COMMUNICATION-
ETUDES ET ANALYSES- MEDIAS ALGERIE- ETUDE AMMAR BELHIMER (EXTRAITS) II/III
©Le
Soir d’Algérie/Ammar Belhimer*, lundi 3 mai 2021
L’ambition de
réforme
B. Nouveaux enjeux
II Souverainetés
parallèles (…………………………………)
III La part du droit
L’encadrement juridique, national et multilatéral du cyberespace s’annonce
vital pour tous les États, au-delà de leurs intérêts particuliers, pour cette
raison évidente qu’énonçait en son temps et de si belle manière le romancier,
dramaturge, poète, scientifique, théoricien de l'art et homme d'État allemand
Johann Wolfgang von Goethe : «Une activité sans bornes
finit par faire banqueroute.»
Une vérité que le philosophe et sociologue français, fondateur du positivisme
Auguste Comte complète par : «Le progrès n’est
jamais que le développement de l’ordre.»
Des règles et des institutions vont participer de cet effort de conciliation
entre l’ordre et le progrès.
A. Les règles
Différentes ripostes sont envisagées par les Etats, avec un intérêt particulier
pour le modèle allemand.
1. Aux États-Unis
Les grandes entreprises du numérique sont de moins en moins maîtres du jeu.
Une exception fait la particularité du modèle américain, nous semble-t-il :
l’extraterritorialité de son droit consacrée par le Clarifying
Lawful Overseas Use of Data Act
ou Cloud Act (loi fédérale extraterritoriale sur
l’accès aux données de communication) de 2018.
Cette loi leur donne un droit de regard sur les données stockées dans les clouds au nom de «la protection de la sécurité publique des
États-Unis et la lutte contre les infractions les plus graves, les crimes et le
terrorisme».
Un juge fédéral ou local peut obliger les fournisseurs de services à leur
livrer «les contenus de communications électroniques,
tout enregistrement, toute information relative à un client ou un abonné, y
compris les données personnelles» qu’ils détiennent aux États-Unis ou à
l’étranger, sans prévenir la personne propriétaire de ces données.
2.
L’Union européenne
L’Union européenne a acquis la réputation d’être le principal organisme de
réglementation des grandes entreprises technologiques au monde.
Sa dernière salve est la loi sur les
services numériques (DSA) et la loi sur les marchés numériques (DMA) récemment
proposées. Les objectifs déclarés de la DSA/DMA sont de
«favoriser l'innovation, la croissance et la compétitivité» et de
garantir que «les innovateurs et les start-up technologiques auront de
nouvelles opportunités».
Malheureusement, l'approche DSA/DMA est mal équipée pour faire face aux toxicités
extrêmes des platesformes de médias numériques. Dans
le cadre du DSA/DMA, les grandes plates-formes seraient soumises à des amendes
pour certaines pratiques anticoncurrentielles, mais le montant maximal de
l'amende (10% des revenus) ne suffirait pas à dissuader.
Ce dispositif fait suite au règlement européen sur la protection des données
personnelles, entré en vigueur le 25 mai 2018 dans tous les États membres de l’Union,
avec un double objectif : protéger les données pour les individus et créer les
conditions de concurrences équitables pour les entreprises dans l’espace
européen.
Comme cela est suggéré par de nombreux experts de renommée internationale, «il
est temps de procéder à une réinitialisation majeure — non seulement pour
sauver nos démocraties, mais aussi pour offrir les meilleures chances de
repenser ces technologies de médias numériques, afin que nous puissions retrouver
leur promesse et réduire les risques».
Le règlement européen fixe quatre grands
principes :
- le principe de finalité : l’enregistrement et l’usage des données devant
répondre à un but précis, légal et légitime ;
- le principe de proportionnalité et de pertinence : applicable aux informations
enregistrées ;
- le principe d’une durée de conservation limitée : elle ne peut être indéfinie
et doit être liée au type d’information, de même qu’un droit à l’oubli est
assuré aux citoyens ;
- le principe de sécurité et de confidentialité des informations : il incombe
au responsable du fichier de les garantir.
3. L’Allemagne offre un modèle
précurseur en matière de lutte contre la haine qui peut inspirer les
législateurs du monde entier dans la confection de la loi criminalisant toutes
formes de racisme, de régionalisme et du discours de la haine dans le pays.
Adoptée en octobre 2017 par le ministère fédéral de la Justice, parce que les
réseaux sociaux ne voulaient pas prendre l’initiative de supprimer les propos
haineux inadmissibles, la loi allemande — la NetzDG
(loi pour l’amélioration de l’application des droits sur les réseaux sociaux) —
est entrée en vigueur en janvier 2018, elle impose de lourdes sanctions
financières aux réseaux sociaux qui ne retirent pas les contenus illicites
signalés.
Pour le gouvernement allemand, la loi est un levier idoine pour responsabiliser
les plates-formes numériques et faire baisser le nombre de contenus illégaux
postés sur internet. Elle oblige ainsi les réseaux sociaux tels que Twitter,
Facebook et YouTube à retirer rapidement les propos et contenus illégaux.
