COMMUNICATION- ETUDES
ET ANALYSES- AUDIOVISUEL MONDE- TRIBUNE HUIT (8) PATRONS /IN « LE
MONDE » 30 JUILLET 2020
.
Le texte publié dans le quotidien Le Monde du 31/07/2020 est signé par les
huit grands patrons de l’audiovisuel mondial : David Anderson, directeur
général d’ABC (Australie) ; Thomas Bellut, directeur
général de la ZDF (Allemagne) ; Delphine Ernotte Cunci,
présidente-directrice générale de France Télévisions (France) ; Tony Hall,
directeur général de la BBC (Grande-Bretagne) ; Jim Mather, président du
conseil d’administration de RNZ (Nouvelle-Zélande) ; Hanna Stjärne,
directrice générale de la SVT (Suède) ; Yang Sung-dong, président & CEO de
KBS (Corée du Sud) ; Catherine Tait, présidente-directrice générale de
CBC/Radio Canada et présidente du Groupe de travail mondial pour les médias
publics. Dans ces médias, on fait du journalisme professionnel, sérieux. Arrivera-t-on
un jour à avoir des dirigeants de médias publics aussi puissants, autonomes,
intelligents et sérieux ? Pour cela, il faut tout simplement une société
démocratique ouverte à l’intelligence (Pr A.Cheniki,
fb, juillet 2021)
DES MÉDIAS PUBLICS EN BONNE SANTE SONT UNE FORCE POUR LES DÉMOCRATIES
Le 4 juin, Facebook a annoncé avoir commencé à étiqueter les contenus
venant de médias contrôlés par l’Etat. Cette décision s’inscrit dans le cadre
du débat actuel croissant sur la distinction entre médias d’Etat et médias
publics, devenu d’une grande importance pour les citoyens des pays
démocratiques partout dans le monde. Médias d’Etat et médias publics sont tous
deux créés et peuvent être financés par un gouvernement national, mais ils ont
des fonctions complètement différentes.
Les médias d’Etat ont pour mission d’appuyer les intérêts du gouvernement.
Leur rôle est de s’assurer que l’information présentée au public est conforme à
la version des événements privilégiée par le pouvoir. Même si l’information
qu’ils diffusent peut s’avérer exacte et non altérée, trop souvent, ces médias
sont un moyen pour les Etats de contrer les critiques et d’éclipser d’un sujet
les problèmes, les dissidents et les sources d’embarras. Les médias publics,
quant à eux, ont été créés pour répondre aux besoins des citoyens. Même s’ils
sont tous différents, chacun reflétant son pays et sa culture, ils incarnent
tous un ensemble de valeurs fondamentales comme l’indépendance, la défense de
l’intérêt public, l’impartialité, l’universalité des services, la diversité,
l’exactitude et la rigueur journalistiques.
C’est sur la base de ces valeurs que plusieurs médias publics jouissent de
niveaux élevés de confiance de la part de leurs publics. La confiance des
citoyens Les médias publics ont en commun un devoir d’informer, d’éduquer, de
divertir et de tisser des liens avec les membres de leurs pays respectifs. Ils
jouent un rôle essentiel pour représenter la diversité et la créativité
culturelles des pays qu’ils servent. De manière plus fondamentale, ils ont la
responsabilité de soutenir la démocratie en informant les citoyens et en
exigeant des gouvernements de rendre des comptes. Pour qu’un gouvernement
appuie et protège le mandat d’une organisation qui a, entre autres, le rôle de
surveiller publiquement ses activités, cela nécessite du courage et un
engagement envers le bien public. Or c’est ce dont les gouvernements de pays
démocratiques font preuve depuis près d’un siècle, bien souvent avec un large
soutien parlementaire. Ces pays n’en sont que plus forts.
