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Article Malika Aichour Romane (2015) (V/VI)

Date de création: 05-09-2021 17:03
Dernière mise à jour: 05-09-2021 17:03
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CULTURE- CINEMA- ARTICLE MALIKA AICHOUR ROMANE (2015) (V/VI)

Le cinéma algérien : en quête de l’intime

© La Pensée janvier 2015/4 (janvier N° 384), pages 67 à 78

 Mis en ligne sur Cairn.info le 22/03/2020

Merzak Allouache : Magnéto ou la voix humaine

Dans Omar Gatlato (1976) chronique de l’ordinaire où le public algérien se reconnaît et se retrouve enfin, Merzak Allouache construit son histoire autour d’une (voix de) femme… mais absente. C’est un véritable tour de force et peut-être une première image fantasmatique de la femme algérienne au cinéma. Et comme les fantasmes ne se réalisent pas, Omar n’ira pas au rendez-vous final. Par ailleurs, on peut aussi y voir la peur de la femme, cette inconnue. Un cinéma du réel et de l’intime qui marque un vrai tournant. C’est la première exploitation érotique, romantique, sensuelle de la femme qui est enfin convoitée. Ce sont aussi les images du désenchantement postindépendance.

Images de femmes : les années 1990

Le terrorisme des années 1990 va mettre un terme au puissant cinéma tutélaire et sonner le repli, la fuite et l’exil pour nombre de ses créateurs. C’est dans ce dénuement violent que les réalisatrices vont trouver leur égalité avec les réalisateurs présents.

La dislocation des structures de production va désarticuler la fiction au profit du documentaire, moins couteux. L’interdiction de venir tourner en Algérie qui frappe les médias étrangers va laisser une place vacante pour la profession et notamment pour les femmes qui vont l’occuper. Le militantisme de l’extérieur en résistance au discours islamiste se retrouve dans le cinéma et notamment le cinéma documentaire de ces années difficiles. Il y a une véritable émergence de jeunes réalisatrices, reporters, journalistes et photographes qui vont largement alimenter les télévisions du monde qui scrutent l’Algérie comme un laboratoire. Seules autorisées à pouvoir entrer librement dans les foyers, cette sphère privée que leurs collègues hommes partagent discrètement derrière une caméra, elles vont intelligemment franchir le pas aux postes les plus élevés.

La conscience politique des femmes s’est élevée comme rarement dans l’histoire récente. Les images de cette époque sont largement des images de femmes et, souvent, sur la femme. L’histoire de la représentation des femmes au cinéma et celle de leur entrée dans les métiers du cinéma se sont développées parallèlement. Et l’image oubliée apparaît : la Moudjahida. Les femmes résistantes des années tragiques ont de qui tenir et le font savoir. Les anciens modèles, les Moudjahidate, sortent avec et devant elles dans la rue contestataire. Une réhabilitation et une cohabitation qui vont se pérenniser jusqu’aujourd’hui. Les femmes face et derrière la caméra témoignent pour l’Histoire. Ces images alimenteront presque tous le cinéma documentaire qui va naître mais aussi quelques fictions. L’image de la femme a changé et c’est par son combat et sa résistance, une nouvelle territorialité, l’extérieur, la rue, les médias, ses luttes permanentes dans la société qu’elle a changé la construction de l’image féminine au cinéma en embarquant dans son sillage des figures historiques, libératrices à l’ombre desquelles elles avaient trouvé un indéfectible engagement.

Masculin et féminin

Cette nouvelle visibilité s’accompagnera d’une visibilité et d’une mixité solidaires parallèles dans les films. Dans l’entourage des hommes, les femmes ont changé, évolué, elles ont enfin des ambitions et des destins personnels. Elles se sont émancipées seules et sont rentrées violemment dans le monde des hommes qui vont réorienter leur regard et construire des rôles principaux pour elles. C’est dans ce nouveau souffle que la subjectivité et l’intime apparaissent clairement. Les hommes et les femmes se questionnent, s’expriment et ouvrent leurs yeux sur un ordinaire terriblement vécu par l’ensemble de la société.

