HISTOIRE-OPINIONS ET POINTS DE VUE-
OCCUPATION OTTOMANE ALGERIE- CHRONIQUE MAÂMAR FARAH
Faut-il pardonner
aux Ottomans leurs crimes parce qu’ils sont musulmans ?
© Mâmar Farah/Le Soir d’Algérie ,
jeudi 22 avril 2021
À chaque fois que l'on aborde la
question de l'occupation turque, voire de la colonisation ottomane, des voix
s’élèvent pour remettre en cause ces concepts et rétablir des
«vérités» puisées dans le récit officiel. Il ne s'agirait ni d'une
occupation ni d'une colonisation. Ce seraient les populations locales qui
auraient fait appel aux Turcs pour lutter contre les Espagnols. Avec le recul,
on ne voit vraiment pas comment ces populations et à travers quelle représentation
et quel canal ont pu s'adresser à une puissance étrangère. Et si appel il y a
eu, il ne pouvait provenir que de quelques élites ou seigneurs mis à mal par le
harcèlement des bateaux occidentaux menaçant leurs règnes et privilèges.
Ici, une parenthèse pour dire que la piraterie maritime n’était pas une
spécialité nord-africaine. Nombreux furent les États qui toléraient cette
activité désignée par le vocable civilisé de « course ». La mer Méditerranée
était infestée de pirates chrétiens et musulmans. À Alger, ils formèrent une
internationale de la piraterie où l’on ne comptait qu’un seul chef autochtone,
le Raïs Hamidou. La principauté d’Alger les acceptait sans rechigner ; la seule
condition exigée pour leur affiliation fut de prononcer la « chahada » pour les
non-musulmans.
Mais le port d’Alger n’était pas le seul à accueillir des bateaux pirates. À
l’intérieur, cette fin de moyen-âge était caractérisée par la poursuite des
guéguerres entre une multitude d’émirats arabo-berbères. L’Algérie, à la veille
de l’occupation turque, offrait l’image d’une entité en gestation, tiraillée de
part et d’autre par des luttes intestines et des troubles épuisant les hommes
et l’économie. Sur la côte Est, deux villes vont s’incruster dans l’histoire
avec des sorts différents : Béjaïa était prise par les Espagnols alors que
Jijel vivait sous l’emprise d’une célèbre fratrie de corsaires : les
Barberousse, nés d’un père albanais.
Les Barberousse occupaient une partie du littoral algérien bien avant qu’un
quelconque appel à l’aide ne leur vienne des Algériens. Personne n’avait invité
Baba Aruj à prendre possession du port de Jijel. La
fratrie connaissait parfaitement ces côtes jusqu’à Tunis et y avaient établi
des bases depuis plusieurs années. De là, la flotte des Barberousse sillonnait
les mers, à la recherche de butins et de prisonniers. Les hommes furent
destinés à l’esclavage alors que les femmes finissaient au harem d’un seigneur
ou raïs locaux ou dans l’une des nombreuses maisons closes qui activaient dans
ces villes cosmopolites et animées. À côté de Jijel, Bejaïa, la ville lumière,
restait sous occupation espagnole depuis 1509 après une héroïque résistance
sous la conduite des émirs locaux qui firent preuve d’un courage exemplaire en
refusant de se rendre aux envahisseurs. Ils ne défendaient pas seulement un
territoire mais toute une civilisation brillant au-delà des mers, un centre de
rayonnement culturel et de savoir universels où les mathématiques furent
particulièrement à l’honneur.
Si les corsaires de Barberousse aidèrent les populations de Béjaïa à libérer
leur ville de l'occupation espagnole — dont la présence dura 45 années ! —, ce
ne fut point pour les beaux yeux des Bougiotes. Ils
agissaient pour étendre leur domination sur le littoral algérien en proie à
d’incessants bombardements et incursions occidentaux. C'est aussi pour un
soutien pareil que le sultan d'Alger, malade et apathique, lança un SOS aux
frères Barberousse pour libérer le penon d'Alger d'une présence espagnole qui
menaçait toute la ville.