Il y a là une reconnaissance implicite du fait qu’au sein d’une démocratie
les besoins en information ne peuvent être satisfaits par les seules forces du
marché, et encore moins être confiés à des personnes qui pourraient chercher à
en tirer profit pour renforcer leur propre pouvoir. Les médias publics
constituent une option intéressante, une source d’information de qualité, libre
de toute influence commerciale : une valeur sûre pour la société. La valeur des
médias publics et la confiance que les citoyens leur accordent sont
particulièrement évidentes depuis le début de la crise due au coronavirus. A
mesure qu’ils ont pris conscience de l’ampleur de la pandémie, les auditeurs et
téléspectateurs se sont tournés en nombre vers les médias publics pour obtenir
de l’information exacte et fiable, de même que pour se divertir et se
rassembler durant cette période d’isolement.
A un moment où les médias publics sont plus nécessaires que jamais, une
tendance inquiétante se profile un peu partout dans le monde. Les gouvernements
de plusieurs pays discréditent les valeurs des médias publics et exercent des
pressions sur ces derniers pour qu’ils fonctionnent davantage comme des
diffuseurs d’Etat. De surcroît, ce changement semble passer plus ou moins sous
le radar et sans rencontrer trop de résistance, à l’heure où les sociétés
composent avec le Covid¬19. En Pologne, le retrait soudain d’une chanson
critiquant le parti au pouvoir de la programmation musicale de la radio Trojka, en mai, a relancé le débat sur la liberté des
médias et l’ingérence politique dans les médias polonais.
Récemment, des informations indiquent que la couverture de l’élection
présidentielle par le service de télévision Telewizja
Polska est de plus en plus contrôlée par l’Etat. Un rapport publié par l’OSCE
le 29 juin (en anglais et en polonais), a même indiqué que la chaîne de
télévision « a agi comme un instrument de campagne électorale pour le président
sortant ». Courage et leadership Depuis plusieurs mois, des représentants du
parti politique le plus puissant en Slovénie attaquent ouvertement le diffuseur
public du pays, Radiotelevizija Slovenija. Ces
attaques se sont multipliées à la suite de reportages d’enquête sur certains
aspects de la gestion de la pandémie par le gouvernement.
Les représentants du gouvernement menacent ouvertement de remplacer le
personnel et sont en train de rédiger un projet de loi qui réduira le
financement du diffuseur. En République tchèque, un certain nombre de personnes
dont la position à l’égard du diffuseur est très politisée ont été récemment
nommées au conseil qui régit la télévision publique, Ceska
Televize. Ces membres ont cherché à minimiser et à
mettre en doute les réalisations du service, notamment lors des évaluations
budgétaires et de l’évaluation du rendement de sa haute direction. A Hongkong,
le diffuseur public RTHK, régi par une charte garantissant son indépendance
journalistique, subit actuellement un examen de sa gestion et de ses pratiques
par le gouvernement.
Non seulement cet examen est fait en l’absence de supervision indépendante,
mais il suit de près la suspension d’une populaire émission d’affaires
publiques qui tenait l’antenne depuis de nombreuses années parce que la police
de Hongkong s’est plainte d’un segment satirique. L’affaiblissement de la
capacité de ces organisations à éclairer de manière indépendante le débat
public a pour conséquence de nuire à l’intérêt public et à la confiance que les
citoyens leur témoignent. En fragilisant ainsi une institution démocratique
essentielle, on affaiblit la démocratie elle¬même
dans ces pays. Alors que les médias de service public véritablement
indépendants n’ont jamais été aussi précieux pour les démocraties du monde
entier, il est primordial que les décideurs et la classe politique soutiennent
et défendent l’indépendance des médias publics et du journalisme en général.
C’est d’autant plus vrai dans un contexte où les journalistes sont de plus en
plus l’objet de menaces et d’attaques partout dans le monde. Des médias publics
en bonne santé constituent une force pour les démocraties du monde. L’heure est
venue de faire preuve de courage et de leadership. Les gouvernements
démocratiques doivent démontrer leur engagement à soutenir les médias publics
et les principes qui les sous-tendent, car l’expérience nous a appris que
ceux-ci rendent nos sociétés plus fortes, plus prospères et plus harmonieuses