COMMUNICATION - RADIO-RADIO PUBLIQUE CHAÎNE
KABYLE- HAMIMI RABEA /TÉMOIGNAGE
© Hamimi Rabea, ancien cadre de la Rta et
de l’Entv/fb, mai 2021.Extraits
(……) La Chaîne Kabyle,
c’est ainsi qu’elle était appelée jusqu’à l’ordonnance de 1973 portant
réorganisation de la RTA, avait déjà presque une vingtaine d’années à son
compteur en tant que chaîne. Tout comme sa sœur jumelle la Chaîne Arabe , elle avait démarré ses émissions avec des tranches
horaires quotidiennes relativement réduites en terme de volume horaire, un peu
moins que la Chaîne Arabe qui elle-même en avait moins que la Chaîne Française.
Une en matinée, la suivante à midi et la dernière en soirée. La Chaîne Arabe
avait une couverture plus étendue tandis que la seconde n’était destinée qu’à
sa cible, la Kabylie avec ses nombreuses zones d’ombre et l’Algérois.
Auparavant, il y avait un service radio dépendant de l’Administration des PTT
qui avait commencé à émettre en 1927 à partir de l'ex-rue Charras,
l’actuelle Arezki Hamani, et ne couvrait alors que le
grand algérois.
Ces deux chaînes
étaient réunies en une structure appelée ‘’Émissions en Langues Arabe et
Kabyle. Après la concrétisation de son projet de faisabilité, la direction des
ELAK avait été confiée à Si Saïd Rezzouk qui fut
administrateur de 1ère catégorie détaché de l'administration suscitée et ce,
jusqu’à l’été 1962 (1). L’une et l'autre avaient pour missions d’assurer la
confection des bulletins et journaux parlés, la production des émissions en ses
principaux genres (2) ainsi que des unités administratives. Les services
techniques de production, de diffusion et d’émission ainsi que les services
administratifs et financiers étaient communs aux trois chaînes. C’était alors
la RTF en Algérie sous contrôle du Gouvernement Général (GG), qui deviendra en
1958 la Direction de la RTF en Algérie puis Délégation de la RTF en Algérie à
la faveur de la période transitoire des pourparlers entre le GPRA et la France.
Ces chaînes avaient
un potentiel extraordinaire de compétences tant au niveau de l’encadrement, de
l’information que de la production, lesquelles rivalisaient largement avec
celles de la Chaîne Française. Son directeur était un trilingue (arabe,
français et kabyle) ayant fait de bonnes études qu’il avait affinées au contact
de l'avocat et interprète judiciaire Maitre HAMIMI Slimane, universitaire de
formation et Médersien au début du siècle dernier, et
qui avait déjà en son étude d'Akbou pour un temps, Si
Abderrahmane Farès, le futur président de l'Exécutif Provisoire.
Bien que la Chaîne
Arabe ait été un bassin de compétences dans tous les domaines en qualité et en
nombre, dont le plus distingué, de son état producteur, fut un agrégé titulaire
de la chaire d’Histoire à l’Université d’Alger, la Chaine Kabyle avait eu aussi
ses ténors en les personnes entre autres de Si L'Hocine Ouarab,
normalien et condisciple de Mouloud Féraoun, Si
Mohamed Lamrani, proviseur du Lycée franco-musulman, Si Larbi Bessaï, rédacteur en chef, Mr Ahmed Mahiou,
un ancien professeur de maths, (à ne pas confondre avec l’ancien doyen de la
Faculté de droit d’Alger), l’écrivain et poète Malek Ouary,
le réalisateur Abder Isker,
Jean Mohamed Lounas, Mme Lafarge dite Lla Tassa3dith, Mokrane Agawa du studio de Vgayeth
(Bejaïa), … et l’incontournable cheville ouvrière que fut Cheikh Noureddine
sans qui cette Chaîne n'aurait pas été ce qu’elle fut et est devenue ensuite
après la libération.
Au niveau des
programmes, il y avait tous les genres et les formations artistiques qui s'y
rattachaient.
- Une troupe
théâtrale animée par les Hilmi, Ali Abdoun, Amar Ouyacoub, Amar Ouhada, Arezki Nabti, Khalti A3douda (Cheikh
Noureddine), Kadri Seghir, Djamila Bachène par ailleurs interprète...
