VIE POLITIQUE-
ELECTIONS- CAMPAGNE ELECTORALE LEGISLATIVES 12 JUIN 2021-AFFICHES ELECTORALES
Mauvais goût et paresse artistique : Des affiches
électorales qui vident les législatives de leur sérieux
©Amel B./El Watan, dimanche
30 mai 2021
Photos ratées, graphisme hasardeux,
photomontages grossiers, les affiches de la campagne pour les législatives
tournent au grotesque. Les codes visuels et plastiques mis en scène par les
prétendants à la députation montrent, tout au moins, qu’ils n’ont pas peur du
ridicule.
D’abord, il y a les affiches qui pèchent
par paresse artistique : utilisant des couleurs ternes, des photos peu
flatteuses, des constructions graphiques douteuses. Manquant cruellement
d’originalité, elles sont souvent austères, surchargées et peu lisibles. Les
logos des partis auxquels le candidat est affilié sont minuscules. Les
détourages des photos du candidat et des drapeaux donnent une sensation de
flottement. Peu attractives, ce que ces affiches disent des candidats n’est pas
très flatteur. De plus, peu de messages y sont véhiculés, excepté la
non-maîtrise des logiciels informatiques. A regarder les affiches de près, il
apparaît qu’une bonne partie des candidats n’a pas jugé utile de faire appel à
un photographe professionnel. On les voit les bras ballants, les contours
flous, les visages brillants, les costumes trop grands ou trop étroits, les
fonds peu valorisants…
Bien sûr, il en est qui ont tenté de
sortir des sentiers battus, sans toutefois réussir le pari de l’originalité.
C’est le cas notamment d’un candidat de Taj de Annaba, qui se réinvente en
James Bond, en mimant un pistolet de sa main droite pour désigner le sigle de
son parti. Un autre candidat indépendant de Chlef, lunettes noires et
costume-cravate, boutonne sa veste dans ce qui ressemble à une affiche d’un
film d’espionnage. Pas sûr que la mission soit accomplie. A défaut de faire
rêver, ces affiches, très partagées (et moquées) sur les réseaux sociaux,
auront toutefois permis à leurs auteurs d’attirer l’attention et de se faire
connaître.
Nom de code : bras croisés
Les postures que tiennent les candidats
sont également discutables. Certains ont clairement décidé de sortir
l’artillerie lourde. Nom de code : bras croisés. La pose, à l’américaine,
ne semble néanmoins pas réussir à tout le monde. Peu à l’aise devant
l’objectif, certains croisent maladroitement les bras, ce qui au lieu de
suggérer l’attitude de meneurs déterminés donne une l’impression de postures
artificielles et maladroites.
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Un candidat du mouvement El Bina de Djelfa
se présente main dans la poche façon gentleman, sans que l’effet escompté soit
au rendez-vous.
Il en est également qui ne s’encombrent
pas de trop d’efforts. Des dizaines d’affiches circulent sur les réseaux
sociaux qui interloquent par leur austérité. Voulant sans doute donner
l’impression de candidats sérieux, dignes et solennels, elles donnent à voir
des hommes rigides et visiblement renfrognés. Un candidat de Taj verse
carrément dans le laisser-aller, en s’affichant en survêtement dans une photo
floue. Difficile de faire pire, aurait-on pu croire. C’était sans compter les
créations déconcertantes achevant de vider la campagne de son sérieux. Un
candidat du parti El Adala s’est, par exemple,
téléporté sur la mer, devant un bateau de croisière sous le slogan : «Le paquebot de la réussite». Un autre candidat du Front de
la bonne gouvernance (FBG) s’est entouré d’un cercle d’éclairs et de lumière,
dans un remake de Matrix.
Une situation cocasse qui aurait pu prêter
à sourire si cela n’avait pas été dramatique, tant elles donnent un avant-goût
des candidats appelés à composer le prochain Parlement. Parmi les symboles incrustés
dans les affiches figurent notamment une montre pour El Hisn
El Matine (affichant exactement 12h14), les
manifestations du hirak en filigrane pour certaines
listes de candidats indépendants et même des panneaux photovoltaïques et des
gratte-ciels pour le mouvement El Bina.
Profitant d’un contexte géopolitique
marqué par l’agression israélienne à Ghaza, un
candidat MSP prend la pose en tarbouche et burnous avec, en filigrane, la
mosquée d’Al Aqsa. L’ancien journaliste ne s’arrête
pas là, n’hésitant pas à porter, dans une vidéo publiée sur sa page, toute la
panoplie du combattant du Hamas. Mais les symboles les plus récurrents restent
les très classiques pictogrammes d’urnes, du monument aux martyrs et la branche
d’olivier. Très souvent, le slogan, qui aurait pu rattraper un visuel raté,
fait défaut. L’une des caractéristiques des affiches pour les législatives
reste le rapport ambigu aux candidatures féminines. Celles-ci sont invisibles
dans les affiches de certains partis et listes d’indépendants et remplacées par
un voile islamique ou un drapeau, donnant lieu à des candidates fantômes.
Dans cette politique de l’effacement, même
si le visage des candidates n’apparaît pas, leur voile islamique est lui bien
visible. Dans d’autres cas, les femmes sont au contraire mises en valeur
dans un jeu pernicieux où la féminité est exaltée à mauvais escient. Quelques
affiches d’El Hokm El Rached (Front de la bonne
gouvernance – FGB) mettent en avant leurs candidates superbement maquillées et
coiffées dans ce qui ressemble au générique d’un feuilleton turc.
La gêne est d’autant plus manifeste que le
dirigeant du parti, Belhadi Aïssa, a défrayé la chronique
en mettant en avant le même argument que celui qui est suggéré dans les
affiches comparant les «belles» candidates à des
«fraises sélectionnées». L’un dans l’autre, le constat est le même, révélant un
rapport équivoque avec la candidature féminine. Par leur invisibilisation ou
leur mise en avant, les femmes sont perçues comme un «faire-valoir»,
d’autant que la loi électorale impose une parité hommes-femmes dans les listes
électorales. Sur les réseaux sociaux, les moqueries autour desdites affiches électorales
ne se comptent plus. D’ores et déjà, les internautes les tournent en dérision
en les parodiant, à telle enseigne qu’il est devenu difficile de
différencier les affiches authentiques des copies. Florilège : «Votez pour moi, ça ne changera peut-être pas votre vie,
mais ça changera la mienne», «26 millions, je préfère les prendre moi plutôt
que Naïma Salhi», ou encore : «Votez pour moi, il me
manque une Audi».