinéma algérien.
L’intime ou le subjectif est dans le regard de l’auteur, à ne pas confondre
avec l’intimité, notamment sexuelle ou sensuelle qui peut être ou ne pas être
dans l’intime. C’est une posture intelligente chez Tariq Teguia,
Lyes Salem, Yanis Koussim, Sofia Djemaa…
Il faut saluer la subjectivité de Karim Moussaoui pour son film Les
jours d’Avant (2014), plein de sensibilité et d’intelligence. Voilà
donc un vivier d’auteurs assumant pleinement les turbulences qu’ils créent dans
ce timide renouveau du cinéma algérien.
La génération actuelle libère sa
pensée et sa vision, ne s’encombre plus de références particulières. La
formation offre d’autres pistes, l’émigration d’autres échanges et le
quotidien, la réalité s’invitent dans la fiction, le court, le documentaire.
Les scissions et les préoccupations ne sont plus les mêmes… Si le passé
alimente encore largement le cinéma algérien, le passé récent, le réel et le
vécu sont les espaces filmiques des nouveaux venus. On fabrique des histoires,
on imagine, on projette. Hommes et femmes cohabitent à l’image. Les films
deviennent le reflet de ce qui se passe dans la société, sujets abordés de part
et d’autre, homme et femme : l’émigration, la harga,
la sexualité, la liberté, l’oppression, l’inceste, la violence conjugale…
Ils/elles ont connu le terrorisme et ses traumas. L’Algérie anxiogène,
liberticide est au cœur de leurs œuvres. La sacralisation du pays se disloque
sans égratigner l’amour patriotique. Une autre mémoire collective est en train
de se ficeler dans les films, surtout les courts métrages. Le cinéma nouveau
dévoile l’intime et le traitement subjectif des réalisateurs. Des auteurs
naissent, enfin, même si le cinéma en tant que langage complexe souffre de
quelques faiblesses de construction et d’écriture. Il est plus que jamais
nécessaire de former les entrants aux métiers du cinéma comme l’avaient été en
leur temps les Allouache, Belloufa,
Zinet, Tsaki, Laskri, Hamina et autres. C’est
dans une immense solitude que le réalisateur aborde son film en occupant à peu
près tous les postes qui le vident de son énergie et de sa rigueur. À bout de
souffle il ne lui reste que la force de s’engouffrer dans « une salle
familiale ».
« Je ne suis pas un réalisateur
familial » a rétorqué Lyes Salem dans une interview sur une chaine de
radio nationale à propos de la posture du réalisateur algérien et de la (vaine)
polémique suscitée par son film El Wahrani.
Et il a bien raison ! Le cinéma ne devrait pas flatter la société, le
groupe, la tribu contre l’individu et en particulier contre la femme
algérienne. Le cinéma n’est pas une affaire de famille ni le panthéon de la
moralité. La subjectivité est l’essence même de l’art et de l’intime, le regard
intime est cette magnificence du don de soi qu’expérimente le signataire d’une
œuvre. Le reste n’est qu’imposture.