L’absence de
satisfaction des réalisations de 59 ans d’indépendance : importante et
fortement liée au niveau d’instruction
Au lendemain de la commémoration du 59e anniversaire de l’indépendance,
nous avons voulu savoir comment les Algériens apprécient le chemin parcouru. La
question posée était la suivante : «Cela fait 59 ans
que l’Algérie a eu son indépendance. Pouvez-vous me dire si vous êtes satisfait
ou pas satisfait de ce que l’Algérie a réalisé au cours de ces 59 ans ?» Les modalités
de réponse étaient : très satisfait, satisfait, peu satisfait, pas du tout
satisfait ou sans opinion.
Le premier constat est que les Algériens sont très partagés sur cette question.
Satisfaits et insatisfaits sont à peu près dans les mêmes proportions (49%
contre 46%). Mais parmi les deux modalités de l’insatisfaction et les deux de
la satisfaction, nous sommes loin d’avoir la même symétrie.
Voyons d’abord comment ce degré de satisfaction se distribue à l’intérieur des
différents groupes sociaux tels que délimités par le genre, le niveau
d’instruction, la situation individuelle, l’âge ou d’autres variables toutes
aussi importantes.
Selon le genre, on observe une différence assez significative entre hommes et
femmes, notamment pour les modalités pas du tout satisfait et satisfait.
La satisfaction évolue de manière significative avec le niveau d’instruction :
la proportion des «pas du tout satisfait» s’élève fortement en passant des
analphabètes aux personnes ayant un niveau d’études supérieures. La tendance à
avoir une opinion ou non suit la même tendance. Enfin, la proportion de «très satisfait» baisse assez fortement avec le niveau
d’instruction. Les chiffres ne montrent pas par contre de tendance précise chez
les «satisfait» : la proportion fluctue fortement en
passant des analphabètes aux supérieurs. Globalement donc, nous avons
clairement un effet du niveau d’instruction qui est corrélé négativement à la
satisfaction.
Par situation individuelle, nous noterons le cas des femmes au foyer. La proportion
de «pas du tout satisfait» ou «pas satisfait» atteint
le minimum pour cette catégorie et la proportion de satisfait ou très satisfait
atteint son maximum. Cette particularité explique à elle seule pourquoi,
globalement, les femmes sont plus satisfaites que les hommes. La majorité des
femmes (65% environ) sont des femmes au foyer. Elle explique aussi un autre
constat, à savoir que les célibataires sont beaucoup moins satisfaits que les
mariés (54% d’insatisfaits en regroupant les deux modalités d’insatisfaction
contre 42%). Les femmes au foyer constituent aussi une bonne majorité (75%) des
femmes mariées. Nous avons vu plus haut que le degré de satisfaction est lié
négativement au niveau d’instruction. Or, le niveau d’instruction des femmes au
foyer est pour plus de 50% d’entre elles inférieur ou égal au moyen. Les femmes
de niveau d’instruction supérieur n’en constituent que 14%.
Par situation individuelle, la catégorie la moins satisfaite est celle des
chômeurs où la proportion de non satisfaits atteint son maximum et celle des
satisfaits son minimum, c’est-à-dire une situation quasi symétrique avec celle
des femmes au foyer. Les sans-opinion atteignent leur maximum ici.
Autre phénomène très particulier, les ruraux sembleraient moins insatisfaits que
les urbains. De même, les habitants des Hauts-Plateaux et du sud ont une
propension plus importante que ceux des régions nord à être satisfaits ou très
satisfaits. On constate l’inverse pour la non-satisfaction. Ces deux phénomènes
(différence suivant les régions et différence suivant l’urbain et le rural)
semble eux-mêmes déterminés, ne serait-ce qu’en partie, par les niveaux
d’instruction différenciés par dispersion et par région, notamment la
proportion de personnes de niveau supérieur dans l’urbain de manière générale
et dans le nord du pays comparativement aux Hauts-Plateaux et au sud.
Notons enfin une assez bonne corrélation (négative) de la satisfaction avec
l’âge. Plus les personnes sont âgées, plus on y trouve de personnes satisfaites
(les deux modalités réunies) et inversement, plus les personnes sont jeunes et
plus on y trouve d’insatisfaits. Sauf à l’extrême aussi ou la proportion des
insatisfaits remonte chez les 60 ans et plus. Ceci est illustré dans le
graphique donnant la proportion des non-satisfaits (très peu satisfaits et peu
satisfaits) par groupe d’âge.
Ceci est aussi lié en partie au niveau d’instruction. Les jeunes étant,
proportionnellement, les plus instruits. Mais il n’est pas exclu aussi que le
niveau d’exigence chez les jeunes soit plus élevé. En particulier le
référentiel temporel pour se prononcer sur les réalisations de l’Algérie
indépendante est, chez les jeunes, beaucoup plus court et donc les possibilités
de constater des changements plus réduites. Plus
troublant est le fait que la proportion d’insatisfaits remonte après 60 ans.
Ceci semble lié à la situation individuelle de retraité où le taux de «très peu satisfait» est très élevé (35% contre une moyenne
de 30%).
Au total, les phénomènes qui semblent avoir chacun un effet spécifique sur le
degré de satisfaction sont d’abord le niveau d’instruction, puis l’âge et le
genre. Sur le fond lui-même, il est clair qu’une proportion d’insatisfaits de
près de 50% interpelle fortement. Un hiatus s’est installé entre l’énoncé
régulier par les pouvoirs publics des progrès dans la santé, l’éducation, les
infrastructures et le niveau de vie (nutrition, habitat) et les aspirations des
citoyens sur d’autres dimensions telles qu’exprimées par exemple par le Hirak. Cela relève de la tâche des sociologues que de nous
apporter des réponses sur ce décalage.