COMMUNICATION- GOUVERNEMENT- INTERVIEW
PRESIDENT TEBBOUNE /LE POINT (France) ,24 MAI 2021(PUBLIÉE LE 2 JUIN) (IV/IV)
Vous parlez finalement
davantage de reconnaissance plutôt que de repentance ?
Reconnaître, c'est une
forme de repentance.
Mi-avril, la cinquième
session du Comité intergouvernemental de haut niveau franco-algérien (CIHN) a
été reportée. Y a-t-il un agenda pour la reprise des contacts à un haut niveau
?
La représentation
française, composée au départ de dix ministres, avait été réduite à six, puis à
quatre et enfin à deux ministres, pour discuter avec… dix ministres algériens !
Celui qui a pensé que
cela pouvait se faire ainsi ne connaît rien ni à l'Algérie ni à la manière de
travailler en bilatéral. La balle est dans le camp du gouvernement français
pour organiser un autre rendez-vous.
Depuis le dernier
CIHN, en décembre 2017, un seul projet économique (privé-privé) entre la France
et l'Algérie, sur onze, a été concrétisé. Le dossier de l'usine Peugeot reste
lettre morte ainsi que le partenariat entre Sanofi Pasteur et le groupe algérien
Saidal… Comment redynamiser ces dossiers ?
Je ne pense pas que le
bilan soit aussi négatif. De plus, le CIHN n'est pas uniquement une rencontre
d'affaires, nous nous réunissons aussi pour parler d'autres dossiers.
Notez que 80 % de
l'activité de Sanofi en Afrique est réalisée en Algérie et il n'y a pas de
contentieux avec cet associé. Le partenariat avec Saidal
est en train de se concrétiser. Pour d'autres - comme Suez ou la RATP -, les
partenariats battent de l'aile. Nous pourrions aller plus loin mais des lobbys
français [les nostalgiques de l'Algérie française et les réseaux marocains,
NDLR], très puissants, criminalisent pratiquement le fait de travailler avec
l'Algérie. C'est une réalité et pas un complexe de persécution.
Les relations ne se
construisent pas de souverain à suzerain, mais d'égal à égal. Vous avez des
intérêts que nous reconnaissons, que vous défendez, et nous avons des intérêts
que nous devons défendre. Il faut sortir du mythe que les investisseurs
français ont été malheureux en Algérie. Renault, Legrand et Schneider ont
prospéré. Lafarge et Knauf ont exporté. BNP, SG, Natexis,
Crédit agricole, Air France… ont acquis des parts de marché aussi, plus de 450
PME françaises sont présentes en Algérie.
L'usine Peugeot
va-t-elle ouvrir ?
C'est un dossier en
maturation. Le mérite de Peugeot, c'est de ne pas avoir accepté de verser de
pot-de-vin [sous Bouteflika, NDLR]. Et pour cette raison, nous avons beaucoup
de respect pour ce partenaire. Seulement, l'usine projette une production de 76
000 véhicules alors que l'Algérie consomme un minimum de 350 000 véhicules par
an. Nous voulons aussi augmenter le taux d'intégration, à 30-35 %.
L'Algérie a une longue
et tragique expérience dans la lutte contre le terrorisme islamiste.
Pensez-vous que cette expérience soit utile pour la France ?
En Afrique et dans le
monde arabe, nous sommes leaders dans la lutte contre le terrorisme. Cette
expertise a bénéficié à tous les pays occidentaux, y compris aux États-Unis.
Nous avons fait éviter des tragédies à la France, à la Belgique et à d'autres.
Nous préférons garder cette coopération discrète, car il s'agit de sauvegarder
des vies humaines en Europe et partout.
Les tensions pèsent
entre le Maroc et l'Algérie, et le Front Polisario a opté pour l'action militaire.
Faut-il craindre un conflit armé ouvert dans la région ? Quel avenir pour
l'Union du Maghreb arabe avec des générations d'Algériens et de Marocains qui
ne se connaissent pas ?
Dans cette relation,
le rôle honorable revient à l'Algérie. La rupture avec le Maroc - et je parle
de la monarchie, pas du peuple marocain, que nous estimons - remonte à
tellement longtemps qu'elle s'est banalisée.
Le Maroc a toujours été
l'agresseur. Nous n'agresserons jamais notre voisin. Nous riposterons si nous
sommes attaqués. Mais je doute que le Maroc s'y essaie, les rapports de force
étant ce qu'ils sont.
Les frontières avec le
Maroc resteront-elles fermées ?
Oui. On ne peut pas ouvrir
les frontières avec un vis-à-vis qui vous agresse quotidiennement.
Et sur le dossier du Sahara
occidental ?
Il y a huit mois,
j'avais exprimé ma crainte à des ambassadeurs que le Front Polisario reprenne
les armes et qu'un accrochage sérieux puisse faire basculer la situation. Les
jeunes du Sahara occidental ne ressemblent pas à leurs aînés : ils sont nés
dans les camps de Tindouf et ont maintenant 40 ans, ils refusent cette
situation et veulent reprendre leurs territoires. Il a été très difficile pour
le Front Polisario de mener à bien son dernier congrès face à cette génération
impatiente.
