DEFENSE – ENQUETES ET REPORTAGES-
MAROC/ESPIONNAGE TELEPHONIQUE
© Aps,
lundi 19 juillet 2021
Le Maroc s’est empêtrée
dans une nouvelle affaire d’espionnage, prenant cette fois pour cible des
journalistes marocains et des professionnels de médias étrangers à l’aide d’un
logiciel israélien, prouvant ainsi des informations récurrentes sur une collaboration
avec Israël dans le domaine de l'espionnage remontant à soixante ans.
L’affaire, considérée
comme l'un des plus grands scandales d’espionnage, de la décennie, éclatera au
grand jour après la publication, dimanche, par 17 médias internationaux, des révélations
sur l’utilisation du logiciel espion israélien baptisé Pegasus. Leur travail se
fonde sur une liste de 50.000 numéros de téléphone présélectionnés par les
clients de NSO pour une éventuelle mise sous surveillance, obtenue par le
réseau Forbidden Stories et l'ONG Amnesty
International.
Pegasus qui permet de prendre le
contrôle d'un smartphone, donne accès à l'intégralité du contenu de l'appareil
ainsi qu'à son microphone et sa caméra. Parmi les pays utilisateurs:
le Maroc.
"Depuis la révélation
par Amnesty International, en 2020, de l’infection du téléphone du journaliste
marocain d’investigation Omar Radi par le même logiciel espion, les
journalistes marocains indépendants se doutaient bien qu’ils pouvaient être
ciblés, eux aussi, par le programme de surveillance commercialisé par
l’entreprise israélienne NSO Group, régulièrement accusé de faire le jeu de
régimes autoritaires.
Les listes de numéros
de téléphone sélectionnés comme des cibles potentielles ont montré, selon
l’enquête, que le régime marocain a utilisé Pegasus pour viser, de manière
systématique, des journalistes critiques du pouvoir, et des dirigeants des
grandes rédactions du pays.
Les services
marocains ont également sélectionné pour surveillance potentielle un téléphone utilisé
par Omar Brouksy, ancien correspondant de l’Agence
France-Presse (AFP) à Rabat et auteur de deux livres critiques sur Mohammed VI
et les relations entre la France et le Maroc.
Les journalistes
marocains ne sont pas les seuls à intéresser les services de renseignement du
royaume. Une trentaine de journalistes et de patrons de médias français
figurent sur la liste des cibles de Pegasus. A plusieurs reprises, le
consortium Forbidden Stories et le Security Lab d’Amnesty International ont pu techniquement déterminer
que l’infection avec Pegasus avait été couronnée de succès.
Si les services
marocains semblent avoir majoritairement visé des journalistes travaillant pour
des rédactions dites de gauche ou au centre, les médias de droite n’ont pas été
épargnés pour autant.
Encore et selon ces
révélations, le Maroc espionnait, grâce à ce logiciel israélien, plus de 6000
numéros de téléphone en Algérie, de 1000 en France et de 500 numéros en
Turquie.
Le scandale qui vient
d’éclater avait été évoqué par le Pr. Ammar Belhimer,
actuellement ministre de la Communication, dans une chronique intitulée
"L’œil du Mossad", parue en date du 26 novembre 2019 sur les colonnes
du quotidien Le Soir d’Algérie.
Le Pr Belhimer avait relevé, notamment, dans son écrit que
"les armes de l’ère numérique développées par Israël pour opprimer les
Palestiniens sont rapidement réutilisées pour des applications beaucoup plus
larges contre les populations occidentales qui ont longtemps pris leurs
libertés pour acquis" les Occidentaux doivent déchanter en effet quand on
sait qu’un "big brother" lilliputien a
acquis le pouvoir de suivre le moindre de leurs gestes ou de leurs paroles.
Le Royaume n’en est
pas à sa première infraction el la matière. Le quotidien américain, le New York
Times, avait révélé, dans son édition du 11 décembre 2020, que l'annonce de la
normalisation des relations entre le Maroc et Israël était le couronnement de
60 années de collaboration secrète.
"Pendant près de
60 ans, le Maroc et Israël (...) ont collaboré étroitement mais secrètement sur
les questions militaires et de renseignements et
les assassinats (...)", avait encore affirmé ce quotidien
En 1965, lorsque les
dirigeants arabes et les commandants militaires se sont rencontrés à
Casablanca, le Maroc a permis au Mossad de mettre sur écoute leurs salles de
réunion et suites privées, avait notamment écrit le quotidien américain.
Les écoutes
clandestines ont donné, donc, à Israël un aperçu sans précédent de la pensée,
des capacités et des plans arabes, qui se sont révélés vitaux pour le Mossad et
les Forces de défense israéliennes dans la préparation de la guerre de 1967.
Peu de temps après et
à la demande des services de renseignements marocains, le Mossad a localisé
l'opposant marocain M. Ben Barka, en l'attirant à Paris où des Marocains et des
Français alliés l'ont enlevé. Il a été torturé à mort et les agents du Mossad
se sont débarrassés du corps, qui n'a jamais été retrouvé.
Une décennie plus
tard, le roi Hassan II et son gouvernement sont devenus " la voie secondaire"
entre Israël et l'Egypte, et le Maroc est devenu "le site de réunions
secrètes" entre leurs fonctionnaires, avant les accords de Camp David de
1978 et la normalisation des relations entre les anciens ennemis. Israël a
ensuite aidé à persuader les Etats-Unis de fournir une assistance militaire au
Maroc, selon toujours New York Times.
Un
agissement "inacceptable" selon l’UE
L'affaire
Pegasus d'espionnage de militants, journalistes et opposants du monde entier
pour est "complètement inacceptable" si elle est avérée, a affirmé
lundi la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
"Cela doit être
vérifié", mais si c'est vrai "c'est complètement inacceptable",
a déclaré la responsable à des journalistes à Prague. "La liberté de la
presse est une valeur centrale de l'Union européenne", a
affirmé Mme Von der Leyen.
De son coté, le porte-parole du gouvernement français, Gabriel
Attal a considéré les faits « extrêmement choquants, et, s'ils sont avérés,
(qui) sont extrêmement graves". "Nous sommes extrêmement attachés à
la liberté de la presse, donc c'est très grave d'avoir des manipulations, des
techniques qui visent à nuire à la liberté des journalistes, leur liberté
d'enquêter, d'informer", a-t-il ajouté.
Selon une enquête
publiée dimanche par un consortium de dix-sept médias internationaux, le
logiciel Pegasus, élaboré par l'entreprise sioniste NSO Group, aurait permis
d'espionner les numéros d'au moins 180 journalistes, 600 hommes et femmes
politiques, 85 militants des droits humains ou encore 65 chefs d'entreprise.
Les données analysées
par les rédactions du "Projet Pegasus", dont les quotidiens français
Le Monde, le britannique The Guardian et l'américain The Washington Post, ne
sont pas exhaustives. Elles semblent ne couvrir qu’une dizaine de pays clients
de ladite société NSO, alors que l’entreprise affirme en compter une
quarantaine.