COMMUNICATION- FORMATION CONTINUE- PRESSE REGIONALE-
ENTRETIEN ALI LAIB (DIRECTEUR « LE CHELIF », hebdo, français)
©Ali Laib (facebook, mi-août 2021)
Un collègue d'El Moudjahid
a demandé mon avis sur certaines questions concernant la presse locale et de
proximité. Ma réponse a été toutefois tronquée car des passages entiers ont été
supprimés, déformant tout mon argumentaire.
Voici les questions
du journaliste et mes réponses (face book ; mi-août 2021)
1- Une profonde
réformes du secteur de la presse rt 2021)elève d'un des engagements du
président de la République. En tant que responsable d'un journal régional, qu'elle sont les mécanismes idoines à même de promouvoir l'information
de proximité au service du citoyen ?
Avant de répondre à
cette question, je voudrais signaler que je ne doute pas de la sincérité de
l’engagement du président Tebboune qui a de tout
temps à l’écoute des préoccupations des professionnels des médias. Cependant,
la situation héritée de plusieurs décennies d’une gestion bureaucratique et approximative,
le secteur continue de se débattre dans des problèmes que d’autres ont résolus
le siècle passé. Vous n’avez qu’à voir l’état des imprimeries publiques pour
vous rendre compte de la situation. Idem pour les médias audiovisuels où les
confrères continuent de travailler dans des conditions abominables, dans des
locaux exigus, au risque de compromettre leur santé.
Quand on parle de
presse de proximité, beaucoup pensent automatiquement à l’intérieur du pays où
elle est quasiment absente. Il y a quelques exceptions comme le journal Le
Chélif qui se trouve à 200 kilomètres des deux centres d’impression, à savoir
Alger et Oran. En fait, la presse locale est concentrée à Alger, la
quasi-totalité des journaux qui s’y trouve (et ils sont très nombreux) accordent
une importance accrue à ce qui se déroule dans les quartiers de la capitale
mais ne s’intéresse que rarement à la périphérie algéroise. Ce qui les « sauve
» et leur assure une certaine notoriété, c’est le fait qu’ils couvrent
l’activité des ministères, des institutions de souveraineté et des grosses
entreprises publiques, ce qui leur donne une dimension « nationale » non
méritée.
Pour revenir à la
presse régionale, cette dernière vit d’énormes
difficultés. Matérielles et financières d’abord parce qu’il faut avoir les
moyens de sa politique.
Les difficultés sont
nombreuses. Il en est une, et qui n’est pas des moindres, c’est le manque de
collaboration des autorités locales, des institutions et des grosses
entreprises qui évitent les contacts avec la presse sauf quand il s’agit de
couvrir des activités n’intéressant pas forcément le citoyen. Je vous donne
l’exemple du directeur d’une cimenterie qui refuse de nous recevoir depuis
plusieurs mois, des directeurs de l’exécutif évitent les questions « gênantes »
comme de savoir quand s’achèveront les travaux de l’autoroute Chlef – Ténès,
qui sont aujourd’hui à l’arrêt…
Souvent, on évite de
vous répondre en prétextant qu’il faut s’adresser à la direction nationale, à
Alger notamment.
Sans la
collaboration des institutions, il est très difficile d’avoir des informations
fiables sur la marche du développement local, parce que c’est ce qui nous
intéresse en premier lieu. Du moins, notre journal.
Autre difficulté :
les pouvoirs publics locaux refusent mordicus d’accorder des locaux aux
journaux locaux sous le fallacieux prétexte que ces journaux sont des entités
économiques privées. Par contre, ils ne lésinent pas sur les moyens pour aider
et soutenir les télévisions de droit étranger qui bénéficient de leurs largesses.
Par ailleurs, vous
êtes constamment harcelés par les services de sécurité qui vous interdisent
d’utiliser votre appareil photo ou d’accéder à des lieux pourtant publics comme
les ports de pêche.
2- Quelles selon
vous les avantages et les inconvénients de la presse régionale, autant pour les
professionnels qui l'exercent que pour ses lecteurs ?
Pour répondre à
votre question, je pense que la presse régionale, pour peu qu’elle se pare de
sérieux et de professionnalisme, est appelé à réussir dans ses missions ; elle
est à même de capter l’attention et l’intérêt du lectorat. Cela, en réalisant
des reportages et des enquêtes sur les conditions de vie des citoyens, sur les
projets de développement, sur les problèmes de fond que vivent les régions… Il
faut aussi associer le lecteur en demandant à chaque fois son point de vue sur
des questions qui l’intéressent. Il faut réaliser un maximum d’interviewes avec
les citoyens, les représentants de la société civile, les universitaires, etc.
Enfin, il faut promouvoir les savoirs et les cultures locales, outre de faire
connaître les entreprises locales. Il faut encourager les initiatives locales
et les porteurs de projets.
Enfin, il ne faut
pas oublier les jeunes auxquels il est indispensable de consacrer des rubriques
entières. Mais pour ce faire, il faut de gros moyens. En effet, prétendre
recueillir, traiter puis donner des informations de proximité à ses lecteurs
est prétentieux et irréalisable. Pour deux choses au moins : il faut disposer
d’une armée de journalistes et de correspondants (et d’une flotte de véhicules)
pour arriver à couvrir une wilaya comme Chlef où il y a 35 communes et 13
daïras. Quant à toucher les wilayas limitrophes de Relizane,
d’Aïn Defla et de Tissemsilt, où chacune comprend au
moins 36 communes, je vous laisse répondre.
La seule solution,
c’est l’aide de l’État. D’autant plus qu’ici, les opérateurs économiques sont
frileux quand il s’agit de publicité. Beaucoup n’y croient pas, considérant que
toute leur production s’écoule facilement sans recours à la pub.
3- Dans la
perspective de reconfiguration de la presse écrite, pensez-vous qu'il faudrait
concentrer les efforts sur la création des journaux régionaux vu le manque constaté
dans ce domaine ?
Certainement.
Actuellement, il y a beaucoup de diplômés en sciences de la communication et de
l’information qui se roulent les pouces. Encourager la création de journaux et
d’autres médias locaux, c’est leur offrir des possibilités d’emploi. Et c’est
ce qui plaide pour qu’il y ait au moins une « gazette » dans chaque wilaya,
qu’elle soit de parution quotidienne ou hebdomadaire.
Toutefois, la presse
et les médias locaux doivent bénéficier de l’aide directe et indirecte de
l’État comme de lui accorder plus d’espaces publicitaires, des avantages fiscaux
évidents, lui donner la possibilité de recruter plus de personnels dans le
cadre de l’emploi de jeunes, de lui organiser des sessions de formation au
profit de ses personnels… Sachez qu’à part les correspondants, il n’existe
aucun métier de la presse à Chlef. Il n’y a ni correcteurs de presse, ni
monteurs, ni infographes. Quant aux secrétaires de rédaction, c’est le désert
total.