SANTE- OPINIONS ET POINTS DE VUE- COVID 19/ENTRETIEN Pr HOURIA A-DJABALLAH,
PSYCHOLOGUE/EL WATAN, AOÛT 2021
«Les problèmes sociaux, et pas seulement les troubles organiques, ont augmenté
à l’ombre de cette pandémie»
L'actuelle pandémie du
coronavirus constitue une réalité particulière et surtout inhabituelle. Mais
lors d'une crise, est-il normal de se sentir stressé, désorienté ou encore
angoissé ? Dans cet entretien, Houria Ahcène-Djaballah,
professeur de psychologie clinique (à la retraite) à l'université de Bouzareah, explique ce qu’il en est exactement.
© Propos recueillis par Sofia Ouahib, Journaliste - El Watan, lundi 2 août 2021
Q :Depuis
quelques jours, la pandémie de coronavirus, en raison de sa recrudescence en
Algérie, envahit tous les médias et même les réseaux sociaux, ce qui contribue
largement au développement d’une angoisse chez de nom- breuses
personnes. Quelles sont les répercus-sions
possibles de cette situation sur la santé, le comportement et l’humeur des
individus ?
Tout d’abord, je tiens
à rappeler que nous vivons un événement traumatique à répétition, et comme tout
événement traumatique, il peut y avoir des répercussions sur la santé de
l’individu, et ce, selon ses antécédents médicaux psycho- logiques familiaux ou
autre, et selon son vécu passé et actuel, sans oublier ses projections dans l’avenir.
Concernant les répercussions sur l’humeur, cela reste également très relatif.
Il peut y avoir un émoussement chez certains alors que d’autres vont verser
dans l’excès, comme l’hypervigilance par exemple. Le comportement, quant à lui,
va être tributaire de la tendance de base de l’individu. Certains verseront
dans la violence alors que d’autres se voueront à la soli- darité.
En fait, les répercussions possibles sur la santé sont liées d’une part aux
prédispositions et fragilités de l’individu et, d’autre part, aux
particularités du groupe social d’appartenance. A titre d’exemple, un
diabétique présente non seulement une fragilité qui risque d’être exacer- bée par une forte charge anxieuse, mais si en plus
son entourage familial, professionnel ou autre ne le ménage pas ou le sollicite
outre mesure, sa maladie va s’aggraver. Il en va ainsi de toutes les
pathologies organiques ou mentales. D’ailleurs, beaucoup de pathologies, dont
les troubles psy- chologiques ainsi que les problèmes
sociaux et pas seulement les troubles organiques, ont aug-
menté à l’ombre de cette pandémie.
Q :Ce
lot d’angoisses est-il normal ?
Cette pandémie est un
événement traumatique vécu par l’ensemble des humains. Et chaque nouvelle vague
est une répétition de cet événe- ment traumatique,
avec son lot d’angoisses. Mais si le premier événement a pris au dépourvu au-
tant les citoyens que les décideurs, mettant en dif- ficulté les soignants et les exposant massivement au
danger, les événements suivants auraient pu être mieux appréhendés autant par
les citoyens que par les décideurs. L’angoisse est normale tant qu’elle assure
sa fonction, celle d’alerter de l’imminence du danger, elle peut céder rapide-
ment la place à la peur. La peur est normale tant qu’elle assure sa fonction,
celle de se préparer à affronter le danger, et à son tour elle cède la place au
stress. Le stress est normal tant qu’il assure sa fonction, celle de concentrer
l’attention et mobiliser l’énergie pour faire face au danger. Ce dernier doit
céder la place à l’action d’abord, à la réflexion ensuite et enfin à la
résolution du problème pour pouvoir le traiter efficacement et rapidement à
l’avenir.
Q :Quel
comportement adopter face à une telle pression psychologique ?
La crise sanitaire
liée au coronavirus est un fait et nous devons faire avec. L’idée est de
prendre note de nos erreurs, de nos abus, et faire en sorte que la vie, la
nôtre, celle de nos semblables et celle de tous les êtres vivants, soit
préservée, res- pectée. Se
rappeler que la vie est une succession d’épreuves et que c’est à chacun de nous
de faire un travail sur lui-même pour s’élever au-dessus de la pression imposée
par les circonstances. Ceux qui sont soumis à une trop forte charge, comme les
soignants, les pompiers, les policiers et autres, doivent pouvoir bénéficier de
l’aide psychologique. Idem pour les journalistes qui sont, eux aussi, fortement
exposés car aux pre- mières
lignes pour informer les citoyens.
Q :Une
récente étude menée par l’Institut danois de recherche sur le bonheur a montré
que l’anxiété était en forte hausse lorsque le nombre de cas de
Covid-19 augmentait. Selon l’Institut, tous les 100 nouveaux cas, ce sont 7000
personnes en plus qui se sentent angois- sées. Comment se rassurer et éviter de céder à la
psychose ?
Nous ne pouvons
empêcher certaines per- sonnes de céder à la psychose, tout comme nous ne
pouvons empêcher d’autres de se réfugier dans le déni. Si la recherche
d’information est une réaction saine et souhaitable, la surcons-
ommation médiatique contribue à l’addiction. En
période de coronavirus, comme en toute période de crise, il est nécessaire de
se rappeler que chacun de nous doit du respect aux autres et, si possible, de
la solidarité. Il est essentiel de se centrer sur ce qu’on peut faire
nous-mêmes pour se protéger et protéger les autres sans attendre que la
solution vienne des autres ou des institutions. Aujourd’hui, on entend parler
de «reprise de la vie normale» comme si rien ne
s’était passé ! J’estime donc qu’il y a eu défaut de médiatisation quant à la
projection dans l’avenir et à la conscientisation de la nécessité de faire avec
son environnement. Faute d’avoir réfléchi sur la question et envisagé des
solutions durables pour vivre avec ce virus ou tout autre agent pa- thogène à cause de cette
illusion de vie normale à retrouver, le virus «garde
la main» et nous fait vivre à son rythme, à savoir : événement trauma- tique,
angoisse, peur, stress, confinement, décon- finement,
soulagement, relâchement, répétition de l’événement traumatique, etc., en
boucle. Nous devons vivre pleinement et ce même avec la Covid.
Il suffit juste de neutraliser sa nui- sance,commenousdevrionslefairechaquefois
qu’un agent pathogène viendra nous «rappeler à l’ordre».