CULTURE- CINEMA- ARTICLE MALIKA
AICHOUR ROMANE (2015) (II/VI)
Le cinéma algérien : en quête de l’intime
© La Pensée janvier 2015/4 (janvier N° 384), pages 67 à 78
Mis en ligne sur Cairn.info le
22/03/2020
Passé, mémoire, histoire dans le cinéma algérien
Le cinéma algérien demeure encore un
territoire (pré)occupé par le récit du passé. Il est resté ce
« goût » du passé. Juste le goût. Une persistance agaçante qui
saborde la clarté du présent et qui occulte la projection sur le futur si l’on
excepte l’exutoire mortel du migrant clandestin, du « harrag ».
Mais un cinéma à ce point possédé par le passé, promu au statut d’archiviste,
ne peut que s’appauvrir et crier famine, par sa propre dépossession. Le passé,
déjà accompli donc, on pourrait dire « écrit », ne peut faire
l’économie d’une structure narrative forte dont le cinéma se nourrit en premier
avant les images à fabriquer. Cette fausse posture, distanciée, qui consiste à
croire qu’il est aisé d’aborder ce qui a eu lieu a souvent plongé le film dit
historique dans une approche sans subjectivité, voire sans point de vue propre,
et bien conforme à l’histoire officielle. Pourtant l’histoire n’exclut pas
l’intime, celui des « petites histoires » dans la grande Histoire,
mais la sacralisation du passé empêche toute approche subjective ou intimiste
du metteur en scène.
En assignant au cinéma le rôle d’un
panthéon patrimonial de la mémoire, on a cru dispenser de l’Histoire et
fabriquer un cinéma national de fait. Or mémoire et histoire ne doivent pas
être confondus. Les rapports qu’entretiennent ces dispositifs exceptionnels de
la représentation collective sont très complexes à débusquer. Ce qui les oppose
d̕abord est le fait que la mémoire, ciment de la
collectivité, relève du mental et l’Histoire, une procédure, une enquête de
vérité qui peut être le projet d’une vie, ne doit jamais cesser d’arracher sa
légitimité face à des postures officielles. Or, la mémoire c’est de l’intime.
Hélas ce n’est pas cet intime qui a été exploité dans les films historiques
algériens. La mémoire assujettie au mental et à l’expérience individuelle
aurait dû investir la fiction cinématographique. Son absence n’est pas
fortuite.
Chaque film devrait apporter un
éclairage nouveau, un regard, un point de vue. C’est le maillon faible du
cinéma des années 1960 qui ne diversifie pas les points de vue, ce que permet
pourtant prodigieusement le cinéma. Les points de vue tissent la toile de
l’intime et du subjectif. Quel film aurait-on pu faire avec le point de vue
d’une maquisarde ? D’un être ordinaire dans ce contexte extraordinaire
qu’est la guerre ? La belle réussite du « Vent des Aurès » (Mohamed
Lakhdar Hamina, 1966) tient en grande partie au
fait que le réalisateur aborde le vécu de sa famille, il en témoigne et les
personnages, si vrais, si incarnés, ne peuvent qu’apporter une identification
que chacun peut faire sienne. C’est un exemple de regard intimiste et subjectif
doublé d’une recherche esthétique personnelle que ce metteur en scène n’a
jamais mis au second plan, sans doute habité et préoccupé aussi de cinéma. L’intime
dispense de l’émotion, des sensations. On ne demande pas à vérifier.
Il faut absolument faire des films à
la hauteur de sa pensée intime, de la profondeur de son esprit, libre, poussé
par une vision personnelle car un film sans investissement personnel reste
schématique. Il faut un regard, un auteur. Comme pour la musique, il faut
écrire la partition.