- Un orchestre dirigé
par Cheikh Noureddine et parfois Haroun Rachid ou Amari
Maamar avec des voix féminines (Lla
Cherifa, Kamal Hamadi, H’nifa, Bahia Farah, Louisa, Djamila,..) et masculines (Bouizguarène,
Karim Tahar, Taleb Rabah, Akli Yahiatène, Hami Chérif,
…
- La grande émission
enfantine animée par Mme Lafarge avec son équipe notamment Zoheir
Abdellatif, Madjid Bali, Abderrahmane Hacène L'Hadj
et sa sœur Djamila, l'épouse du réalisateur Malek Bouguermouh
lui-même étant issu de la dite Chaîne, El Djida Thamchtouhth, Anissa Mezaguer …
- ‘’Nouva El khalath'' par Lla Yamina, l’une des toutes premières voix féminines et sa
chorale avec comme seul instrument (percussion) le ‘’tvell''
(bendir).
- Des émissions
thématiques produites par de grands noms (Si Ouarab,
Si Ahmed Aïmène, la tribu des Toualbi
(Mohand Ameziane, Mohand Chérif, Zoubir, Si Smaïl),
Madjid Bali, Cheikh Ali Chentir, Madjid Benacer, Zahia Kharfallah,
l'ancienne condamnée à mort …)…
A ce descriptif un
peu besogneux et peut être harassant pour le lecteur, s’ajoute l’environnement
dans lequel s’est développé cette Chaîne et les femmes et les hommes qui l’ont
faite. Avec les succès qu’elle avait commencé à engranger dès son lancement au
cours de la moitié des années quarante, dus aussi à la nouveauté de ‘’le chose’’
comme dirait Si L'Hocine Ouarab, elle fut l’objet,
tout comme la Chaîne Arabe, d’une surveillance étroite et constante de la part
des autorités coloniales. L’affaire (4) de ‘’La voix du Bled'' de l'année 1956
est symptomatique de la chape de plomb qui s’est abattue sur elle et sa sœur
jumelle.
Et paradoxalement
(!) aussi d’une vile et lâche attaque d’un des affiliés à l’aile ultra
conservatrice de Djem3iyat El 3oulama, en les personnes d’un des producteurs et d'un des artistes de
la Chaîne Arabe, dont l’animosité à l’égard de leur directeur était viscérale
mais qui n’avaient pas eu le courage de l'affronter directement tant il était
bagarreur avec son mélange du sang des nobles résistants de Laghouat et celui
des Ath Mlikhèche de la Soummam !
Le premier disait,
en effet, publiquement et toute honte bue que ‘’les Kabyles n’avaient point
besoin de Radio mais plutôt d'orge pour ne pas crever de faim’’ ; ce à quoi lui
répondit Si Mohamed Lamrani avec l’élégance d’un Amousnaw
: ‘’Kabyles et aussi Arabes ont tous besoin en effet d’orge pour survivre mais
tous ont besoin aussi de nourrir leur esprit comme le fait la Chaîne Arabe’’.
Ah ! ces fameuses séquelles du colonialisme à l’origine de tant de dérives
! Kadri Seghir, ce rusé d’entre tous, formé à l’Institut
Benbadis, s'était évertué à lui rappeler que leur
Maître Cheikh Benbadis revendiquait son appartenance
à la grande dynastie Essenhadjie en signant ses
articles ainsi, mais peine perdue on ne peut pas faire d’une bête de somme un
étalon ….
Ce même état
d’esprit s’est poursuivi même après l’indépendance de façon insidieuse et
sournoise, sous le prétexte scandaleux que le colonialisme ayant été à
l'origine de la création de cette Chaîne à des fins de division, elle devrait
par conséquent disparaitre avec la libération du pays. Cet état était entretenu
par des têtes obtues et par un discours officiel en
dent de scie, aiguisé avec dévotion par ses clercs pourfendeurs de notre
authenticité promise par eux à l’autodafé et dont les acteurs les plus zélés du
Boulevard des Martyrs et d’ailleurs, ont souvent été les Kabyles de service
(KDS).
Pour relater cet
état d’esprit, il faut de longs développements et ce n’est ni le lieu ni le
moment de le faire. Disons pour faire court que cette Chaîne a toujours vécu et
évolué dans l'indigence des moyens, à l’ombre de sa grande sœur plus pourvue,
et cela dans tous les domaines ; que la censure et sa fille adultérine,
l'autocensure, avaient fonctionné notamment pour elle en continu ; que la
Chaîne n’a été élevée dans les faits au rang de direction qu’au début des
années 1991 ; que la diffusion en continu n’est intervenue qu’en 2005,… Et que sans la Grève du cartable, le Printemps
berbère, le massacre des 127 jeunes Kabyles et l'assassinat de Kamal Amzal à la Cité universitaire de Ben Aknoun,
et peut être aussi les événements d’octobre 1988, tout serait resté sans doute
en l’état.
