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ENTRETIEN PRESIDENT TEBBOUNE/EL DJAZIRA M 8/6/2021-SYNTHESE LE SOIR D’ALGERIE
© Le Soir d’Algérie/Nawal
Imés, mercredi 9 juin 2021
Après
l’interview au journal Le Point, c’était, hier mardi, au tour de la chaîne
qatarie El Jazeera d’interviewer Abdelmadjid Tebboune
qui signe ainsi la première prestation du genre d’un Président algérien. Il a
été beaucoup question de politique interne, puisque le président de la
République est longuement revenu sur les circonstances dans lesquelles il avait
été amené à prendre les rênes du pays, affirmant que «le pays avait atteint un
seuil de déliquescence inimaginable avec non plus un pouvoir, mais une
véritable bande».
Le président de la République explique que l’étendue des dégâts causés à
l’économie n’est pas encore totalement connue, puisque, dit-il : «On est encore
en train de découvrir que des milliards de dollars ont été détournés vers
l’étranger, certains sont visibles, d’autres pas : l’État a investi
1 000 milliards de dollars dont 30% de surfacturations.» Avant d’ajouter que «les opérations d’importation étaient frauduleuses et entre
les mains d’une cinquantaine de personnes qui avaient le pouvoir de décider qui
peut investir ou pas. Plus qu’une oligarchie, c’était une kleptocratie».
Et d’ajouter encore que «la justice a décidé de confisquer les biens de tous
ceux-là. On espère que les amis en Europe et ailleurs nous aident à recouvrer
les sommes détournées dans un contexte où la corruption était à tous les
niveaux : c’est devenu une culture d’État. Et pour lutter contre tout cela, c’est
difficile, mais le peuple en est conscient et soutient aujourd’hui ma démarche
et les 54 engagements de mon programme électoral».
Transition toute faite pour évoquer le mouvement populaire du 22 février qu’il
préfère qualifier de «Hirak
béni», lequel, dit-il, «a sauvé le pays» avec pas moins de 13 millions
d’Algériens dans les rues pour dire non au cinquième mandat et à la
prolongation du quatrième. «On a failli aller vers un
cinquième mandat, avec un Président qui ne pouvait presque plus parler, mais le
Hirak originel a refusé. Des millions d’Algériens
sont sortis le dire et après, ils ont majoritairement accepté les élections
avec 10 millions d’électeurs.» C’est à ce moment que
le Président évoque les manifestations qui sont depuis peu interdites, en affirmant
que «les gens sont alors rentrés chez eux, ils avaient
réussi. Ce qui reste, c’est des centaines de personnes à l’identité inconnue,
sans unité de slogans ni revendications communes. Dans 51 wilayas, personne ne
sort plus. Dans les autres, seul des centaines de personnes le font». Le président de la République affirme qu’au regard de
la conjoncture «cela aurait pu se terminer dans la
violence. Mais aujourd’hui la situation est autre, et le danger est passé,
puisque le peuple sait que le changement ne vient pas à travers la violence et
le sang, mais de l’intérieur même des institutions».
«L’Algérie, seule République debout après le Printemps
arabe»
Avec l’imminence de la tenue des
législatives, ne craint-il pas que les islamistes n’emportent la majorité ?
Visiblement pas, puisque Tebboune répond que «les islamistes, version algérienne, ne sont pas ceux qui
existent en Égypte par exemple. L’islam idéologique n’existe plus, et les
risques de dérapage non plus».
Interrogé au sujet de ses relations avec l’armée, il les qualifiera de
tellement «naturelles» que la question en elle-même l’étonne. Une armée «professionnelle», assure Tebboune,
et qui ne s’ingère plus dans la politique et grâce à laquelle le pays a gagné
en stabilité en dépit des «complots» qui la visent. Pourquoi est-elle visée ?
Le président de la République répond que «l’Algérie
est visée depuis longtemps parce qu’elle n’accepte pas les complots contre le
monde arabe. L’Algérie est aux côtés des pays opprimés, et on veut faire taire
sa voix ce qui est impossible : l’Algérie n’a aujourd’hui aucune dette et peut
être souveraine dans ses décisions. Même le caractère social de l’État est
constitutionalisé. Nous sommes la seule République à être restée debout après
le Printemps arabe, que l’Algérie a connu en Octobre 1988».
Qu’en est-il des rapports avec le voisin marocain ? «Nous
n’avons pas de problèmes avec le Maroc. C’est ce dernier qui a des problèmes
avec nous». Au sujet de la question sahraouie, Tebboune dira que cette dernière est
«depuis quatre décennies entre les mains de la commission onusienne de
décolonisation. Les Nations Unies considèrent le Sahara Occidental comme une
colonie. Nous entretenions par le passé de bonnes relations avec le Maroc et
les frontières étaient ouvertes, malgré le dossier du Sahara Occidental. Nous
n'acceptons pas le fait accompli, quelles que soient les circonstances».
La crise libyenne a également été évoquée. La sécurité de ce pays, dit-il,
constitue «une ligne rouge» et l’Algérie refuse que sa
capitale ne soit entre les mains de mercenaires et qu’elle «était prête à
intervenir d'une façon ou d'une autre, pour empêcher sa chute. Nous allions
empêcher les mercenaires de prendre Tripoli». Pour Tebboune, le message de l’Algérie a été entendu, et le
dossier libyen a signé le retour de la diplomatie algérienne sur la scène
internationale.
Le Mali a été également au centre des questions posées et au sujet duquel le
président de la République dira que «depuis 1962, on
prend en charge les problèmes du Mali en toute bonne volonté et sans demander
de contrepartie». Cela, dans une partie du monde où circulent
«des caravanes chargées d'armes lourdes et légères, repérées par satellites,
en direction de la région du Sahel sans être interceptées». Inévitablement, les
relations avec la France ont été évoquées. Tebboune
évoque l’existence, en France, de trois lobbies antialgériens.
Il s’agit, dit-il, «des anciens colons qui ont quitté
l'Algérie après l'indépendance et transmis leur rancœur à leur descendance. Le
deuxième est le prolongement de l'Armée secrète française, et le troisième
comprend des Algériens qui ont choisi de soutenir la France».
Commentant enfin, le dernier éditorialiste du journal Le Monde, Tebboune s’est dit étonné qu’une publication qu’il a «réintroduite» en Algérie morde la main qui lui a été
tendue, expliquant que le journal en question avait «dévié depuis le décès de
son fondateur».