CULTURE- CINEMA- ARTICLE MALIKA
AICHOUR ROMANE (2015) (V/VI)
Le cinéma algérien : en quête de l’intime
© La Pensée janvier 2015/4 (janvier N° 384), pages 67 à 78
Mis en ligne sur Cairn.info le
22/03/2020
Merzak Allouache : Magnéto
ou la voix humaine
Dans Omar Gatlato (1976) chronique de l’ordinaire où le
public algérien se reconnaît et se retrouve enfin, Merzak
Allouache construit son histoire autour d’une (voix
de) femme… mais absente. C’est un véritable tour de force et peut-être une
première image fantasmatique de la femme algérienne au cinéma. Et comme les
fantasmes ne se réalisent pas, Omar n’ira pas au rendez-vous final. Par
ailleurs, on peut aussi y voir la peur de la femme, cette inconnue. Un cinéma
du réel et de l’intime qui marque un vrai tournant. C’est la première
exploitation érotique, romantique, sensuelle de la femme qui est enfin
convoitée. Ce sont aussi les images du désenchantement postindépendance.
Images de femmes : les années 1990
Le terrorisme des années 1990 va
mettre un terme au puissant cinéma tutélaire et sonner le repli, la fuite et
l’exil pour nombre de ses créateurs. C’est dans ce dénuement violent que les
réalisatrices vont trouver leur égalité avec les réalisateurs présents.
La dislocation des structures de
production va désarticuler la fiction au profit du documentaire, moins couteux.
L’interdiction de venir tourner en Algérie qui frappe les médias étrangers va
laisser une place vacante pour la profession et notamment pour les femmes qui
vont l’occuper. Le militantisme de l’extérieur en résistance au discours
islamiste se retrouve dans le cinéma et notamment le cinéma documentaire de ces
années difficiles. Il y a une véritable émergence de jeunes réalisatrices,
reporters, journalistes et photographes qui vont largement alimenter les
télévisions du monde qui scrutent l’Algérie comme un laboratoire. Seules
autorisées à pouvoir entrer librement dans les foyers, cette sphère privée que
leurs collègues hommes partagent discrètement derrière une caméra, elles vont
intelligemment franchir le pas aux postes les plus élevés.
La conscience politique des femmes
s’est élevée comme rarement dans l’histoire récente. Les images de cette époque
sont largement des images de femmes et, souvent, sur la femme. L’histoire de la
représentation des femmes au cinéma et celle de leur entrée dans les métiers du
cinéma se sont développées parallèlement. Et l’image oubliée
apparaît : la Moudjahida. Les femmes
résistantes des années tragiques ont de qui tenir et le font savoir. Les
anciens modèles, les Moudjahidate, sortent avec et
devant elles dans la rue contestataire. Une réhabilitation et une cohabitation
qui vont se pérenniser jusqu’aujourd’hui. Les femmes face et derrière la caméra
témoignent pour l’Histoire. Ces images alimenteront presque tous le cinéma
documentaire qui va naître mais aussi quelques fictions. L’image de la femme a
changé et c’est par son combat et sa résistance, une nouvelle territorialité,
l’extérieur, la rue, les médias, ses luttes permanentes dans la société qu’elle
a changé la construction de l’image féminine au cinéma en embarquant dans son
sillage des figures historiques, libératrices à l’ombre desquelles elles
avaient trouvé un indéfectible engagement.
Masculin et féminin
Cette nouvelle visibilité
s’accompagnera d’une visibilité et d’une mixité solidaires parallèles dans les
films. Dans l’entourage des hommes, les femmes ont changé, évolué, elles ont
enfin des ambitions et des destins personnels. Elles se sont émancipées seules
et sont rentrées violemment dans le monde des hommes qui vont réorienter leur
regard et construire des rôles principaux pour elles. C’est dans ce nouveau
souffle que la subjectivité et l’intime apparaissent clairement. Les hommes et
les femmes se questionnent, s’expriment et ouvrent leurs yeux sur un ordinaire
terriblement vécu par l’ensemble de la société.
On peut citer Hafsa
Zinai-Koudil avec Le Démon au féminin (1993),
Yamina Bachir-Chouikh avec Rachida (2003),
où une jeune institutrice essaie de fuir la violence des terroristes en allant
se terrer dans un petit village à la campagne.
