COMMUNICATION- OPINIONS ET POINTS DE VUE- COMMUNICATION INSTITUTIONNELLE
Une communication narcissique
© ZERROUK Ahmed, ex-magistrat
militaire/ www.algerie1.com , 28 juillet 2021
Communiquer, c’est informer.
Communiquer, c’est expliciter. Communiquer, c’est faire valoir une idée, un
message ou une action. « On ne peut pas ne pas communiquer » -Paul
WATSLAWICK de l’école de Palo Alto/Californie-.
Mais, existe-t-il une communication
outrancière. Une communication de l’égoïsme. Une communication narcissique. Une
communication de la démesure Et, surtout en ces temps
difficiles, douloureux et mortifères dus à la propagation de l’épidémie du
Coronavirus (Covid-19), particulièrement du variant Delta qui est entrain de créer une situation aussi alarmante que
catastrophique dans notre pays, générée aussi bien par l’inconscience de la
population que par l’inconséquence des autorités publiques.
Mais, revenons à cette communication
dite narcissique. Qu’en est-il ?
Voici les faits : une dépêche
de l’agence APS datée du 12 juillet 2021 a repris un communiqué du ministère de
la défense nationale dont la teneur est la suivante : « En
continuation des efforts visant à lutter contre le Coronavirus, un avion de
transport militaire a atterri dimanche 11 juillet 2021 à la base aérienne de
Boufarik/1ère région militaire, à son bord un million six cents mille doses de
vaccin anti-covid 19 en provenance de la République
populaire de Chine ».
Il est ajouté
que l’Armée nationale populaire (ANP) « demeure toujours prête à
accomplir ses missions et de répondre à l’appel de la patrie et à servir le
peuple algérien en toutes circonstances ».
Le 24 juillet 2021, une autre
dépêche de l’APS fait état d’un autre communiqué du ministère de la
défense nationale dont le contenu est ainsi qu’il suit : « Dans
le cadre des efforts nationaux continus visant à lutter contre la
propagation du Coronavirus (Covid-19), un avion de transport militaire relevant
des forces aériennes a atterri dans la soirée d’hier Vendredi 23 juillet 2021 à
la base aérienne de Boufarik (1ère Région militaire) à son bord une nouvelle
cargaison du vaccin anti-covid-19, estimée à deux millions quatre cents milles
doses (2.400.000) acquises de la République Populaire de Chine ».
Il est, également, précisé
que : « Cette nouvelle cargaison, qui sera suivie par d’autres
opérations similaires pour acheminer des quantités du vaccin ainsi que des
équipements médicaux, qui seront réceptionnés dans les prochains jours et
semaines afin de renforcer le système de santé national, confirme encore une
fois la disponibilité de l’Armée nationale populaire à répondre à l’appel de la
patrie et servir le peuple algérien et accomplir ses misions
humanitaires avec dévouement ».
Des observations s’avèrent utiles
sur le contenu de ces deux (12) communiqués du MDN, repris par l’agence Algérie
Presse Service.
Au plan de la forme et de la
sémantique, dans le deuxième communiqué, il est fait état d’un avion de
transport militaire relevant des forces aériennes, comme si un avion de
transport militaire pouvait relever d’un autre commandement de forces.
De même, il est précisé que ledit
avion de transport militaire a atterri dans la « soirée ». Pourquoi
une telle précision ? Est-ce pour faire valoir qu’il s’agit d’un vol de
nuit et que les pilotes ont fait preuve d’un professionnalisme inouï et d’une maitrise incroyable pour effectuer un
tel vol nocturne et atterrir à la base aérienne de Boufarik.
Les pilotes des avions de transport
militaire effectuent des vols de nuit, et c’est une routine pour ces
professionnels des forces aériennes. Cette précision est superfétatoire.
S’agissant de la quantité du vaccin
transportée, le communiqué l’estime à 2 400.000 doses. Donc, c’est une
estimation, c’est un calcul approximatif de la quantité, et en
conséquence elle est aléatoire. Or, dans le contrat d’achat, la quantité
est fixée et bien spécifiée. On n’achète et on ne vend pas une estimation de
quantité, mais un nombre, une quantité chiffrée et bien arrêtée, dans le cas d’espèce, de doses du vaccin contre le
Coronavirus.
En outre, ce communiqué nous apprend
que « d’autres opérations similaires – vont avoir lieu- pour acheminer des
quantités de vaccin ainsi que des équipements médicaux, qui seront réceptionnés
dans les prochains jours et semaines afin de renforcer le système de santé
national ».
C’est une communication intrusive et
inappropriée. On tire la couverture à soi. Où est le ministère en charge de la
santé ? Où est le ministère en charge de la communication ? Où sont
les services du Premier ministre ? Où sont les chargés de la communication
de la Présidence de la République ?
Le ministère de la défense nationale
communique et informe l’opinion publique
sur des actions futures qui relèvent du ministère en charge de la santé. Et,
personne ne dit mot, personne ne réagit. Tout le monde est tétanisé.
Le Président de la République, chef
suprême des forces armées et ministre de la défense nationale ne recadre même
pas le chef d’état-major de l’ANP, le secrétaire-général
par intérim du MDN ou le directeur de la communication, de l’information
et de l’orientation/MDN. C’est terrible qu’une institution dite « la
grande muette » devienne aussi volubile et omniprésente dans le champ
médiatique, en outrepassant ses missions et attributions pour empiéter allègrement sur celles d’autres départements
ministériels.
De plus, les deux (2) communiqués du
MDN justifient le transport des deux (2) quantités de vaccin par le fait
« de répondre à l’appel de la patrie et à servir le peuple
algérien … ». Rien que ça.
