COMMUNICATION- GOUVERNEMENT- INTERVIEW
PRESIDENT TEBBOUNE /LE POINT (France) ,24 MAI 2021(PUBLIÉE LE 2 JUIN) (II/IV)
Vous dites « plus tard
» : justement, pensez-vous avoir besoin d'un second mandat ?
Très honnêtement, je
n'y pense pas. Ma mission est de remettre sur pied mon pays, lutter contre les
passe-droits, reconstruire les institutions et faire que la République
appartienne à tout le monde. Un autre mandat ? Je ne sais pas. On n'est qu'au
début de mon mandat.
Opposition et
activistes dénoncent les arrestations dans les rangs du Hirak
et les entraves au travail des médias…
Je n'utilise plus ce
mot (Hirak) parce que les choses ont changé. Le seul Hirak auquel je crois est le Hirak
authentique et béni qui a spontanément rassemblé des millions d'Algériens dans
la rue. Ce Hirak-là a choisi la voie de la raison en
allant à l'élection présidentielle. Il n'a pas écouté le chant des sirènes qui
le poussait à aller vers une période transitoire, et dix millions d'Algériens
sont allés voter. Une minorité a refusé l'élection. Je pense que tout Algérien
a le droit de s'exprimer, mais je refuse le diktat d'une minorité.
De plus, je
m'étonnerai toujours du fait qu'un démocrate, qui se définit comme tel, rejette
les urnes et prône la désignation. Quand il ne rejette pas l'opinion de la
majorité, ce qui est en soi antidémocratique. Pourquoi voulez-vous désigner des
personnes pour diriger le pays ? Qui êtes-vous ? Qui vous a fait roi ? « Qui
t'a rendu si vain/Toi qu'on n'a jamais vu les armes à la main », pour reprendre
Le Cid !
Aujourd'hui, dans ce
qui reste du Hirak, on trouve de tout, il y en a qui
crient « État islamique ! » et d'autres qui scandent « pas
d'islam ! ». Les manifestants expriment peut-être une colère, mais ce n'est pas
le Hirak originel. C'est très hétéroclite.
En février, vous avez
libéré la quasi-totalité des détenus du Hirak.
Pourquoi ce raidissement actuellement ?
Lorsque les marches,
après la présidentielle, rassemblaient encore de 20 000 à 25 000 manifestants à
travers le pays, j'ai été le premier à tendre la main aux gens du Hirak et à les recevoir. Dans mon premier gouvernement, on
compte cinq ministres qui en sont issus. Des personnes que j'avais vues
m'insulter dans des vidéos ! Ensuite, on a commencé à libérer des détenus pour
arriver à 120 relaxés. Les gens continuaient à me critiquer, mais j'ai continué
à faire des gestes. J'ai l'impression que cela a été interprété comme une
faiblesse. Les gens pensaient qu'on était dos au mur. Ils se trompaient.
Pour moi, le
manifestant et le policier qui maintient l'ordre public sont les enfants de la
même République. Je n'ai pas le droit de les laisser s'affronter. D'autant plus
que les appels à la violence étaient clairs. Tant qu'on était au stade des
idées, il n'y avait pas de problème, mais les appels à la violence, c'est autre
chose.
Pourquoi Rachad
(mouvement d'opposition en exil formé notamment des ex-FIS) et le MAK
(Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie) ont-ils officiellement été
déclarés mouvements terroristes ?
Parce qu'ils se sont
eux-mêmes déclarés tels. Rachad a commencé à mobiliser tous azimuts, à donner
des instructions pour affronter les services de sécurité et l'armée. Le MAK a
tenté d'agir avec des voitures piégées. Face aux appels à la violence, la
patience a des limites.
Comment se présentent
les élections législatives du 12 juin alors qu'une bonne partie de l'opposition
a choisi de boycotter le scrutin ?
On ne voit pas les
choses de la même manière. Ce que j'observe à travers tout le pays ne dit pas
que les Algériens, dans leur majorité, sont opposés aux élections législatives.
Vous me dites une «
bonne partie de l'opposition » : combien sont-ils ? Au vu des instruments de
mesure dont nous disposons, il s'agit d'une minorité qui se présente comme une
majorité grâce à une médiatisation à outrance, notamment outre-mer. Certains
ambassadeurs, malheureusement, ne voient que cette minorité et ne vivent
qu'avec elle, et ignorent la majorité des Algériens, induisant en erreur les
pays auxquels ils appartiennent…
Je sais qu'il y a un
engouement pour ces législatives, notamment chez les jeunes, alors que tout
récemment, ils ne s'inscrivaient même pas sur les listes électorales. Il n'y a
pas d'autre issue. Et tous ceux qui veulent entraîner le pays vers l'aventure
sont en train de perdre leur temps.
Quand j'étais malade
et que les rumeurs enflaient, me donnant même comme décédé, la plupart des
Algériens étaient angoissés, même parmi ceux qui n'ont pas voté pour moi ou qui
ne m'apprécient pas. Parce qu'ils veulent que le pays reste sur la voie de la
légalité.