Certains croient
qu'avec l'ouverture de consulats [à Laâyoune et Dakhla, NDLR], le dossier du
Sahara occidental est clos, mais ils se trompent. Le Maroc devrait revenir
rapidement à une solution acceptable conforme au droit international. Entre
l'Algérie et le Maroc, le Sahara occidental a toujours été une pomme de
discorde mais pas un casus belli. Le Maroc devrait opter pour la raison : son
ennemi, comme pour l'Algérie, c'est le sous-développement. L'Algérie est en
train de se construire avec ou sans le Maroc.
Pensez-vous que
l'administration Biden devrait revenir sur la reconnaissance de la marocanité
du Sahara occidental par Trump ?
Comment peut-on penser
offrir à un monarque un territoire entier, avec toute sa population ? Où est le
respect des peuples ? Cette reconnaissance ne veut rien dire. Toutes les
résolutions du Conseil de sécurité concernant le Sahara occidental sont
présentées par les États-Unis. On ne peut pas revenir, verbalement, sur tout ce
qui a été fait par Washington pour faire plaisir à un roi.
Pourquoi les Marocains
refusent-ils l'autodétermination ? Parce qu'ils ont procédé à un changement
ethnique qui a ses conséquences : les Sahraouis à l'intérieur du Sahara
occidental sont aujourd'hui minoritaires par rapport aux Marocains qui s'y sont
installés. En cas de vote pour l'autodétermination, les Marocains installés sur
le territoire sahraoui vont voter pour l'indépendance parce qu'ils ne voudront
plus être les sujets du roi. Il est paradoxal d'avoir une majorité marocaine et
de refuser le vote d'autodétermination.
Comment l'Algérie
perçoit-elle l'offensive turque au Maghreb ?
Cela ne nous dérange
pas. Le litige entre la Turquie et certains pays arabes est principalement lié
au dossier des Frères musulmans. L'Algérie a d'excellents rapports avec les
Turcs, qui ont investi près de 5 milliards de dollars en Algérie sans aucune
exigence politique en contrepartie. Maintenant, ceux que cette relation dérange
n'ont qu'à venir investir chez nous !
La force du G5 Sahel
est-elle à la hauteur du combat antiterroriste dans le Sahel ? Est-ce que les
forces de Barkhane devraient se retirer du Sahel ?
Le G5 pourrait être
plus efficace s'il avait plus de moyens. Or le G5 n'en a pas, il a été créé
pour contrer le Cemoc [état-major basé à Tamanrasset
en Algérie, regroupant Algérie, Mali, Mauritanie et Niger, NDLR], qui était
mieux doté.
Dans ce territoire,
certains s'opposent [le Maroc, NDLR] au avancées de
l'Algérie, essentiellement sur le dossier malien. Pour nous, il existe une
volonté de saboter les accords d'Alger (accord pour la paix et la
réconciliation au Mali de 2015). Je crois aussi que le G5 ou Barkhane sont des
solutions partielles.
Le Sahel est composé
de pays que l'Algérie a l'obligation d'aider dans la reconstruction de leurs
États. Il ne s'agit pas uniquement d'un programme de lutte antiterroriste.
Si jamais Barkhane se
retirait, quel rôle pourrait jouer l'Algérie ? Une intervention militaire en
Algérie à l'extérieur est-elle envisageable ?
La Constitution
algérienne autorise désormais ce type d'intervention, mais la solution n'est
pas là. L'Algérie ne laissera jamais le nord du Mali devenir un sanctuaire pour
les terroristes, ni ne permettra une partition du pays. Pour régler le problème
au nord du Mali, il faut y redéployer l'État. Via les accords d'Alger, nous
sommes là pour aider Bamako, ce que nous faisons déjà avec la formation des
militaires maliens.
L'Algérie a dénoncé la
normalisation avec Israël de certains pays arabes. Comment, selon vous,
maintenir une cohésion arabe - notamment dans le cadre de la Ligue ?
Il n'y a plus de
cohésion. Et la Ligue arabe est à réformer, totalement. Nous le demandons
depuis trente ans. Il existe un plan de paix auquel ont adhéré tous les pays
arabes : les territoires contre la paix.
Chaque pays est libre
de normaliser ses relations avec Israël, mais l'Algérie ne le fera pas tant
qu'il n'y aura pas d'État palestinien.
Avez-vous prévu de
vous rendre à l'étranger ?
C'est une nécessité et
je me rendrai d'abord en Tunisie, j'ai donné ma parole au président Kaïs Saïed. Je suis aussi invité en Russie, en Turquie, en
Italie, au Qatar. Pour la France, l'invitation est mutuelle.
Peut-on être heureux
en Algérie ?
L'Algérie est un pays
facile à vivre. Notre culture de la solidarité est exceptionnelle, on l'a vu
pendant la crise sanitaire : les citoyens ont multiplié les initiatives pour
s'entraider. La santé et l'éducation sont gratuites. Comparativement aux pays
voisins, nous avons eu peu de candidats dans les rangs du groupe État
islamique, et nous comptons moins de harraga [migrants clandestins, NDLR],
selon les statistiques des centres de rétention en Espagne et en Italie. On
peut être heureux, mais il faut avoir le courage de voir son pays autrement. On
peut détester Tebboune, mais pas détester son propre
pays’