Donc, le peuple algérien doit dire
merci, mille fois merci à l’ANP d’avoir bien voulu assurer l’acheminement, par
un avion de transport militaire, de ces deux (2) quantités du vaccin contre le
Coronavirus.
Pour bien comprendre cet état
d’esprit, ca veut dire que
l’ANP a accordé une faveur au peuple en assurant ce transport, et sans le
supposé « appel de la patrie », rien n’aurait été fait.
Mais, au fait, l’ANP est une
institution constitutionnelle de la République, elle est supportée par le
budget de l’Etat. C’est une institution étatique qui émarge au budget de
l’Etat, c'est-à-dire du peuple. En conséquence, l’ANP ne peut qu’être au
service du peuple et de l’Etat. L’avion de transport militaire a été acquis par l’argent du peuple et non d’un quelconque
mécène ou autre philanthrope ou un généreux donateur. La base aérienne de Boufarik
a été construite et équipée par l’argent public. L’entretien de l’infrastructure
et la maintenance des équipements, aussi. Les pilotes ont étudié dans le
système scolaire et universitaire algérien et s’ils ont suivi des stages ou des
formations à l’étranger, c’est toujours avec l’argent du peuple.
De plus, les heures de vol de nuit
ou de jour entrent dans l’expérience et l’acquis des pilotes.
Le kérosène consommé a été payé par
l’argent du contribuable et la solde servie aux membres de l’équipage (pilotes et mécaniciens) provient du budget de l’Etat.
Le transport d’une quelconque
quantité de vaccin est-elle une faveur offerte
par l’armée à l’Algérie, au peuple souverain. Faut-il un « appel de la
patrie ». Que NON. L’armée est au service de la nation. Elle a pour
mission permanente la sauvegarde de l’indépendance nationale et la défense de la souveraineté nationale. Elle est
chargée, également, d’assurer la défense de l’unité et de l’intégrité
territoriale du pays, ainsi que la protection de son espace terrestre, aérien
et maritime (article 30/2ème et 3ème alinéas de la
Constitution).
Le transport du vaccin de
Pékin/Chine à Alger aurait pu se faire par un avion cargo
de la société nationale Air Algérie ou par l’affrètement d’un avion.
Il n’y a rien d’exceptionnel,
d’extraordinaire, de remarquable dans le transport, par voie aérienne, de cette
quantité de vaccin achetée par l’Algérie. Ce n’est ni une prouesse technique,
ni une faveur exceptionnelle accordée par l’armée au peuple.
Enfin, l’institution militaire,
l’Armée Nationale Populaire, relève des attributions dévolues par la
Constitution au Président de la République, qui incarne l’unité de la Nation et
veille en toutes circonstances à l’intégrité du territoire et à la souveraineté
nationale (article 84/1er alinéa de la Constitution).
L’article 91/1er tiret de la Constitution
intronise le Président de la République dans les hautes fonctions de Commandant
en chef de l’armée. En effet, le Président de la
République est le chef suprême des Forces Armées de la République et le
responsable de la Défense Nationale. De même, et conformément aux dispositions
de cet article 91/2ème alinéa, il lui appartient de décider de l’envoi des
unités de l’Armée Nationale Populaire à l’étranger après approbation à la majorité
des deux tiers (2/3) de chaque chambre du Parlement.
Et, il ne faut pas oublier ou
occulter le fait que le Président de la République assume, aussi, effectivement
et formellement les attributions de ministre de la défense nationale (décrets
présidentiels 21-78 du 21 février 2021 et 21-281 du 7 juillet 2021 portant nomination
du gouvernement). Ce n’est ni un exercice protocolaire, ni un exercice
superficiel. Et, il ne doit pas l’être.
Comment se fait-il que l’armée
n’agit pas, dans le cas d’espèce, dans le cadre « des
instructions du Président de la République, chef suprême des forces armées,
ministre de la défense nationale », et se détache complètement de ce lien
hiérarchique, consacré par la Constitution et la réglementation, pour créer un
lien direct entre l’armée d’une part et la patrie ainsi que le peuple algérien,
d’autre part.
Le ou les rédacteurs de ces deux (2)
communiqués ainsi que le responsable qui a agrée leur
contenu et donné son accord pour leur large diffusion, se sont affranchis avec
désinvolture et une légèreté déconcertante de l’autorité du ministre de la
défense nationale et du Chef suprême des Forces
Armées de la République.
Où est l’Etat, où est la République,
où sont les institutions, et surtout où est la Constitution?
Il est temps, grandement temps, pour
le Président de la République, Chef suprême des Forces Armées de la République
et ministre de la défense nationale de disposer d’un cabinet militaire, un
staff restreint composé de cadres militaires en activité et/ou à la retraite,
qui puisse assurer le suivi de la gestion du ministère de la défense nationale,
et donner son avis sur les questions et propositions intéressant l’armée,
autres que celles de sécurité.
Pour terminer, où est le ministère
en charge de la santé, et à un moindre degré, où est le ministère en charge de
la communication, C’est à eux et à eux seuls que devrait revenir
de faire état de la réception du vaccin contre le Coronavirus, en
indiquant les quantités de doses réceptionnées.
Monsieur le Président de la
République, recadrez vos ministres et que chacun exerce ses attributions sans
empiéter sur celles des autres, sans surenchère, ni favoritisme, ni mutisme
Un Etat ne peut être géré avec des
états d’âme, Que chacun, à un quelconque niveau de responsabilité que ce soit,
civile ou militaire, exerce pleinement et uniquement ses attributions, et
l’Algérie se portera bien.
Le mot de la fin, il ne s’agit ni
plus, ni moins, que d’un banal transport aérien de fret, des vols effectués de
jour et de nuit des centaines de fois par jour dans le monde.