Le correspondant du
journal « Liberté » à Tamanrasset a été arrêté et placé sous mandat de dépôt
pour un article de presse. Comment est traité son cas alors que la Constitution
interdit l'emprisonnement d'un journaliste qui exercice son métier ? Peut-on
espérer une évolution positive de sa situation ?
Il a joué à tort au
pyromane sur un sujet très sensible. Très grave.
Le Parlement ne
risque-t-il pas de se retrouver avec une majorité parlementaire - et donc
gouvernementale - islamiste, comme au début des années 1990 ?
Quelle est la
définition de l'islamisme ? L'islamisme en tant qu'idéologie, celle qui a tenté
de s'imposer au début des années 1990 dans notre pays, n'existera plus jamais
en Algérie. Maintenant, l'islam politique a-t-il bloqué le développement de
pays comme la Turquie, la Tunisie, l'Égypte ? Non. Cet islam politique-là ne me
gêne pas, parce qu'il n'est pas au-dessus des lois de la République, qui
s'appliqueront à la lettre.
Parler de l'Algérie,
c'est évoquer le poids de l'armée et des services de renseignement. Qu'en
est-il réellement, sachant que l'armée a arbitré le départ de Bouteflika ?
Le poids de l'armée
est une réalité positive. Si nous n'avions pas une armée aussi moderne et aussi
professionnelle, la situation en Algérie serait pire qu'en Libye ou en Syrie.
Je rappelle que l'armée s'est retirée de la politique depuis la fin des années
1980. L'époque où des officiers de l'armée siégeaient au comité central du FLN
(ex-parti unique) est terminée. L'armée ne fait plus de politique.
Pendant le Hirak, certains, y compris dans les rangs de ceux qui se
prétendent démocrates, ont demandé à l'armée d'intervenir. Elle a refusé,
préférant protéger le pacifisme du mouvement.
Si elle avait voulu
prendre le pouvoir, elle l'aurait fait. C'était une demande populaire, le peuple
l'appelait à faire cesser la comédie du cinquième mandat et la déliquescence de
l'État. L'armée n'a pas pris le pouvoir et ne le prendra pas, parce qu'elle est
légaliste.
Les poursuites contre
les oligarques ont traumatisé les milieux d'affaires en Algérie. Comment
rassurer les patrons algériens ?
Nous avons déjà fait
plus que le nécessaire pour les rassurer. Nous avons réuni, à deux reprises,
les patrons algériens ; nous avons pris des mesures dans les lois de finances.
S'ils ont des choses à se reprocher, je n'y suis pour rien. La justice a pris
tout son temps pour juger ceux qui ont indûment touché à l'argent public, on
n'accuse personne à la légère.
Des voix s'élèvent
pour dénoncer les blocages dans l'administration, des responsables qui ont peur
d'assumer des décisions, une fiscalité qui encourage l'informel, des banques
méfiantes, etc.
La situation n'est pas
aussi catastrophique. Il y a des problèmes, des difficultés, peut-être aussi
des blocages à cause de la bureaucratie, contre laquelle je lutterai avec toute
mon énergie. Je l'ai dit aux hommes d'affaires et aux
start-up : la bureaucratie est notre ennemi commun. Pour le reste, les
gens continuent à travailler et à investir, le pays n'est pas à l'arrêt. Mais
il est vrai que nous avons une économie sous-développée et désarticulée,
tournée vers l'importation, sans aucun échange intersectoriel.
Prenez l'exemple des
kits - dans l'automobile, l'électroménager, etc. -importés pour être montés en
Algérie : nous avons réussi à mettre sur le marché des voitures plus chères que
les voitures importées ! Et tout cela pour créer à peine 400 emplois alors que
le projet a coûté à l'État 3,5 milliards de dollars. Ça, ce n'est pas de
l'économie ! Ceux qui veulent se lancer dans la construction mécanique, en
respectant les cahiers des charges, sont les bienvenus. Pour les industries
légères, comme l'électroménager, l'intégration devrait être, au départ, d'au
moins 70 %.
Ce que nous voulons,
c'est construire une économie dans laquelle les besoins de notre pays soient satisfaits
par notre propre production.
Des milliers
d'Algériens attendent impatiemment leur retour en Algérie : après l'annonce de
l'ouverture partielle du ciel prévue le 1 er juin, quelles seront les
prochaines étapes ?
L'ouverture ou la
fermeture des frontières est dictée par le Conseil scientifique, suivant
l'évolution de la pandémie. Si nous avons fermé les frontières, ce n'est pas
pour sanctionner la population, mais pour la protéger. L'Algérie a été le
premier pays à imposer les tests dans ses aéroports, à fermer les crèches, les
écoles, les mosquées, à interdire le public dans les stades…
Aujourd'hui, nous
recensons environ 200 cas par jour, alors que des pays plus développés en sont
à 20 000, voire 30 000 cas par jour. Mais le virus est là, et à tout moment,
les chiffres peuvent remonter. Si cela arrive, les Algériens nous en voudront
d'avoir commencé à rouvrir les frontières. Et si la situation se dégrade, nous
refermerons.
Même
avec les frontières fermées, nous avons rapatrié un peu plus de 80 000 Algériens.
Aux frais de l'État. Aucun pays n'a fait ça