AGRICULTURE- ENQUETES ET REPORTAGES -
CORAIL/EL KALA /SALIM SADKI
© Salim Sadki/El
Watan, jeudi 10 juin 2021
C’est le plus beau corail de toutes les
mers !», s’exclame déjà au XIIe siècle, le célèbre géographe, explorateur,
botaniste et médecin andalou, El Idrissi (1100 – 1075), qui a séjourné vers
1150 à Mers El Kharez (aujourd’hui El Kala), qui
signifie le port des perles, en référence probablement aux bijoux de corail
recherchés par les Romains dès l’antiquité.
Mers El Kharez,
que décrit aussi avant lui en 1068 El Bakri (1014-1094), géographe et historien
également andalou, comme «un abri naturel, nid de
corsaires avant de devenir un port de pêche et où on construit des vaisseaux de
guerre qui servent à porter le ravage dans les pays des Roum».
Mers El Kharez occupe l’emplacement de l’ancienne
cité romaine Tuniza, du Berbère «tounès» qui signifie bivouac, ce qui laisse supposer
que c’était déjà une halte entre Carthage et Hippone.
Elle devient La Calle qui vient de «cale à bateaux» avec l’implantation vers 1679 de la
colonie d’Européens de négociants, pêcheurs de corail et soldats qui se sont
installés au bastion de France (La Vieille Calle) dès la moitié du XVIe siècle.
Jusqu’ à nos jours, le corail est intimement lié à l’histoire tourmentée d’El
Kala et de sa région. Ibn Haukal (943-988),
chroniqueur et géographe arabe, nous apprend que Mers El Kharez
était habitée en 960 par des marchands très riches et des courtiers pour la
vente du corail. «Un Commissaire-inspecteur établi par
le Khalife abbasside El Mansour y présidait à la prière, recevait les impôts et
examinait les produitsd e la Pêche.» «Le corail, qui entrait déjà dans la parure des dames
romaines du temps de Pline, devint également en usage chez les musulmans», rapporte
encore Charles Ferraud (Histoire des villes de la provende de Constantine, La
Calle. Alger.1877).
Dès l’antiquité, il est au centre des
multiples conquêtes et reconquêtes, souvent violentes, de cette partie de la «côte barbaresque» telle que la nommait les auteurs
européens. Des convoitises et des luttes incessantes vont pendant des siècles
opposer navigateurs, commerçants, pirates, corsaires, militaires de différentes
nations européennes, entre eux ou avec les tribus autochtones. Le corail a été
pêché de tout temps.
On dit pêcher pour souligner que le corail
rouge des fonds méditerranéens n’est pas constitué en récifs massifs mais par
des branches fixées individuellement à la roche. El Idrissi signale la grande
activité et le nombre important des embarcations dans le port d’El Kala pour la
pêche au corail.
Charles Ferraud rapporte des témoignages
et écrits sur une exploitation du corail durant les règnes des dynasties
musulmanes berbères et arabe. Puis, avec les premières concessions accordées
par la régence ottomane d’Alger ou de Tunis aux Français dès le début du XVIe siècle,des auteurs, historiens et
livres des négociants montrent que le port d’El Kala a abrité dans sa «période
faste» (1630-1830), jusqu’à 800 embarcations destinées à la pêche au corail.
«400 bateaux en 1812 et 230 bateaux en 1873 ont pêché 26 tonnes au point où il
n’y avait presque plus de poisson à La Calle pourtant également très réputée
pour ses fonds poissonneux», rapporte Lacaze-Duthiers
(Histoire naturelle du corail. 1862). Un phénomène qu’on observe également de
nos jours après le pillage de ces 20 dernières années.
L’exploitation du corail, pratiquée avant
et pendant la colonisation, à la croix de Saint-André, dévastatrice, n’a cessé
de décliner de l’occupation de l’Algérie jusqu’au début du XXe siècle. Puis
elle a cessé. Epuisement des stocks ou les guerres mondiales ? Les vieux
pêcheurs d’El Kala affirment : «Il n’y avait pas de
pêche de corail à l’époque des Français, bien avant le déclenchement de la
guerre de Libération.» Elle reprend 12 ans après l’indépendance avec l’OAP
(Office algérien des pêches).
Confiée à une société italienne qui
utilisera encore la croix de Saint-André et récolté 10 tonnes de produit brut
exporté en Italie, elle est suspendue après le passage au large d’El Kala en
août 1978 du célèbre océanographe Jean-Yves Cousteau, qui faisait campagne en
Méditerranée contre l’usage d’engins de pêche destructeurs.
En 1979, l’OAP devient Enapêches
relance l’exploitation du corail en partenariat avec des corailleurs privés qui
modernisent la récolte avec des plongeurs en scaphandre et le sécateur pour une
cueillette sélective. En contrepartie, ils cèdent 10% de leur production à
l’entreprise d’Etat. Les premiers, ils sont une poignée, ils sont des
investisseurs issus du secteur de la pêche qui se lanceront également dans la
transformation du brut, interdit à l’exportation, en produits finis et
semi-finis d’excellente qualité.
Ils subiront un premier contrecoup dans
leur activité avec l’interdiction d’employer des plongeurs étrangers à partir
de 1997. En dépit du retrait des corailleurs qui se refusaient d’avoir recours
à des plongeurs inexpérimentés, il y a eu une regrettable série de décès de
plongeurs algériens, le nombre de concessions accordées augmente rapidement.
C’est la période de la course au corail
devenue l’équivalent d’une devise forte et celle d’une série d’affaires qui
vont jeter le discrédit sur l’activité, c’est la période du
«rush affairiste» de la fin des années 1990. Des quantités de corail
pêchées sont exportées frauduleusement. Le corail devient alors un produit de
contrebande.
Entre 1987 et 2000, près de 40 tonnes
auront été pêchées avec seulement 10 concessionnaires, contre 317 kg avant 1998
pour 20 concessions. Des chiffres officiels très contestables, car dans les
années 1974-78, à la croix, on atteignait 7 tonnes/an et que d’anciens
corailleurs ont reconnu qu’avec la formule moderne des années 1990, ce ne sont
pas moins de 15 tonnes/an qui ont été sorties de l’eau. En octobre 2002, toutes
les activités cessent, la pêche est carrément suspendue pas un décret exécutif
pour permettre une évaluation de l’exploitation et une régénération de la
ressource. Les bateaux sont amarrés, bien rangés, dans la darse et ils vont y
rester jusqu’à ce jour.
C’est la fin d’une époque qui va être
suivie par celle de la pêche illicite, avec des milliers d’embarcations «de plaisance» équipées d’une croix de Saint André (Kerkara) plus élaborée qui vont piller la ressource et
saccager les fonds marins. Il y aurait quelque 3 tonnes de corail brut, qui
quittent le pays par la contrebande pour échouer chez les artisans de la petite
ville de Torre d’El Gréco près de Naples (Italie) qui façonnent les coraux et
les commercialisent dans le monde entier. Les saisies effectuées par les
services de sécurité n’atteignent pas elles 100 kg/an.