ECONOMIE-
OPINIONS ET POINTS DE VUE- EL KADI IHSANE/RADIO M/JUIN 2021
« Plan de relance » : trois lectures pour expliquer l’étonnant « coup » de
Abdelaziz djerrad
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El Kadi Ihsane, www. Info Radio M | 21/06/21
La publication sur le site du premier
ministère d’une feuille de route économique 2020-2024, a dérouté l’opinion au
moment ou le locataire des lieux doit remettre la
démission de son cabinet. Explications.
Un document de 197 pages, en incluant
les appendices, intitulé « plan de relance économique » a été publié par le 16
juin par la primature. En réalité, il s’agit d’une feuille de route
pluriannuelle de développement économique qui dépasse de beaucoup
un simple « plan de relance » traitant (contre cycle) d’une
dépression de l’activité (2019-2020). Le document, produit dans ses grandes lignes par les services du ministre
délégué chargé de la prospective Mohamed-Chérif Belmihoub était prêt en
décembre dernier, avant que le ministre délégué en question ne soit remercié,
mais maintenu sous embargo. Il comporte de très nombreuses informations
précieuses sur l’organisation du travail au sein du gouvernement Djerrad pour notamment inverser le climat des affaires,
relancer l’investissement, diversifier les exportations et attirer les capitaux
étrangers.Sa publication en
l’état, en ce moment précis, a interpellé tous les observateurs. La séquence
institutionnelle est celle de la démission du gouvernement une fois
officialisés les résultats des élections législatives du 12 juin, afin de laisser
la latitude au chef de l’Etat de désigner un nouveau premier ministre issu de
la majorité parlementaire. Pourquoi alors « balancer » un tel pavé, supposé
être le programme de gouvernement économique du pays pour la période 2020-2024
?
Comme un acte de dépit
Le premier sentiment qui vient à la
lecture du « plan de relance » du premier ministre est gênant. C’est celui d’un
acte de dépit, d’une opération de mise à nue, de dénonciation spectaculaire de
ceux qui n’ont pas « fait le boulot » au sein de son cabinet. Et qui seraient
donc responsables de son lamentable échec.Le
document est en effet précis. Il est articulé autour de 143 recommandations
issues de la conférence nationale de août 2020 et de conférences sectorielles
(transition énergétique, start up, secteur
financier, ect..) avec 12 départements ministériels «
chef de file », en charge de les mettre en œuvre selon un procès très détaillé
et un tableau de réalisation de livrables temporalisé. Abdelaziz Djerrad ne peut pas être dupe de son geste. Son document
affiche immédiatement les retards voire les mises au placard des
recommandations par ministère. De même qu’il se saborde dans la foulée
affichant également la panne intégrale dans la mise en oeuvre
des recommandations dites transversales qui dépendent plus directement de
l’animation de l’imprimatur, donc de sa responsabilité.La
lecture, la plus spontanée, serait donc la suivante ; Abdelaziz Djerrad informe les Algériens qu’il est un « réformateur
empêché ». Il veut leur dire qu’il avait une feuille de route pour moderniser
l’économie – et, à plus d’un titre, le plan de relance publié est intéressant
de ce point de vue – mais qu’il n’avait pas
l’équipe gouvernementale pour le réaliser, ni les appuis politiques nécessaires.
Djerrad « dénonce » donc les blocages en « balançant
» le tableau des tâches de chacun, une grande partie devait être réalisée en
2020 et 2021.
Cette première lecture est celle du
scénario testamentaire. Le plus probable. Abdelaziz Djerrad
se sait partant et règle ses comptes sur le seuil de la porte. Cela ressemble
assez à la personnalité fade, sans envergure politique de celui qui a du été en charge de donner du crédit à l’action publique par
contexte de rejet populaire et de crise sanitaire. Et qui, tétanisé par la
fonction, n’a jamais cherché à alerter publiquement sur les blocages ou a construire des alliances actives
pour déployer sa feuille de route économique.
Accroché au poste ?
