CULTURE- OPINIONS ET POINT DE VUE-
ARCHIVES NATIONALES- LETTRE* AU PRESIDENT DE LA REPIBLIQUE
© Presse
nationale, jeudi 29 avril 2021
Monsieur le président de la République, dans leur lettre
ouverte, des historiens ont dénoncé l’impossibilité d’accéder “aux fonds
d’archives, pourtant légalement communicables, particulièrement ceux portant
sur le Mouvement national et la Révolution algérienne”. Les signataires de la
présente lettre, archivistes de différents statuts et secteurs et enseignants
d’archivistique de différentes universités, estiment qu’il est de leurs devoirs
moral et national de vous faire part de leurs préoccupations. Nous témoignons
qu’il existe un écart manifeste entre l’intérêt porté par les pouvoirs publics
aux questions d’archives et de mémoire et la réalité de la situation des
archives dans le pays.
En cette année 2021, la Direction générale des archives nationales (DGAN)
poursuit de manière dramatique sa Grande Reculade. Nous avons assisté à une
dérive sans précédent dans l’histoire des archives dans le monde. Nous
témoignons que la DGAN s’est carrément éloignée de ses missions statutaires et
réglementaires. Elle a perdu l’objet même de ses missions et son identité.
Aujourd’hui, force est de signaler la grande fracture qui a complètement clivé
les relations de normalisation et de régulation dans la production, la gestion
et l’exploitation des documents, entre la Direction générale des archives
nationales, les institutions publiques et les entreprises publiques et privées.
Nous témoignons qu’il n’existe plus de politique archivistique nationale, alors
que les pouvoirs publics ont mis à la disposition de l’institution en charge
des archives nationales (direction générale et Centre des archives nationales)
tous les moyens d’action possibles.Nous témoignons
que tout ce que les responsables des Archives nationales ont eu à réaliser,
construire et gérer depuis 1963, dans des conditions autrement plus difficiles
et avec des moyens humains, financiers et matériels beaucoup moins importants,
a été méthodiquement démonté depuis 19 ans.
Monsieur le Président de la République, nous témoignons que la Direction
générale des archives nationales et le Centre des archives nationales ont
reculé dans tous les domaines tant au niveau national qu’au niveau
international :
- Au niveau national, tous les acquis, tous les espaces conquis dans le pays
(archives des collectivités locales et des administrations centrales, archives
des entreprises publiques, archives privées) ont été abandonnés l’un après
l’autre. L’absence d’une autorité de régulation des archives que se doit être
la DGAN a fini par créer une confusion inextricable. Les archivistes en
fonction dans les différentes institutions, administrations centrales et
locales et les entreprises publiques ont été plongés dans l’isolement sans
directives ni orientations.
En optant pour une politique de marginalisation, voire de purge des
compétences tant à la DGAN qu’au Centre, l’actuel responsable des Archives
nationales a aggravé la fracture cognitive et fonctionnelle dans tous les
domaines. De plus, et chose très grave en ce XXIe siècle, les Archives
nationales d’Algérie ont raté le passage à l’ère numérique et retrouvé le
statut qui était le leur aux premiers jours de l’indépendance. Par ailleurs,
les rapports avec l’université qui étaient excellents avant 2001 se sont, petit
à petit, distendus jusqu’à disparaître totalement par la volonté clairement
exprimée de l’actuel responsable des Archives nationales.
- Au niveau international, l’Algérie a pratiquement disparu des instances
archivistiques internationales (Conseil international des archives et sa
branche arabe). Ceci est d’autant plus vrai que le contentieux qui oppose notre
pays à la France n’est pas signalé dans le rapport réalisé par le Conseil international
des archives sur les contentieux archivistiques entre États, intitulé
“Revendications relatives aux archives déplacées. Enquête 2018-2019” (février
2020).Et pour cause, l’actuel responsable des archives
nationales n’avait pas répondu aux enquêteurs de l’ICA/CIA, signifiant ainsi,
il n’y a plus de contentieux archivistique algéro-français.
Il faudrait s’interroger sur les répercussions dans les futures négociations
sur le contentieux archivistique, de l’accord de coopération signé à Paris le 6
mars 2009, entre la DGAN et les Archives de France, dans lequel, semble-t-il,
l’actuel responsable des archives nationales accepte de recevoir les copies
d’archives numérisées, alors que la position de notre pays a toujours consisté
à revendiquer les documents originaux. Aussi, acculé par les retombées du
rapport de M. Benjamin Stora auprès de l’opinion publique algérienne, l’actuel
responsable des Archives nationales multiplie les déclarations démagogiques, au
nom de l’Algérie, tout en donnant des leçons de méthode historique aux
historiens.
Monsieur le Président de la République, faut-il croire que notre pays ne
mérite pas, n’a pas besoin, d’une direction générale chargée de transmettre aux
générations futures la trace, le fruit, les combats et les espérances des
générations d’hier et celle d’aujourd’hui ? Leur mémoire ? La mort lente des
Archives nationales n’est pas une fatalité, l’Algérie mérite mieux, l’Algérie
mérite plus. Elle a fait mieux, elle a fait plus dans le domaine des archives
que ce dramatique et honteux spectacle qui nous est, hélas, donné
aujourd’hui.
Monsieur le Président de la République voudra bien nous faire l’honneur
d’accepter que notre lettre a pour seul objectif de
réaffirmer notre attachement à un secteur que nous avons servi fidèlement.
Gloire à nos martyrs, vive l’Algérie. Nous vous prions d’agréer, Monsieur le
Président de la République, l’expression de notre profond respect et de notre
haute considération.
*Signée par une quarantaine d’archivistes,
des historiens et
des universitaires professeurs d’archivistique