POPULATION- MIGRATION- ETUDE CREAD 2020/2021
La fermeture des frontières en raison de la crise sanitaire a renforcé les
voies de passage clandestines donnant au phénomène de la harga
une ampleur inquiétante comme le démontre l’étude menée par le sociologue
Mohamed Saïb Musette (Cread),
spécialiste du fait migratoire.
L’étude menée par le spécialiste du fait migratoire qui s'appuie sur une
revue documentaire menée sur 20 ans de réflexion et d’enquête sur les
mouvements migratoires en Algérie et dans la région du Maghreb montre la
tendance croissante du phénomène. Mohamed Saïb
Musette a relevé un nombre record “de traversées” entre l’Algérie et l’Espagne.
Il observe trois pics dans la dynamique migratoire entre janvier 2020 et juin
2021.
Le premier est en septembre 2020, et les deux autres en 2021. Les données
compilées de Frontex indiquent près de 13 000 tentatives déjouées par les gardes-côtes des pays de la rive nord, la plupart durant le
deuxième semestre. Cette année, de janvier à juin, le volume de tentatives a
augmenté de 37% par rapport à la même période en 2020. Pour leur part, les gardes-côtes algériens affirment avoir intercepté 8 184 harraga
algériens et démantelé 190 réseaux de passeurs en 2020.
Au total, en 2020, plus de 20 000 tentatives de migration illégale par voie
maritime ont été avortées. “On ne connaît pas le nombre de harraga qui ont pu
arriver sains et saufs, ni encore le nombre réel de morts ou de disparus durant
la traversée de la Méditerranée”, indique Mohamed Saïb
Musette. Se basant sur des données algériennes fournies par le ministère des
Affaires étrangères (2018), le sociologue fait état de 2,3 millions de
ressortissants algériens enregistrés auprès des consulats à l'étranger, soit un
taux de 0,7% de la population algérienne en 2019.
Une forte concentration est observée en Europe avec 87%, majoritairement en
France. Les autres destinations sont principalement les pays arabes du Golfe ou
encore d'Amérique du Nord, selon les données des Nations unies (Undesa, 2019). “Les migrants algériens en situation
irrégulière à l'étranger sont davantage identifiés en Europe. Les données de
l’Eurostat font mention d’une moyenne annuelle de 18 600 Algériens en résidence
illégale dans les pays de l’UE durant les dix dernières années (2008-2017),
avec près de 25 000 en 2017”, note le chercheur.
Le nombre de demandeurs d'asile algériens est assez faible
Selon les données du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés
(HCR), il y avait 10 375 enregistrés en 2018 dont plus de 50% en France et en
Allemagne, et dont certains attendent la reconnaissance de leur statut de réfugié.
La migration estudiantine est une composante particulière des flux migratoires,
indique le sociologue. “Le nombre d'Algériens étudiants à l'étranger est passé
de 20 000 en 2014 à près de 30 000 en 2018 (ISU/Unesco, 2020), répartis dans
plus de 40 pays, avec une concentration de 83% en France”, souligne-t-il. Les
données administratives sur les titres de séjour des étrangers en Algérie ne
sont pas accessibles, fait remarquer Mohamed Saïb
Musette. Néanmoins, des estimations (Undesa, 2019)
évaluent le nombre d'étrangers en Algérie à 249 000, soit 0,6% de la population
algérienne.
La plupart des travailleurs étrangers proviennent de Chine, tandis que les
employeurs proviennent des pays voisins (Maroc et Tunisie). Une part des
étrangers est composée aussi par les migrations estudiantines. Et une part
importante par des réfugiés et des demandeurs d’asile ayant besoin d’une
protection internationale (à savoir territoires palestiniens occupés,
territoire contesté du Sahara occidental ou encore de Syrie). “La plupart de
ces étrangers sont des résidents légaux en Algérie”, affirme le
chercheur.
Les migrants étrangers en situation irrégulière en Algérie, ajoute-t-il,
proviennent de plus de 40 pays, selon les données des interceptions par les
services de sécurité (2018). L’essentiel de ces interceptions provient de trois
pays voisins (Mali, Niger et Maroc), selon les données publiées par la
Gendarmerie nationale ces 5 dernières années (2012-2017).
Accélération de la migration des cadres de haut niveau
Quatre types de questions en lien avec la migration sont d’actualité en
Algérie, souligne Mohamed Saïb Musette. La
première concerne les migrations irrégulières dans les deux sens, soit de pays
tiers vers Algérie, soit de l'Algérie à l'Europe ; la deuxième question concerne
les envois de fonds des migrants vers l'Algérie ; la troisième est liée à la
mobilité des compétences ; et, enfin, la quatrième concerne les réfugiés et les
demandeurs d'asile. Les envois de fonds de la communauté nationale à l'étranger
sont estimés à 1,1% du produit intérieur brut (PIB) en 2020 par la Banque
mondiale, forcément en baisse depuis la pandémie de Covid-19.
L’essentiel des transferts est effectué par les institutions, notamment
sous forme de retraites. Les transferts personnels sont insignifiants. Après
plus de 10 années de baisse, Mohamed Saïb Musette
observe une reprise à la hausse des transferts de fonds depuis 2014. “L’Algérie
tente de substituer les transferts d’argent par l’investissement de la diaspora
et l’intégration des compétences nationales à l’étranger dans le processus de
développement local notamment”, note le chercheur. Évoquant la mobilité des
compétences algériennes, le sociologue fait état d’une accélération de la
migration des cadres de haut niveau, notamment les ingénieurs et les
médecins.
“Une étude récente indique un fort désir de migrer de la part des diplômés
de l'enseignement supérieur. Un diplômé algérien sur deux affiche son intention
de quitter l'Algérie”, selon Mohamed Saïb Musette.
Ceux qui veulent partir sont principalement des diplômés des filières
scientifiques et techniques qui ont déjà trouvé un emploi. Les résultats d'une
enquête du Cread, auprès des étudiants algériens en
France, font ressortir que 78% des étudiants déclarent ne pas avoir l'intention
de retourner en Algérie à la fin de leurs études. 57% d'entre eux envisagent de
s'installer en France, tandis que 21% se préparent à partir pour un autre pays.
Seuls 22% envisagent de retourner en Algérie.