Cette digression
étant faite, c’est dans ce magma de tous les paris que Boukhalfa
Bacha (note : un journaliste animateur (1963-2005)
décédé en mai 2021 et dont Hamimi Rabie
trace le portrait) ) et la plupart de ses
collègues, avaient évolué et travaillé d’arrache pied
pour donner du sens à l’engagement qui fut le leur sans discontinuité aucune et
qui doit être reconnu et salué. Tous l’avaient fait avec intelligence et
souvent par ruse, mus par le souci de permettre à cette Chaîne de s’acquitter
de ses missions d’intérêt général bien compris. Loin de tout régionalisme
étroit et pour la seule vérité, qui est le crédo de tout journaliste
professionnel. Ces missions ont permis notamment aux innombrables activités
artistiques et culturelles ainsi que sportives, de se massifier à travers ses
émissions et la plupart d’autres. Et celles-là et celles-ci furent sans
conteste d’un apport certain dans l’éveil des consciences et de manière plus
générale la reconnaissance plus assumée et plus ou moins apaisée d’une certaine
destinée commune, avec l'espoir que celle-ci soit définitive.
Laval (Canada), le 12 Mai 2021…..L’auteur s’y
trouvant « bloqué » en raison de la pandémie de la Covid 19
(1) Si Saïd Rezzouk avait été enlevé de chez lui au quartier Poirson, El Biar, Alger, par des
inconnus au cours de l’été 1962 en compagnie de son fils Madjid, un brillant
mathématicien ayant fait la prestigieuse École des Ponts et Chaussées, qui
avait tenu à accompagner son père dans un aller sans retour.
Tous les anciens
d’avant 1962 lui doivent leur recrutement. Recruter un technicien au nom
prestigieux qui a porté au firmament le combat des femmes durant notre
Révolution, n’est pas en soi un acte anodin. Il faut le situer au contraire
dans la plus profonde expression de son engagement patriotique, lui dont l’un
de ses neveux, bien jeune d’âge, avait été l’un des tout premiers Chahid de notre village commun à tomber au champ d'honneur
les armes à la main.
Lui encore qui a
pris à son compte la responsabilité de pister le Capitaine Galopin du 2ème
bureau en lui affectant un chauffeur proche parent qui l’informa en fin de
chaque journée, y compris les week-end, de tous ses
agissements et déplacements.
Lui toujours, et
cela est attesté, à avoir milité aux côtés du Martyr Salah Bouakouir,
l’un des premiers ingénieurs des CFA en Algérie qui avait rossé de coups de
poings un de ses collègues français après avoir ironiquement considéré son étude
sur la VE (voie étroite en chemin de fer) de travail arabe et qui fut assassiné
par la Main Rouge à Padovani et de Si Abderrahmane Farès, le premier Chef
d’État de l’Algérie indépendante, ayant échappé à la mort mais subi
l’arbitraire des hommes après son arrestation arbitraire chez lui et dans son
propre pays…
(2) Pour
l’élaboration de l’une des toutes premières grilles des programmes des Chaînes
Arabe et Kabyle à leur lancement, Si Saïd Rezzouk
avait demandé à Me HAMIMI Slimane de lui élaborer ce qu’on appelle dans le
jargon audiovisuel des fiches techniques sur les principaux penseurs arabes,
kabyles et français en vue de les produire. Ce travail qui a dépassé le
descriptif du synopsis habituel (un résumé de quelques lignes) avait été remis
en ma présence (enfant) à Si L'Hocine Ouarab et
Mohamed Hilmi qui, tous deux, ont confirmé la véracité de ces faits.
(3) La demande de
diffusion au cours de l’année 1956 par les Chaînes Arabe et Kabyle dans leurs
programmes quotidiens de ‘’La Voix du Bled'' produite dans les deux langues par
les services de l’armée coloniale en Algérie au titre l’action psychologique,
avait opposé de manière très violente le directeur des ELAK, Si Saïd Rezzouk, au Capitaine Galopin qui régnait en maître absolu
au Studio de l’ex-rue Berthezène, l’actuelle Dr Saadane. Ils s’en sont arrivés quasiment aux mains selon
des témoins de l’époque. Cet officier n’ayant pas eu gain de cause, il s’était
contenté de faire diffuser par les services techniques la dite émission hors grille des deux Chaines, la
Française l'ayant tout naturellement diffusée.
Ce même officier
aurait été à l’origine de l’arrestation et l’emprisonnement de Madjid Benacer et Hacène L'Hadj
Abderrahmane. Il avait même giflé un jeune chanteur pour avoir évoqué l’Algérie
dans l’une de ses chansons.