La fratrie des Barberousse ne se fit pas prier. Après la prise du penon et
l'exécution de son commandant, ils s'emparèrent d'Alger. Barberousse, séduit
par la beauté de la princesse Zaphyra, tenta de la
soumettre mais cette dernière tenait à son honneur plus qu’aux trésors promis
par l’assaillant. Le cruel pirate ira jusqu'à tuer le sultan d’Alger dans son
bain pour faciliter ses épousailles avec Zaphyra.
Cette dernière, acculée, se suicida. Un épisode symbolique d’une résistance
algérienne aux traits de noblesse et de bravoure que l’histoire officielle
continue de censurer bêtement pour ne pas nuire à l’image d’un quarteron de sanguinaires devenus
sauveurs de la «nation musulmane algérienne » !
En vérité, la prise d'Alger par les Barberousse allait ouvrir la voie à une
véritable occupation de la principauté par l'empire ottoman auquel les frères
Barberousse firent rapidement allégeance. Peu scrupuleux quand il s'agit de
l'intérêt de son empire, le sultan d’Istanbul, Selim 1er, donna l'ordre à la
fratrie de soumettre les habitants d'Afrique du Nord. Oui, vous avez bien lu, «
soumettre » ! Alors, cessez de nous raconter vos histoires de fraternité entre
les Ottomans et les autochtones. Rapidement, le sultan envoya ses troupes,
comme message d'amitié à nos peuples. De 2 000 janissaires au début, leur
nombre ira en augmentant, de même que leur brutalité se traduisant par des
crimes innombrables.
De 1515 à 1830, les Turcs, nullement intéressés par une colonisation de
peuplement, n'expédièrent en nos terres que des militaires. La pseudo-autonomie
accordée à la Régence d'Alger n'était qu'un leurre puisque l'autorité fut
exercée par un pouvoir militaire. Les milices de janissaires turcs, par le
biais du dey, contrôlaient les affaires du pays. Certains tiqueront à la
lecture du mot « pays ». Nous avons déjà signalé que le territoire actuel
recoupant l’Algérie regroupait une multitude de petits Etats rivaux se faisant
une guerre perpétuelle pour des revendications territoriales ou pour des
raisons de conflits tribaux, voire quelques antinomies confessionnelles. Le
seul « avantage » de cette colonisation fut de tracer le contour de l’Algérie
moderne, entre le Maroc et la Tunisie, un territoire du reste déjà dessiné par
le sang des martyrs d’autres occupations sanguinaires.
Les Ottomans s’étaient royalement détournés du développement du pays et de la
bonne gouvernance. Ces peuples n’étaient bons que pour céder les impôts. Les
Turcs laissèrent à l'abandon une grande partie des terres pour se rassembler
sur le littoral : cela répondait à leur stratégie militaire qui fut de faire
d'Alger le centre névralgique de la domination maritime de la partie
occidentale de la Méditerranée. Avec ce qui s’est passé récemment en Libye et
les prétentions new ottomanes sur la Tunisie et l’Algérie, l’histoire bégaye…
Les populations locales, totalement épuisées par un système des impôts injuste,
s’abandonnèrent à leur triste sort. Les récalcitrants étaient sauvagement punis
et les quelques soulèvements furent réprimés dans le sang. Appauvris, les
autochtones végétaient dans un dénuement total; ils
n'avaient plus rien à attendre d'un pouvoir sans scrupules qui comprit
rapidement l’avantage qu’il pouvait tirer de la soumission des caïds, de
certaines confréries religieuses influentes ainsi que des tribus aux chefs
félons. En leur accordant des privilèges et un pouvoir local étendu sur les
populations, le dey et les autorités militaires se débarrassait des tâches de
gestion locale et maintenait sa mainmise sur les affaires militaires et financières.
Ainsi tombe à l’eau toute cette version édulcorée d’une présence turque
sollicitée par les autochtones et tout l’habillage religieux d’un partenaire
musulman menant la guerre aux croisés. Lorsque les soldats français prirent
possession d’Alger en 1830, le pouvoir ottoman local livra sans résistance ni
honneur notre pays aux nouveaux envahisseurs. Une fois de plus, les Amazighs
étaient face à leur sort : résister ou mourir… Résister sans tenir compte de la
race, religion ou couleur de la peau de celui qui est venu pour nous asservir…