HISTOIRE-
BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN ANOUAR BENMALEK-« FILS
DE SHÉOL »
Fils du Shéol. Roman de Anouar Benmalek.
Casbah Editions Alger 2015 (Calmann-Lévy,Paris
2015) , 409 pages, 950 dinars
C’est l’histoire du jeune Karl, allemand , embarqué dans un fourgon à
bestiaux à destination des usines de mort nazies, installées en Pologne . Parce
que Juif ! Il est gazé comme des millions d’autres.
Il est « condamné » , depuis l’
« étrange séjour des morts », le « Shéol », à regarder
vivre, souffrir et mourir les
siens : Son père, devenu Sonderkommando (chargé de l’incinération des
prisonniers) ; sa mère , Elisa, fille d’Alger, amoureuse folle de la
musique andalouse, le « paradis perdu » des Arabes et des Juifs,lumineuse et grande battante, elle aussi gazée dans
le même camp parce que juive ; le papy (« heureusement » décédé
de mort naturelle mais enterré à la
va-vite). Lui, c’est Ludwig qui, un siècle auparavant, a servi dans l’armée allemande du
Sud-Ouest africain (actuelle Namibie, totalement colonisée , martyrisée,
massacrée, avec des centres de « concentration » identiques ,ou
pires, à ceux des descendants nazis ) et
qui était resté « possédé » par le continent noir, en raison d’un
immense amour (le pire des crimes !) pour une « indigène », Hitjeverwe, qui
allait lui donner un enfant, lui aussi mort sous les coups des occupants …..
L’enfant, Karl, et
tous les autres, chacun dans son univers , remontent le temps, essayant –
vainement, tant la réalité est effroyablement et incroyablement vraie - de comprendre l’évolution du mal à travers le
massacre, par un même pays, de deux
populations : les Héreros de Namibie et, plus
tard, les Juifs. Et, aussi,
de revivre, ne serait-ce que mentalement, le temps passé avec ses
joies et , surtout ses peines, ses succès et surtout ses ratages, ses espoirs
et surtout ses regrets.
L’Auteur :Il est né à
Casablanca en 1956. Ecrivain, poète, journaliste, enseignant universitaire, un
des fondateurs du Comité algérien contre la torture, plusieurs fois récompensé,
auteur d’un grand nombre d’ouvrages des romans (dont « Ô Maria »
en 2006, « L’Amour Loup » en 2014, «
Chroniques de l’Algérie amère » en 2011…..), de la poésie (en 1984
et 2005), des nouvelles….
Avis :Ça ne se lit
pas, ça s’ingurgite. Pour moi, un chef d’œuvre et, déjà, le livre de
l’année.Une histoire lointaine, qui remonte à bien
longtemps, mais une histoire qui concerne toute l’humanité…..Une humanité qui
bascule , toujours, si facilement , dans l’inhumanité et l’horreur.L’histoire
bégaie : Avant-hier , les Héreros de Namibie,
hier les Juifs !Aiujourd’hui, les Palestiniens
et les Sahraouis….A qui le tour?
Interdit de lire aux moins de dix-huit ans, tant l’horreur de
l’inhumanité prussienne puis nazie, est décrite avec force détails et vous noue
les tripes, avec une envie monstre de vomir .On aurait
aimé tellement voir l’auteur, ou un autre, écrire un livre de même qualité sur
les méfaits du colonialisme français en Algérie .
Citations : « Vivre est un privilège dont il ne
faut pas trop abuser » (p 73), « La vie comme les bouteilles, ça se
vide rapidement » (p 99), « La honte née de l’acceptation de la
lâcheté était un mal « facilement » supportable au regard des
conséquences (…) occasionnées par son refus » (p
253), « Il n’y a rien de plus sale que la mort. La mort, oui, c’est la
saleté suprême. Par rapport à elle, tout est beau, même la pire des
laideurs » (p 275), « Que les femmes ont bêtes ! Même au sein du
malheur, elles s’arrangent pour se créer encore plus de malheur » ( 368), « Les noms étaient des crochets douloureux
inventés par les hommes pour persuader les nouveaux venus sur terre qu’ils sont
uniques et que leur vie vaut d’être vécue » (p 381)