Une seconde lecture du « coup » de
Abdelaziz Djerrad vient ensuite à l’esprit. Celle du
haut fonctionnaire qui veut s’accrocher au poste. Après tout pourquoi pas. Un
nouveau premier ministre issu du désert électoral du 12 juin dernier n’aura pas
plus de légitimité que lui, qui en plus affirme détenir la feuille de route
économique pour sauver la maison Algérie. La publication du « plan de
relance économique » dans tous ses détails serait donc un acte de campagne
électorale à retardement pour tenter de rester premier ministre. Les « atouts »
de Djerrad, aux yeux de Abdelmadjid Tebboune et de la haute hiérarchie de l’ANP, ne seraient
pas sans intérêts, de ce point de vue.Le
document montre une fine connaissance des diagnostics sectoriels, parfois
émanant des acteurs eux mêmes. Un vrai gain de temps
par rapport à un nouveau ministre de compromis politique factice, qui serait
tenté de réinventer la roue, alors que les mesures d’urgence attendent pour
rétablir les conditions de la croissance économique. Abdelaziz Djerrad ferait ainsi d’une pierre deux coups avec sa
publication « audacieuse » de la feuille de route économique de son cabinet. Il
montrerait qu’il a déjà les « solutions » pour moderniser l’économie et
désignerait en même temps en creux les coupables qui empêchent leur mise en
œuvre depuis plus d’un an. Cette lecture, celle de la quête du statut quo
correspond également à l’ambiance générale de la gouvernance algérienne qui
sanctionne les échecs par la continuité.Dans
son mot inaugural du document, Abdelaziz Djerrad n’a
pas tremblé en mettant en tête des principes fondamentaux qui régissent ce plan
de relance économique « le renforcement de l’Etat de droit, (primauté de la
loi) ». Il peut donc tranquillement s’envisager continuer, au poste de premier
ministre, à recourir à la répression en infraction de la loi pour « relancer »
l’économie algérienne.
Tensions internes
La publication du « plan de relance
économique » par le premier ministre sortant suscite une troisième lecture
spéculative. Ce serait, dans le contexte opaque de tensions intra-système, une injonction de la présidence de la république
ou d’un autre centre de pouvoir afin d’indiquer à tous ou se situent les défis
et de peser sur la composition puis l’action du prochain gouvernement.
Après tout Abdelaziz Djerrad n’a pas habitué les
Algériens aux actions d’éclats. Il aurait ainsi assuré une dernière mission en
mode soldat. Le document ne dit pourtant rien sur l’essentiel. Quel
cadrage budgétaire pour soutenir un plan de relance ? Là ou
la task force auprès du gouvernement de Abdelmalek Sellal avait, en 2016, fait bouger les lignes, le plan de
relance du gouvernement Djerrad fuit les arbitrages
qui fâchent, même s’il entreprend de réduire du pouvoir des bureaucrates. Il
peut donc, finalement, être assumé par n’importe quel successeur à
l’imprimatur. Ces objectifs – exporter 5 milliards de dollars en hors
hydrocarbures en 2021 ou revenir à l’excédent de la balance commerciale à
partir de 2023 – sont parfois suffisamment
farfelus pour dispenser le prochain gouvernement d’une obligation de résultats.Finalement ce que révèle vraiment la publication
du « plan de relance économique » dans sa version intégrale, est que personne
ne peut en réaliser l’ombre d’un début d’exécution dans le chaos politique
actuel. La liste des 143 recommandations – pas toujours cohérentes entre elles – qui y figurent comprend un reste à réaliser de prés d’une dizaine d’année de l’ère du bouteflikisme.Le
statu quo politique enfante l’enlisement économique. Ce n’est plus de la
responsabilité du premier ministre tant cela dépasse le sort personnel de
l’honnête universitaire totalement égaré sur le front de la restauration
autocratique. Et dépassera, tout aussi, celui de son successeur si Tebboune choisit de ne pas le reconduire dans sa fonction.