Les fournisseurs sont désormais tenus de supprimer ou de bloquer tout «contenu qui enfreint manifestement la loi» dans les 24
heures suivant la réception d’une plainte, au risque de s’exposer à des amendes
se chiffrant en millions d’euros.
À cet égard, le législateur allemand n’a pas fait dans la demi-mesure en
adoptant une loi, entrée en vigueur en janvier 2018, qui oblige notamment les
plateformes à retirer les contenus haineux qui leur sont signalés en moins de
24 heures sous peine d’amendes pouvant atteindre les 50 millions d’euros.
Les autres pays de l’Union européenne s’accrochent peu à peu au wagon allemand,
en allant, chacun de son côté, plus loin que le code de conduite mis en place
en juin 2016 pour lutter contre les discours haineux illégaux.
4. En France, la loi pour une République
numérique votée le 7 octobre 2016 ambitionne de doter le pays «d’une longueur
d’avance dans le domaine numérique» en veillant à la défense des droits
individuels et en installant un dispositif centralisé de gouvernance des
données, le «Commissariat à la souveraineté numérique».
Deux années plus tard, le vote en novembre 2018 d’une loi contre la
manipulation de l’information offre des moyens juridiques de poursuivre la
diffusion massive ou automatisée d’informations «manifestement fausses dans le
but de troubler la paix publique ou la sincérité d’un scrutin».
Tout un dispositif que vient de conforter le Conseil d’État, suscitant la désapprobation
des associations des droits de l’Homme qui y voient une «validation durable de
la surveillance de masse».
Mercredi 21 avril 2021, après six ans de procédure, le Conseil d’État, la plus
haute juridiction administrative de France, refuse de donner effet à l’arrêt de
la Cour de justice de l’UE (CJUE) qui, en octobre 2020, estimait que tant le
droit français du renseignement que l’obligation de conservation généralisée et
indifférenciée de l’ensemble des données de connexion (IP, localisation, etc.)
étaient contraires aux droits fondamentaux.
Les associations plaignantes estiment que «le Conseil d’État autorise la conservation
généralisée des données de connexion en dehors des situations exceptionnelles
d’état d’urgence sécuritaire, contrairement à ce qu’exigeait la Cour de justice
de l’UE dans sa décision du 6 octobre 2020 contre la France».
Les impératifs de «sécurité nationale» ont prévalu sur
ceux des «droits fondamentaux». Par ailleurs, «le
Conseil d’État permet la communication des données de connexion à la police
pour n’importe laquelle des finalités comprises dans cette notion délirante de
‘‘sécurité nationale’’, alors que la CJUE exige que cette mesure de
surveillance soit limitée à la seule lutte contre la criminalité grave», déplorent
les plaignants.
5. En Algérie
Dans les jeunes démocraties, faute de normes dissuasives, l’interception et
l’étalage des conversations privées met à rude épreuve la vie privée des
personnes, notamment les plus exposées en raison de leurs activités publiques,
dans les instances de l’Etat comme dans l’opposition.
Pour fixer les choses depuis l’arrivée en masse des réseaux asociaux, je
préfère cette expression à celle en vigueur, l’article 39, al. 1 de la
Constitution algérienne de 2016 dispose : «La vie
privée et l’honneur du citoyen sont inviolables et protégés par la loi.»
L’al. 2 va dans le même sens en édictant : «Le secret de
la correspondance et de la communication privées, sous toutes ses formes, est
garanti.»
Ces deux grandes catégories de droit sont reprises dans la nouvelle
Constitution, adoptée en novembre 2020, à l’art. 47 dans les termes suivants
:
«Toute personne a droit à la protection de sa vie privée et de son honneur.
Toute personne a droit au secret de sa correspondance et de ses communications
privées, sous toutes leurs formes.»
Le même article 47 insère deux nouveaux alinéas, le 3 et le 4 pour énoncer
:
«La protection des personnes dans le traitement des données à caractère
personnel est un droit fondamental. La loi punit toute violation des droits sus-mentionnés.»
Les trois pôles d'une bonne gouvernance économique sont : primo, la légitimité
et la légalité ; secundo, la transparence et la traçabilité ; tertio, la
stabilité.
Au titre de cette dernière : un usage paisible du Net et la lutte contre la cyberhaine.
La Toile algérienne est, malheureusement, depuis peu et pour l’essentiel, un
immense réceptacle d’intox, de haine, d’invectives et d’insultes, de procès
d’intention et de règlements de comptes. Cet espace d’expression ne semble
tolérer aucun discernement, aucun échange, aucune médiation, aucun dialogue.
En l’espèce, il s’agit d’atteintes à la liberté d’expression bien comprise,
dans le strict et absolu respect de la vie privée, du droit à l’image, du
secret de la correspondance, de l’honneur et de la dignité des citoyens.
Il ne pourrait être question de banalisation et de légitimation de la violence,
sous quelque forme que ce soit, dans le débat public, où qu’il se déroule et
quel que soit son enjeu