En parlant de la crise sanitaire, qu'en est-il du
rythme des vaccinations ? Y a-t-il eu un manque d'anticipation ?
L'Algérie a commencé à vacciner en janvier, avant
presque tous les pays africains. Les vaccins sont justement là pour ceux qui en
font la demande. Quant au rythme de la vaccination, il suit le bon vouloir des
Algériens, car nous ne voulons pas l'imposer. Mais nous allons lancer de
grandes campagnes de sensibilisation, car le fait que l'Algérie ait été
relativement peu impactée dissuade les gens d'aller se faire vacciner.
L'Algérie se prépare à réformer sa politique de
subvention des produits de première nécessité, avec un ciblage d'aides aux plus
défavorisés : comment aborder ce virage dans un pays attaché au caractère
social de son État ?
L'Algérie sera un État social ad vitam aeternam, parce
que c'est une exigence de ceux qui se sont sacrifiés pour ce pays. La
déclaration du 1 er novembre 1954 préconisait la création d'un État
démocratique et social. Tel était le vœu de nos martyrs.
Aux premières années de l'indépendance, les
millionnaires se comptaient sur les doigts d'une main. Maintenant, l'Algérie
compte des centaines de milliardaires. L'État social reste un principe valable
pour les classes moyennes et démunies, mais les plus riches ne doivent plus
être concernés par les subventions.
Le projet est en cours d'élaboration, j'attends
l'élection des assemblées - Parlement et assemblées locales - pour entamer une
réflexion nationale, notamment avec les syndicats, le Conseil national
économique et social et environnemental et les élus.
Plus de 50 % de la population a moins de 30 ans en
Algérie.
Après la révision de
la règle du 49/51 (partenaire algérien majoritaire obligatoire pour une entreprise)
que reste-t-il à faire pour améliorer le climat des affaires ? Un partenaire
étranger peut-il gagner de l'argent en Algérie ? Réaliser des bénéfices et en
jouir ?
La logique du Doing business instaure certains paramètres pour capter les
investissements directs étrangers. Parce que les opérateurs investissent là où
il y a le minimum d'État. Certains pays l'acceptent, à défaut d'avoir d'autres
moyens de création d'emplois, devenant presque des protectorats d'autres pays,
où on peut, par exemple, prohiber l'action syndicale.
En Algérie, c'est
impossible. Il y a une demande d'État et de protection sociale assez forte. Ce
n'est pas très attractif. Mais quand il s'agit d'investir dans les
hydrocarbures, cela ne gêne personne. Ajoutez à cela un pays solvable non
endetté et qui compte 45 millions de consommateurs.
Vous avez instauré,
avec le président Macron, une approche apaisée de la question mémorielle, et en
juillet 2020, vous avez déclaré, sur France 24 : « On a déjà reçu des
demi-excuses. Il faut faire un autre pas… On le souhaite. » Quels gestes
concrets attendez-vous de Paris ?
Les Algériens
attendent une reconnaissance totale de tous les crimes. Dans l'histoire de la
colonisation, il y a eu trois étapes douloureuses pour nous : le début de la
colonisation, avec l'extermination, pendant quarante ans, de tribus entières,
des villages entiers décimés et les enfumades. Ensuite, il y a eu la période de
la spoliation, quand les terres étaient confisquées aux Algériens pour être
distribuées à des Européens. L'horreur du 8 mai 1945 avec 45 000 morts. Enfin,
il y a eu la guerre de libération, quand les Algériens ont pris les armes pour
libérer leur pays.
Tout cela ne concerne
pas la génération du président Macron, ni celle de certains intellectuels
français, qui sont irréprochables, mais reconnaître ces faits est important.
Car pourquoi tient-on à la reconnaissance de ce qu'ont subi les Arméniens, les
juifs, et ignore-t-on ce qui s'est passé en Algérie ?
Ce que nous voulons,
c'est une mémoire apaisée, reconnue. Qu'on sorte de cette fable d'Algérie terra
nullius où la colonisation aurait apporté la civilisation. Cela dit, ce n'est
pas la France de Voltaire, la France des Lumières que l'on juge. C'est la
France coloniale. Nous n'oublierons d'ailleurs jamais que de nombreux Français
ont rejoint le combat des Algériens, et aujourd'hui nous nous inclinons devant
leur mémoire.
Le passif, une fois
réglé, permettra une amitié durable entre les deux nations. Boumédiène
avait dit à Giscard qu'on voulait tourner la page mais sans la déchirer. Et
pour ce faire, il faut des actes.
Attendez-vous des
réparations ou des compensations de la France, notamment concernant les essais
nucléaires et leurs retombées ?
Nous respectons
tellement nos morts que la compensation financière serait un rabaissement. Nous
ne sommes pas un peuple mendiant, nous sommes un peuple fier et nous vénérons
nos martyrs.
Nous demandons à ce
que la France vienne nettoyer les sites des essais nucléaires, une opération
qui est en bonne voie. Parce qu'aujourd'hui encore, la contamination fait des
victimes. Que la France soigne les victimes des essais nucléaires.
Le monde s'est
mobilisé pour Tchernobyl alors que les essais nucléaires en Algérie provoquent
peu de réactions. Ils ont pourtant eu lieu à ciel ouvert et à proximité des
populations.
Comment évaluez-vous
le rapport de Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d'Algérie ?
Benjamin Stora est un
historien qui n'a jamais été dans l'excès, toujours proche de la vérité. Il a
rédigé un rapport destiné à son président mais qui ne nous est pas adressé.
Mais si on compare ce
qu'ont fait les présidents français et ce que fait Emmanuel Macron aujourd'hui,
on a l'impression que c'est ce dernier qui a été le plus loin…
Oui, on doit le
rappeler et l'écrire. Macron a toute mon estime. C'est le plus éclairé d'entre
tous. Les autres présidents avaient tous une histoire avec l'Algérie.
Ceux qui en veulent à
sa politique envers l'Algérie ne représentent qu'une infime minorité. Ils
gardent des relais mais sont rejetés par l'opinion française en général, car la
plupart des jeunes Français d'aujourd'hui sont moins directement concernés par
l'histoire algérienne.
Si
nous n'arrivons pas à jeter des passerelles solides entre les deux pays sous la
présidence Macron, cela ne se fera jamais, et nos pays garderont toujours une
haine mutuelle.