On peut citer Hafsa Zinai-Koudil avec Le Démon au féminin (1993), Yamina Bachir-Chouikh avec Rachida (2003), où une jeune institutrice essaie de fuir la violence des terroristes en allant se terrer dans un petit village à la campagne.

38Le travail courageux et émouvant de Belkacem Hadjadj, les films si poétiques et intimistes de Brahim Tsaki, l’engagement du talentueux Mohamed Chouikh, de Kamel Dehane, les films satiriques de Mahmoud Zemmouri, les films de Merzak Allouache, Nadir Moknèche vont faire émerger des rôles féminins très puissants, portés par des comédiennes sans tabous. Même lorsqu’elles campent des rôles de marginales, c’est d’abord leur formidable liberté qui porte le film. Il faut saluer ici Biyouna qui a quitté La grande maison/L’incendie, le gynécée télévisuel de Mustapha Badie pour devenir une femme libre, taillée dans une algérianité revendiquée, parlée, dansée et chantée. C’est une image pourtant qui va poser problème à la fois au système établi (elle s’exilera) et au public qui ne voit en elle qu’une dépravée, le mauvais modèle pour les femmes.

Dans Mascarades, (Lyes Salem, 2008) les rôles féminins sont très modernes avec une scène où on comprend que le couple vient de faire l’amour. On y voit le jeu amoureux, le désir… Avec beaucoup de finesse, Lyes Salem nous donne à voir en même temps des femmes qui prennent position, se rebellent. Étrangement, la femme sera totalement occultée dans son dernier film El Wahrani qui compulse pourtant 30 ans de postindépendance. Il en va de même pour les récents films d’Ahmed Rachedi qui ne leur laisse aucune place, idem pour Crépuscules des ombres, (M. Lakhdar Hamina, 2014).

Le programme de production dans le cadre du cinquantenaire est presque entièrement dédié, encore une fois, aux révolutionnaires ou aux portraits héroïques, au passé. Les femmes, comme réalisatrices, scénaristes sont les grandes absentes. Il en va de même en tant que sujets. Reste Fadhma N’Soumeur (Belkacem Hadjadj, 2014) dans lequel le réalisateur s’est exercé au cinéma spectacle, à la fresque historique (plutôt réussie) mais qui relègue l’héroïne d’exception dans une posture de madone et de figure religieuse à l’ombre de Cherif Boubaghla qui est le vrai héros du film et de Fadhma !

Les Algériennes de l’immigration : des images solidaires

Quelle est la territorialité de ces productions ? Algérienne ? Française ou autre ? Il y a une vision occidentale des femmes du Maghreb et beaucoup s’y engouffrent pour l’alimenter. Ces films sont peu vus en Algérie et lorsqu’ils le sont, il arrive qu’ils soient rejetés. Pour la production intra-muros, c’est la distribution qui fait défaut. Le cinéma algérien peine donc à trouver sa place, son identité et surtout son public. C’est un « sans papiers », tapi dans la clandestinité, en quête d’une affirmation et auquel on pourrait apposer le titre éponyme de Hamid Skif pour son roman : La géographie du danger, éditions Naive, Paris, 2006. Cette absence de lieu référence produit des films rejetons qui pour certains ont même disparu sans laisser de trace.

Les films réalisés par les femmes rendent hommage aux femmes, enfermées dans une société musulmane violente, archaïque et soumises à l’autorité masculine. La femme est vite celle qu’il faut immoler au nom de la tradition dont elle est déclarée gardienne, responsable... Et prisonnière. Les réalisatrices se font porte-paroles des mémoires et des souffrances féminines, dans une démarche réparatrice avec le sentiment d’être justes ou de rétablir une justice. Un cinéma utile mais peu promoteur de l’émancipation de la femme. Mais il y a des exceptions : Il faut rendre hommage à la puissance et au talent d’Amel Bedjaoui avec Un Fils (2004) par exemple, à l’immense travail accompli par Safinez Bousbia (El Gusto, 2012). La politique culturelle du cinéma de l’immigration tend à confiner les réalisatrices maghrébines mais les réalisateurs également, dans des sujets attendus ou réclamés par un regard occidental hégémonique qui enferme la condition des femmes musulmanes/africaines dans une image tourmentée. Fort heureusement, ce n’est pas une règle.