RELATIONS
INTERNATIONALES- MAROC- FRANCE/ESPIONNAGE TELEPHONIQUE (II/II)
© Lénaïg Bredoux
et Ilyes Ramdani pour Mediapart (France)
, juillet 2021)
Dans cette longue tradition de diplomatie d’influence,
le Maroc a pu se trouver fort dépourvu après l’élection d’Emmanuel Macron. «
Toutes les courroies habituelles ont été débranchées, estimait alors dans
Mediapart l’historien Pierre Vermeren. Il ne semble
plus y avoir “d’amis intimes”, comme on dit au Maroc. C’est un grand changement
par rapport aux autres présidences. »
Mais, là encore, les réseaux parallèles se sont
reconstitués à coups de réceptions fastueuses et de voyages intéressés. Aussi
le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, s’est-il rendu à
l’ambassade du Maroc à Paris pour participer à la fête du Trône en 2018.
L’année dernière, épidémie oblige, l’événement s’est limité à quelques vidéos
enregistrées en l’honneur du souverain. On pouvait y voir Gabriel Attal, le
porte-parole du gouvernement, se présenter fièrement comme un « ami du Maroc et
des Marocains ».
On retrouvait aussi l’ancien ministre socialiste
Hubert Védrine, le sénateur LR Christian Cambon et ses « vœux » formulés « pour
Sa majesté », le député LREM Mustapha Laabid qui
témoigne de son « amitié et [son] profond respect à Sa majesté le roi Mohammed
VI et à son peuple » et parle de « glorieuse journée », ou encore Jacques Attali
formulant « tout [ses] vœux à ce royaume si essentiel à ce dialogue des civilisations
». Mais aussi le patron du groupe aéronautique Safran, Ross McInnes.
Pas d’Éric Dupond-Moretti en revanche : le ministre de
la justice est pourtant l’un des principaux liens entre Mohammed VI et le
pouvoir macroniste. Et pour cause. Il a été son avocat
personnel jusqu’à sa nomination au gouvernement, il y a un an. En 2015, il
faisait le tour des plateaux de télévision pour dénoncer le chantage dont
aurait été victime le roi du Maroc de la part de deux journalistes français. À
l’été 2019, il démentait en son nom les rumeurs visant la famille royale avant
d’annoncer, un mois plus tard, le divorce de Mohammed VI et de son épouse, la
princesse Lalla Salma.
En décembre dernier, c’est en sa qualité de ministre
qu’Éric Dupond-Moretti passait deux jours à Rabat. Au programme de sa visite,
des entretiens bilatéraux avec les ministres marocains de l’intérieur et de la
justice. L’ancien avocat y a signé une déclaration commune avec son homologue,
visant à mieux coordonner la gestion des mineurs non accompagnés (MNA)
marocains en France. Selon Jeune Afrique, il a également été question de
renseignement et de lutte antiterrorisme.
C’est aussi au Maroc qu’un autre ancien proche conseiller
du chef de l’État, Alexandre Benalla, avait choisi de
s’installer après son départ de l’Élysée (lire nos enquêtes). Il y a créé Comya, une société de conseil en sécurité. À l’occasion d’une
rencontre d’entrepreneurs à Tanger en novembre 2019, l’ex-chef de cabinet
adjoint d’Emmanuel Macron vantait « la structure étatique parfaitement conçue »
du Maroc, « pays le plus sûr d’Afrique ». « Les services de renseignement
marocains sont très forts, sur le plan humain mais aussi technologique », lançait-il
à l’époque…
En sus de ces appuis politiques au plus haut niveau de
l’État, le Maroc cumule aujourd’hui les relais au sein des élites médiatiques, culturelles
et intellectuelles. Le philosophe Bernard-Henri Lévy passe une partie de
l’année dans son riad de Marrakech. Un ancrage qui a
visiblement nourri chez lui une passion pour le régime. En septembre 2016, il
titrait ainsi son éditorial dans Le Point : « Vive le Roi ! ». L’intellectuel
s’y extasiait sur un discours récent du monarque. « Ce chef d’État-ci n’est pas
un chef d’État comme un autre », écrivait-il, en cela que ses qualités de « monarque
chérifien », « commandeur des croyants » et « descendant du Prophète »
donneraient à ses propos « une portée qu’elle n’aurait dans la bouche d’aucun
autre ».
Plusieurs personnalités du monde de la culture sont
des fidèles de Mohammed VI. C’est le cas du comédien et humoriste Jamel Debbouze, lui aussi franco-marocain et ami revendiqué
du chef d’État. « Je suis très fier de cette amitié et de la considération que
me porte notre roi, a déclaré en 2019 celui qui organise depuis dix ans à
Marrakech le festival du rire. Dieu merci, on a la chance d’avoir un monarque
ouvert, tolérant, qui aime la culture. On a une chance incroyable et il faut le
porter comme il nous porte. »
Le chanteur Maître Gims, qui vit à Marrakech, est tout
aussi dithyrambique. « J’ai rencontré le roi du Maroc, on s’est liés d’amitié,
et voilà où l’histoire commence », racontait-il à Paris Match en décembre dernier.
Il n’est pas rare que les deux artistes diffusent sur les réseaux sociaux des
photos de Mohammed VI à leurs côtés. Ainsi de ce cliché, posté en 2017 par
Maître Gims avec cette légende : « Vive le roi » en arabe.
Ces personnalités culturelles sont régulièrement mises
en avant, des deux côtés de la Méditerranée, comme des emblèmes de la relation
apaisée entre les deux pays. Emmanuel Macron a par exemple proposé à Leïla
Slimani de l’accompagner à Rabat en 2017. Engagée sur un certain nombre de
sujets sociétaux, la romancière se fait discrète quand il s’agit de la
monarchie : interrogée par RTL sur le mouvement populaire du Rif en 2018, elle
avait botté en touche. « Je ne connais malheureusement pas les tenants et les
aboutissants de ces contestations », avait répondu celle qui a longtemps tenu
un blog sur le site Le360.ma, connu pour ses liens avec le pouvoir marocain.
Du soft power, de la diplomatie parallèle, une influence
croissante : le Maroc cumule les passerelles avec la France. Sans oublier la
sphère économique, omniprésente dans un pays dont le roi est aussi un homme
d’affaires à la tête d’un colossal empire financier. Les entreprises françaises
tiennent à ce partenaire marocain qui accueille 750 de leurs filiales et leur
offre quelques-uns de leurs plus gros contrats.
La deuxième (et dernière, à ce jour) visite d’Emmanuel
Macron au Maroc a d’ailleurs eu lieu en 2018 pour inaugurer la première ligne à
grande vitesse d’Afrique entre Tanger et Kénitra, fournie par Alstom et
financée à 50 % par la France pour lui servir de vitrine sur le continent. Ce
jour-là, le président de la République était accompagné de plusieurs cadres et
chefs d’entreprise français, dont un représentant d’Alstom. La multinationale
française produit et livre les tramways de Casablanca et Rabat, contre
plusieurs centaines de millions d’euros.
En même temps que se développait cette relation «
passionnelle » entre les deux pays, dixit l’ambassadrice de France au Maroc
vendredi, le Maroc surveillait donc plusieurs dizaines de citoyens français,
parmi lesquels des journalistes et des patrons de presse.
Interrogés par Forbidden
Stories et ses médias partenaires, NSO et le Maroc ont contesté ces révélations.
La monarchie les a même qualifiées d’« allégations
infondées ». De quoi assombrir le ciel bleu des relations franco-marocaines ? "
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