38Le travail courageux et émouvant de Belkacem Hadjadj, les films si
poétiques et intimistes de Brahim Tsaki, l’engagement
du talentueux Mohamed Chouikh, de Kamel Dehane, les films satiriques de Mahmoud Zemmouri,
les films de Merzak Allouache,
Nadir Moknèche vont faire émerger des rôles féminins
très puissants, portés par des comédiennes sans tabous. Même lorsqu’elles
campent des rôles de marginales, c’est d’abord leur formidable liberté qui
porte le film. Il faut saluer ici Biyouna qui a
quitté La grande maison/L’incendie, le gynécée télévisuel de
Mustapha Badie pour devenir une femme libre, taillée dans une algérianité revendiquée, parlée, dansée et chantée. C’est
une image pourtant qui va poser problème à la fois au système établi (elle
s’exilera) et au public qui ne voit en elle qu’une dépravée, le mauvais modèle
pour les femmes.
Dans Mascarades, (Lyes
Salem, 2008) les rôles féminins sont très modernes avec une scène où on
comprend que le couple vient de faire l’amour. On y voit le jeu amoureux, le
désir… Avec beaucoup de finesse, Lyes Salem nous donne à voir en même temps des
femmes qui prennent position, se rebellent. Étrangement, la femme sera
totalement occultée dans son dernier film El Wahrani qui
compulse pourtant 30 ans de postindépendance. Il en va de même pour les récents
films d’Ahmed Rachedi qui ne leur laisse aucune
place, idem pour Crépuscules des ombres, (M. Lakhdar
Hamina, 2014).
Le programme de production dans le
cadre du cinquantenaire est presque entièrement dédié, encore une fois, aux
révolutionnaires ou aux portraits héroïques, au passé. Les femmes, comme
réalisatrices, scénaristes sont les grandes absentes. Il en va de même en tant
que sujets. Reste Fadhma N’Soumeur (Belkacem Hadjadj, 2014) dans lequel le
réalisateur s’est exercé au cinéma spectacle, à la fresque historique (plutôt
réussie) mais qui relègue l’héroïne d’exception dans une posture de madone et
de figure religieuse à l’ombre de Cherif Boubaghla
qui est le vrai héros du film et de Fadhma !
Les Algériennes de l’immigration : des images
solidaires
Quelle est la territorialité de ces
productions ? Algérienne ? Française ou autre ? Il y a une
vision occidentale des femmes du Maghreb et beaucoup s’y engouffrent pour
l’alimenter. Ces films sont peu vus en Algérie et lorsqu’ils le sont, il arrive
qu’ils soient rejetés. Pour la production intra-muros, c’est la distribution
qui fait défaut. Le cinéma algérien peine donc à trouver sa place, son identité
et surtout son public. C’est un « sans papiers »,
tapi dans la clandestinité, en quête d’une affirmation et auquel on pourrait
apposer le titre éponyme de Hamid Skif pour son roman : La
géographie du danger, éditions Naive, Paris,
2006. Cette absence de lieu référence produit des films rejetons qui pour
certains ont même disparu sans laisser de trace.
Les films réalisés par les femmes
rendent hommage aux femmes, enfermées dans une société musulmane violente,
archaïque et soumises à l’autorité masculine. La femme est vite celle qu’il
faut immoler au nom de la tradition dont elle est déclarée gardienne,
responsable... Et prisonnière. Les réalisatrices se font porte-paroles des
mémoires et des souffrances féminines, dans une démarche réparatrice avec le
sentiment d’être justes ou de rétablir une justice. Un cinéma utile mais peu
promoteur de l’émancipation de la femme. Mais il y a des exceptions : Il
faut rendre hommage à la puissance et au talent d’Amel Bedjaoui
avec Un Fils (2004) par exemple, à l’immense travail accompli
par Safinez Bousbia (El
Gusto, 2012). La politique culturelle du cinéma de l’immigration tend à
confiner les réalisatrices maghrébines mais les réalisateurs également, dans
des sujets attendus ou réclamés par un regard occidental hégémonique qui
enferme la condition des femmes musulmanes/africaines dans une image
tourmentée. Fort heureusement, ce n’est pas une règle.