VIE POLITIQUE- BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH-
RÉCIT SAID SADI- « MÉMOIRES.LA FIERTÉ COMME VIATIQUE (TOME II) »
Mémoires. La fierté comme viatique,
1967-1987 (Tome II). Récit de Said Sadi.
Editions Frantz Fanon, Boumerdès 2021, 558 pages, 1 500 dinars.
Après avoir terminé la lecture du Tome I, on savait
que l’ aventure du « fils du
pauvre » n’était pas terminée. Et,
comme promis, voilà donc la suite (mais pas la fin, espérons -le) qui nous est
fourni.
L’auteur nous fait participer à la vie presque
intime de tout un groupe, se faisant et parfois se défaisant au fil du temps,
les anciens du
lycée Amirouche de Tizi Ouzou surtout, devenus étudiants à Alger , tentant,
avec succès (on le verra par la suite) malgré les multiples obstacles, les
incompréhensions et le « système » au pouvoir, de « penser » un projet de société alternatif ,adossé à une
identité qu’ils estimaient niée, une société ouverte sur l’universel et le
monde. Face à la mentalité
« révolutionnariste »,
nationaliste et arabiste de l’époque, au Parti (politique) unique, le
Fln, à la poigne de fer de H. Boumediene….et sans le soutien des autres partis
(clandestins mais apportant un « soutien critique » au régime en place)
, la place médiatique étant occupée par les seuls médias publics (dont la radio
qui, heureusement, avait une petite fenêtre (parfois) ouverte avec la Chaîne II
qui diffusait en kabyle) , la tache n’était pas
facile . Elle était même dangereuse.
C’est tout ce cheminement qui nous est racontée,
parfois dans ses moindres détails…..et bien plus ce
qui donne des « bretelles » éditoriales toujours
intéressantes car instructives. …politiquement.
Dans le désordre : Les conseils de Dda Mouloud (Mammeri), les aides de Chérif Kheddam et de Kateb Yacine, la compréhension de Taos Amrouche,
l’humilité de Idir, les premiers galas kabyles, le service civil (médecine) à
l’intérieur du pays, la vie à …. « Cuba » (la cité universitaire
de Ben Aknoun), la création du Cercle de culture
berbère (sorte d’ancêtre du Mouvement culturel berbère, le Mcb)
, la vie estudiantine, le Panaf 1969, une aventure suédoise, l’expérience théâtrale,
l’enseignement (discret mais efficace) de la langue berbère et de la
grammaire amazigh, le climat politique et culturel, la réforme de
l’enseignement supérieur ….les compétences
intellectuelles gaspillées car perdues à tout jamais ou ayant profité
aux « autres », les amours de jeunesse, la pêche sous-marine, …..le
service national, le service civil, la finale de la coupe d’Algérie de football
en juin 1977 , la rencontre avec Ait
Ahmed et Mecili…à Paris….la rencontre avec Djoher (devenue son épouse) …. l’arabo-islamisme….le
décès de Boumediene , l’affaire du Cap Sigli, la
désignation de Chadli, le Printemps berbère (80)…..l’expérience (échouée) avec
le Ffs, Chadli Bendjedid, le séisme de Chlef, la corruption, la revue « Tafsut », la rencontre avec la psychiatrie (1984) , la
création de la la Ligue
algérienne des Droits de l’homme (juin 1985), les multiples arrestations,
procès et emprisonnements (Berrouaghia, Lambèse, El Harrach....) ….la
grâce amnistiante…..la propagation de l’islamisme…..la préparation de la
création d’un parti…Un autre défi…à quarante ans.
L’Auteur : Né le 26
août 1947, médecin psychiatre….Militant
, déjà très jeune, pour la langue et la culture berbères, les
Droits de l’homme et les libertés démocratiques. Il fonde ,en février 1989, le Rcd, parti social-démocrate laïc qu’il présidera
jusqu’en mars 2012. Il a été député (Apn) et , aussi,
candidat à l’élection présidentielle. Auteur de plusieurs ouvrages (dont
Mémoires. La guerre comme berceau, 1947-1967.Tome I. Editions Frantz
Fanon,400 pages, 1200
dinars)
Sommaire : Avant-propos et …..vingt
chapitres…..de vingt à quarante ans.
Extraits : « Nous
n’avions rien, nous n’étions rien et nous voulions tout. Enfouie au plus
profond de nous-mêmes, inatteignable par les discours officiels et insoluble
dans le parti unique, notre fierté était effectivement notre unique ressourcement » (p 15), « Les trois
supports que nous avions ciblés à la rentrée 1968 : le cours de berbère,
la radio et la Jsk » (p123), « La fierté.
La ferveur. Le bonheur. L’énergie et l’appétence. Rien ne pouvait nous inhiber,
rien ne pouvait nous atteindre » (p 148)
Avis : Un
« pavé » très riche, trop riche en informations, en événements et …en
révélations…..qui se lit d’un seul trait…..On attend
avec impatience et curiosité un tome III (1988-2012 ?) mais, par pitié, en
moins épais et se limiter à l’essentiel.
Citations : « En gros, il (Boumediene)gère tous les
secteurs d’où pourrait venir un coup d’Etat et se désintéresse de ce qui
constitue des bombes à retardement dans le pays. C’est à cela que l’on
distingue un homme de pouvoir d’un homme d’Etat » (p63), « Avec
Boumediene, on dénonçait, on frappait l’ennemi sans avoir à le citer. Le
nommer, c’était lui reconnaître une existence formelle » (p98), « En attendant, il fallait étudier et
militer.et ce que l’on ne sait pas toujours,
c’est que militer peut coûter de l’argent…... » (p 156), « Le
totalitarisme commence par instiller puis cultiver le doute entre les citoyens.
A la fin, chacun suspectant son proche, les énergies positives érodées finissent
par muter en méfiance puis en haine. Une société pouvait être bloquée de l’intérieur »
(p 182), « Et qu’est-ce que tu fais de la francité. Depuis quand as-tu vu
une chaise stable avec seulement trois pieds (note :arabité,
islamité et berbérité) ? Il faut en finir avec les hypocrisies » ( Remarque de Mohamed Boudiaf,, lors d’une entretien à la
Présidence avec Said
Sadi et Amara Benyounès, mai 1992,rapportée par
l’auteur, p 211), « L’homme public
qui n’avait pas une grande culture historique ne pouvait être d’une grande
utilité. L’histoire commande de toujours appréhender le passé
, car ce qui a existé influence toujours ce qui est ou qui va advenir.
Le responsable est tenu de construire sa réflexion en référence à la mémoire
des peuples s’il veut éviter les désagréments des réactions exacerbées dont les
conséquences sont toujours délétères sur les grands enjeux » (p 237),
« Un damné de la terre qui s ’accoutume à sa condition est un esclave
qui s’ignore » ( p 302), « Dans l’Algérie du
Fln, le problème existait quand on en parlait » (p 549)