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Article Malika Aichour Romane (2015) (IV/VI)

Date de création: 05-09-2021 17:01
Dernière mise à jour: 05-09-2021 17:01
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CULTURE- CINEMA- ARTICLE MALIKA AICHOUR ROMANE (2015) (IV/VI)

Le cinéma algérien : en quête de l’intime

© La Pensée janvier 2015/4 (janvier N° 384), pages 67 à 78

 Mis en ligne sur Cairn.info le 22/03/2020

Assia Djebar, la dame qui filme

Comme une météorite, Assia Djebar, la pionnière du cinéma algérien va éclairer celui-ci d’une manière de faire inconnue jusque-là et d’une modernité à couper le souffle. Elle vient de la littérature et elle y retournera, alors elle prend tout son temps, froidement, pour les deux temps qui la tourmente : le temps historique et le temps filmique. Cette double posture profondément subjective et intimiste enfantera La Nouba des femmes du Mont Chenoua (1976), produit par la télévision algérienne et avec un allié audacieux que le cinéma séduit : Ahmed Bedjaoui. Assia Djebar débordera toutes les normes et les frontières.

C’est la première femme à libérer son regard, sa pensée et sa réflexion sur d’autres femmes, qui elles, sont enfermées. Deux films (suivra La Zerda ou les Chants de l’oubli, 1982) aux sujets féminins complexes doublés par une complexité de faire. Un traitement et une approche des plus singulières qui resteront sans suite et qui ne feront pas de petites au cinéma… Pour la première fois, le cinéma algérien se dote d’une représentation féminine des femmes et des hommes, de la guerre et de la mémoire. Ce film n’est pas le miroir des femmes ni celui de leur transformation (la protagoniste, alter ego de la réalisatrice est architecte mais ce n’est pas le ressort du film), il est l’instrument de l’émancipation de la femme au cinéma en vertu de sa formidable capacité à instaurer un espace de questionnement des plus élevés : libérer les mots des femmes et la transmission orale de la mémoire, de l’histoire par les femmes. Le tournage ne se fera pas sans mal : « Les femmes refusent d’être filmées car elles ne s’appartiennent pas… Son degré de liberté se mesure avec l’espace qu’elle occupe » (in En attendant Omar Gatlato, Wassila Tamzali, ENAP, 1979).

Alors comment filmer l’enfermement des femmes dans ces espaces immenses, dégagés, où la mer invite à la liberté ? Assia Djebar se révèle polyphonique : poésie, mémoire, histoire, dialectes, cinéma, littérature… formidable feuilleté où chaque espace est questionné. Sans académisme, sans expérience, mais avec des références évidentes (Pasolini, néoréalisme italien, Bergman et la camera libérée de la Nouvelle Vague), elle aborde le cinéma comme une possibilité de dire et de faire les choses autrement et compose sa Nouba. Et qu’importe si la Nouba s’avère imparfaite. Presque privé de dialogues, de voix off, de la main qui vous entraîne vers le film, le spectateur est obligé à la réflexion pour accéder au propos. Momentanément désemparé, il entre peu à peu dans l’intimité du sujet, du propos, puis dans le film en entier, porté par le peuple des femmes. Ce qui est inconnu effarouche. Assia Djebar effarouche, toute entière dans sa subjectivité, l’intimité de son regard. Elle en est l’auteure. à rappeler ici qu’auteur signifie « être la cause et responsable de quelque chose ». Tout le film dès lors lui appartient.

La réalisatrice a évoqué l’ostracisme de la télévision algérienne vis-à-vis d’une femme cinéaste et d’un cinéma d’auteur négligé pour lui préférer un cinéma « spectacle pour le marché international » et un cinéma « populiste et démagogique » : « Et pourquoi suis-je encore aiguillonnée par un désir de cinéma, moi qui, toutes ces précédentes années me confrontais à la production algérienne d’État, elle qui aidait aisément des films de cinéastes du Tiers-monde (égyptiens, libanais, sénégalais, ou même occidentaux) mais sur place me marginalisait parce que femme, persistant en outre à pratiquer un cinéma de recherche, et non de consommation… ? » « J’ai écarté les hommes de mon film car c’est la réalité, j’ai séparé intentionnellement les sexes à l’image car c’est la réalité : j’ai voulu montrer le problème n° 1 de la femme algérienne : le droit à l’espace ! » (En attendant Omar Gatlato, Wassila Tamzali, ENAP, 1979.)

Le deuxième et dernier opus d’Assia Djebar est La Zerda ou les chants de l’oubli (1982) avec Malek Alloula : 30 ans d’histoire du Maghreb partagé.

Deux regards qui se partagent le chant visuel et sonore : le regard colonialiste. « On a filmé un peuple comme figurants », et celui de la cinéaste, dans une approche intimiste douloureuse, qui exalte des femmes fières de leur tradition, des corps mémoires, « Les corps féminins, la femme, c’est ma matière » une Zerda qui « célèbre le deuil » car la longue nuit coloniale va tomber. Dans l’iconographie coloniale tout ou presque de la puissance antique des cités millénaires, de leur histoire et de leur rayonnement est gommé pour ne laisser voir qu’un folklore fantasmatique, des ghettos indigènes, signe de domination. C’est la règle d’or des Empires. Assia Djebar réussit à se réapproprier cette brocante coloniale en lui donnant une autre lecture, en la débarrassant des guenilles folkloriques du regard colonisateur pour une dignité retrouvée. Ce n’étaient que des images montées de toutes pièces. Elle les démonte, les remonte, les sonorise, les rythme et en fait son film. Historiographie poétique, cinéma militant qui produit du sens, de la pensée. La deuxième tentative de détournement d’images viendra magistralement avec Azzedine Meddour et son Combien je vous aime (1985) qui créa une vive polémique au bord d’un incident diplomatique.

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