SANTE-PERSONNALITES- FERHAT ABBAS
© Bouhali Mohammed/Le Soir d’Algérie, lundi 23 août 2021
Cherif Ferhat Abbas, de son vrai nom Ferhat
Abbas El Meki, est né le 24 août 1899 au douar de Bouaâfroune, relevant de la commune de Oudjana,
dans la wilaya de Jijel.
Fils de caïd au sein du arch de Beni Afer, son père est Saïd Ben Ahmed Abbas et sa mère Maza bent Ali.
Sa famille originaire de la Petite-Kabylie a été
chassée de ses terres par l'administration coloniale à cause de sa
participation à la résistance populaire du cheikh Mokrani
en 1871. Le grand-père du fils de Hedjar El Miss a
été reconduit à la condition de fellah mais il est descendu pour s'installer
dans la région de Bouhemdoune, relevant de la commune
d'Émir-Abdelkader.
Dans ses mémoires, Ferhat Abbas évoqua son enfance dans la région montagneuse
de Bouaâfroune située au fin fond des monts de Béni Afer. «Là-bas, dans un douar
lointain, dans une chaumière de bois, près d’un kanoun enfumé, sommeille ma
grand-mère, son chapelet à la main. Cent ans de souvenirs, de labeur et de
misère pèsent sur ce corps usé, ratatiné et flétri. Des marmots barbouillés de
terre l’accablent de leur tendresse ; plus loin dans d’autres chaumières, les
hommes rentrent pieds nus, pouilleux et misérables. Un lien irréductible
m’unissait à ces êtres simples qui m’aiment et que j’aime : leur sang est mon
sang.» Ce tableau reflète réellement la triste réalité
du vécu quotidien de larges pans de la population.
Après l'école coranique de la mosquée de Rekiba de Bouaâfroune, il est entrée à l'école franco-indigène de
Taher à l'âge de dix ans. Bon élève, il a bénéficié d'une bourse pour
poursuivre ses études secondaires dans un lycée à Skikda, ex-Philippeville.
Ferhat Abbas n’a pas tari d’éloges à l’égard des études qui lui ont permis
d’avoir une certaine clairvoyance : «Nos livres
représentent la France comme le symbole de la liberté. À l’école, on oubliait
les blessures de la rue et la misère des douars pour chevaucher avec les
révolutionnaires français… les grandes routes de l’Histoire. Cependant, loin de
cette image idyllique de la révolution française, symbole du triomphe de la
liberté et du progrès, le quotidien des Algériens était des plus difficiles
sous le régime colonial.»
Son passage dans la ville de Constantine lui a laissé des traces. Le bac en
poche, il accomplit son service militaire sous le drapeau français de 1921 à
1923. Il est employé en tant que secrétaire du gestionnaire de l’hôpital de
Constantine, puis de Jijel. Il poursuivit ensuite des études en pharmacie, à
l’Université d’Alger.
En marge de son cursus universitaire, il fréquenta les milieux intellectuels
français. Il suivit les cours de Félix Gautier à la Faculté des lettres. À 20
ans, le fils du arch de Béni-Amrane
deviendra le représentant du courant assimilationniste, dont la principale
revendication est l’égalité entre les Français et les
«indigènes».
Le prestige qu’il acquit lui permit de contribuer dans plusieurs journaux et
revues sous le pseudonyme de Kamel Abencerge, du nom
de Kemal Atatürk. Après sa démobilisation du service militaire, il s’est
installé à Sétif où il a ouvert une officine de pharmacie, qui devient un forum
des idées politiques toutes tendances confondues.
Fidèle à ses principes de légaliste, il a été élu député du département de
Sétif. Il a fait son entrée à l’Assemblée nationale pour mener un combat
pacifique contre le système colonial d’essence négationniste. Il a
magistralement réussi à poser avec courage et lucidité la problématique de
l’émancipation d’une République algérienne : «Il y a
cent seize ans, messieurs, que nous attendons cette heure… Nous autres,
primitifs, avons eu la patience de vous écouter, n’auriez-vous pas la
générosité de nous entendre ?» Malheureusement, ce combat pacifique légaliste
n’a pas tenu la route face à un système colonial systématiquement
négationniste, basé sur l’exclusion de l’autre et qui a du mal à admettre une
éventuelle réforme.
Après le refus à deux reprises de son projet sur le statut de l’Algérie, il
démissionne de l’Assemblée nationale en 1947, se démarquant ainsi de la voie
légaliste qui a montré ses limites face à la surdité du régime colonial. Il
durcit alors ses positions, l’hebdomadaire L’Égalité devient, en février
1948, Égalité, République algérienne, puis République algérienne. Il annonçait
son ralliement au FLN lors d’une conférence de presse tenue dans la capitale
égyptienne le 25 avril 1956. Dès le 20 août 1956, à l’issue du Congrès de la
Soummam, Ferhat Abbas devient membre titulaire du Conseil national de la
Révolution algérienne, puis entre au CCE en 1957.
Ferhat Abbas devient premier président du Gouvernement provisoire de la
République algérienne (GPRA) lors de sa création le 19 septembre 1958. Certains
historiens estiment que cette prévisible désignation, vu son poids politique et
son charisme, se voulait un signe en direction de la France en vue
d’éventuelles négociations.
Lors de la crise de 1962 et la rivalité fratricide opposant le GPRA à l’état-major,
et contre toute attente, l’auteur de La nuit coloniale rejoint le groupe de
Tlemcen sous la coupe de Ben Bella, et dans une déclaration au journal Le
Monde, il justifie sa position : «La destitution de
l’état-major est inopportune. Elle a rendu public un conflit interne au moment
où nous avons besoin de clarifier toutes les situations pour rentrer unis au
pays. La presse colonialiste et rétrograde parle d’une menace de putsch
militaire. Cette interprétation est trop facile pour être exacte...»
L’auteur de La nuit coloniale fut le premier président de l’Assemblée
nationale de l’Algérie indépendante. Il quitte ses fonctions le 15 septembre
1963, suite à son profond désaccord avec la politique volontariste prônée par
le Président Ahmed Ben Bella. Il a dénoncé son «aventurisme
et son gauchisme effrénés», qui l’excluront du FLN et le feront emprisonner à
Adrar, la même année.
Retiré de la vie politique après sa libération en mai 1965 à la veille du coup
d’État du 19 juin 1965 par le régime de Boumediène,
mais en fervent démocrate engagé contre le despotisme et l’autoritarisme
d’alors, Ferhat Abbas rédige avec Benyoucef Benkhedda, Hocine Lahouel,
Mohamed Kheireddine, en mars 1976, un appel au peuple
réclamant des mesures urgentes de démocratisation et dénonçant «le pouvoir personnel» et la Charte nationale élaborée par Boumediène. Il fut, encore une fois, assigné à résidence
jusqu’au 13 juin 1978. Il a été libéré sous Chadli qui l’a décoré de la
médaille du résistant le 30 octobre 1984.
Ferhat Abbas est mort à Alger le 24 décembre 1985. Il est enterré au carré des
martyrs du cimetière El Alia. De nombreux historiens estiment que le testament
politique de l’auteur de Demain se lèvera le jour est d’une brûlante
actualité pour résoudre une équation politique assez complexe, dans un pays qui
a du mal à lire son passé d’une manière sereine, sans passions et sans tabous,
et de se projeter vers un avenir prometteur.