CULTURE- BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH- RÉCIT
NADIR MAROUF- « DE MÉMOIRE D’HOMME.UNE VIE,DEUX
COMBATS »
De mémoire d’homme.Une
vie, deux combats .Récit et Essai
de Nadir Marouf (Préface de Karima Lazali). Editions Frantz Fanon, Boumerdès 2020, 189 pages,
600 dinars
Un récit de vie….de
plusieurs vies…..accompagné de leçons de vie : la naissance à Tlemcen,
garçon unique et aîné (quoi de mieux pour être le « chouchou » d’un
papa au « caractère marginal …. de la race
des génies tout en étant quasi-analphabète ») l’école, lycée….en France (Paris, en troisième
au Lycée Henri IV, en juin 1956…pour
quelques mois seulement, tout en
découvrant le monde artistique et des arts lyriques dont « La
Traviata », « Le lac des cygnes », « La Traviata »….. l’oncle étant machiniste à l’Opéra Garnier , ainsi que les
belles lettres, ayant eu accès à la bibliothèque du fils aîné de Charles Péguy,
un ami l’oncle) et en Algérie….puis, à l’âge de 17 ans, en mai 57, le maquis, rejoignant ainsi les combattants
pour l’indépendance du pays. Il pensait être envoyé en Yougoslavie pour
terminer ses études (comme promis) et il se retrouve « katib »
d’un chef de zone ( région 4)….plus que sévère. Il est
vrai qu’en ces temps-là, on n’appréciait pas trop (pas partout
heureusement ! ) les
« intellectuels »
Fait prisonnier, échappant de justesse à une
exécution collective, jeune administrateur, à l’Indépendance, au Plan…..il termine ses études
en Algérie puis en France….Un gros lot de diplômes et d’ouvrages……et une
expérience professionnelle, sur le terrain, dans les labos de recherche
universitaire et dans les amphis , de plus d’un demi-siècle .
Mais, cette fois-ci, une exception :S’agissant
d’ « étaler » son vécu, le personnage devant laisser la place à
la personne , à l’individu nu, dit-il ; ayant en lui la tendance , par
déformation professionnelle , « à intellectualiser et à se fendre de
concepts » (ce qu’il trouve fort
handicapant quand il s’agit d’ « enlever le masque », même s’il
a « la plume facile » ) , il nous livre une
« confession » qui nous fait « participer » pleinement (je parle ici de sa presque
génération) à son parcours ; un parcours racontée avec humilité. Et, pour compléter le récit, il se dévoile
encore plus à travers une « grande interview » réalisée en 2017
(alors professeur contractuel à l’université de Tlemcen, au terme de sa double retraite , algérienne et française) par deux « jeunes
collègues » effectuant une travail sur la vie et l’œuvre de celui qu’ils
qualifiaient de « doyen des sociologues algériens ». 21 questions, 21
réponses…..qui balaye
tout le (large) champ de la sociologie, de l’anthropologie…et de la
politique .Celles d’hier, celles d’aujourd’hui….et de demain. Une
interview complétée par une postface, plus en phase avec l’actualité car
synthèse de quelques extraits d’articles remaniés et publiés dans la presse
écrite nationale…..depuis 2018/2019. Et pour finir,
« quelques propositions » sur la planification, la régionalisation,
la politique de l’enseignement supérieur et la recherche …..Des
pistes « jetées en pâture qui pourrait s’insérer dans le renouveau
constitutionnel, si tant est qu’il soit de nature à s’adapter sans relâche aux
injonctions de l’ordre juste et de l’équité »
L’Auteur : Né
à Tlemcen (1940), moudjahid, sociologue et anthropologue. Enseignant universitaire , en Algérie et à l’ étranger. Auteur
d’une trentaine d’ouvrages
Table des matières : Préface/
Avant-propos/ Récits/ Epilogue :Les dégâts
collatéraux : pertes et profits….. L’autre combat ou l’âge de maturité /La grande interview /Postface
Extraits : « Le syndrome du garçon unique doublé du statut
d’aîné a toujours été indéchiffrable. Toujours est-il que Mohammed n’a jamais
agi par motivation exclusivement politique » (p 65), « Avec le recul,
un regard psychanalytique tendrait à montrer, sous réserve d’inventaire, que la
quête d’indépendance répondait moins à la lutte anticoloniale, à l’aspiration
socialiste et autres mots d’ordre canoniques, qu’au « droit à la
ville » (p73), « Toutes les études que nous avions faites avant (dans
les années 60-70) étaient à la remorque du temps étatique (….).Donc c’était
l’Etat qui décidait pour nous de ce qui est important ou pas. L’Etat était (et
est encore d’une certaine manière) la catégorie inaugural
du SENS » (p133), « Le grand rendez-vous que nous avons raté est de
n’avoir pas renforcé un acquis immense dont disposait l’Algérie, celui des
établissements franco-musulmans, qui ont produit des compétences dans chacune
des deux langues » (p136)
Avis : Conseillé aux chercheurs, anciens et futurs……mais
aussi à tous les universitaires
Citations : « Penser
l’Histoire d’abord et avant tout comme responsabilité revient à mettre en son
centre la force et l’inventivité du dynamisme humain » (Karima Lazali, p 14), « La distance géographique n’est pas
forcément consubstantielle de la distance culturelle » (p 75),
« L’univers carcéral n’affecte pas que la psyché. Son impact sur le corps
peut agir à retardement au moment où on ne s’y attend pas » (p 108)
, « Il faut que les jeunes générations sachent, en effet, que la guerre
d’indépendance n’a pas été une sinécure,
sauf qu’elle n’est plus perceptible aujourd’hui qu’à travers les rentiers de la
légitimité historique » (p110), « On n’écrit pas de la même manière à
30, 40 ou à 70 ans parce qu’on n’a pas la même acuité du regard sur les
choses » (p137), « En voulant, sous couvert d’une vision autocentrée,
nous soustraire à l’européocentrisme, voire à l’occidentalo-centrisme,
nous fabriquons un danger mortel pour nous et pour les générations montantes
(…..) C’est vous dire que le lieu où on produit la connaissance importe peu,
c’est pour cela qu’il ne faudrait pas qu’on ait ce rapport complexé au reste du
monde » (p149), « Le pouvoir politique
est sur la défensive et gère l’existant. Le pouvoir politique actuellement est
un « goal » dans un match de foot, il essaie d’éviter de se faire
marquer des buts » (p156), « La mosquée est là pour servir de
thérapie de groupe, mais son effet s’arrête bien souvent à la sortie » (p
161)