SANTE- MALADIE- HÉMOPHILIE
Chaque année, depuis 1989, le 17
avril coïncide avec la célébration de la Journée mondiale de l'hémophilie. Une
occasion pour mieux faire connaître cette pathologie qui affecte 3.000
personnes en Algérie. Avec un nombre de nouveaux cas avoisinant les 140
patients par an, on recense dans notre pays environ 3.000 hémophiles sur 5.000
attendus. Dans cette interview croisée (El Modjahid/K.H,
dimanche 18 avril 2021) , le professeur Nawel Salhi,
maître de conférences classe A au service hématologie, chef d'unité de
traitement de l'hémophilie et des maladies hémorragiques héréditaires au CHU
Ibn-Badis de Constantine, et le professeur en
hématologie, Noureddine Sidi Mansour, relèvent les grands progrès
réalisés par l’Algérie en matière de prise en charge de l’hémophilie et
insistent sur la nécessité de créer des centres régionaux pour le traitement de
la maladie.EXTRAITS
Pr. Salhi
: L’Hémophilie est une maladie hémorragique congénitale (héréditaire) liée à un
trouble du système de la coagulation sanguine secondaire due à un déficit soit
du facteur VIII de la coagulation et c’est l’hémophilie A, ou bien du FIX et on
l’appelle alors hémophilie B.
Pourquoi cette maladie touche-t-elle
les garçons plutôt que les filles ?
Pr. Sidi Mansour : L’hémophilie est
une affection hémorragique héréditaire de transmission récessive liée au chromosome
X où se situent les gènes incriminés. N'ayant qu'un exemplaire de ce chromosome,
les garçons sont systématiquement malades dès lors qu'ils héritent d'un gène
muté. Les garçons sont atteints (hémophiles), et les femmes sont des
conductrices. Elles n’expriment que peu ou pas la maladie. L’hémophilie
féminine est exceptionnelle.
La maladie touche environ 1 garçon sur 5.000 pour l’hémophilie A et 1 sur
20.000 pour l’hémophilie B.
Quels sont les symptômes ou les
signes révélateurs de la maladie ? En un mot, comment peut-on reconnaître une
personne hémophile ?
Pr. Salhi
: Il faut d’abord souligner qu’on distingue trois stades de sévérité de la
maladie qui sont proportionnels au degré du déficit du facteur de coagulation :
hémophilie sévère, hémophilie modérée et hémophilie mineure. La forme sévère se
manifeste à un âge précoce, généralement à l’âge de l’apprentissage de la
marche ou bien avant. Le maître symptôme de la maladie est le syndrome
hémorragique qui touche d’une façon élective les articulations, ce sont les
hémarthroses et les muscles et on parle alors des hématomes. On suspecte l’hémophilie
chez une personne qui saigne plus longtemps qu’un sujet sain suite à un
traumatisme minime.
Comment se fait la prise en charge
des malades atteints d’hémophilie en Algérie ?
Pr. Salhi
: L’Algérie a connu des progrès considérables dans la prise en charge de
l’hémophilie depuis la disponibilité des facteurs anti-hémophiliques, la
généralisation du traitement prophylactique qui permet la préservation
d’articulations saines chez l’hémophile. La complication la plus redoutable de
la maladie est la détérioration de l’appareil locomoteur engendrant des
déformations articulaires invalidantes.
Ce mode de traitement lui-même a évolué depuis sa mise en place en passant de
la prophylaxie standard à la prophylaxie personnalisée qui répond aux besoins
individuels en facteurs anti-hémophiliques de chaque patient, jusqu’à
promouvoir des soins de proximité. En effet, l’injection des traitements est
assurée actuellement, et en collaboration avec certains laboratoires
pharmaceutiques, à domicile.
Quelles sont les thérapies ciblées
qui existent en Algérie ? La thérapie génique dans le traitement de l’hémophilie a-t-elle un rôle à jouer ?
Pr. Sidi Mansour : Actuellement il
n’y a pas de thérapie ciblée en hémophilie en Algérie. Peut-être dans un avenir
que nous espérons proche. La thérapie ciblée dans l’hémophilie fait appel à un
anticorps monoclonal mimant l’activité du FVIII.
Il s’administre par voie sous-cutanée (SC) en une injection hebdomadaire.
Les données cliniques, bien que de niveau de preuve non optimal, suggèrent une
efficacité supérieure de ce médicament par rapport à une prophylaxie par agents
« by-passants ». Il est attendu un bénéfice important
sur la qualité de vie des patients en comparaison à ces traitements. Concernant
la thérapie génique, elle est actuellement au stade d’essais cliniques. Des
résultats très positifs ont été obtenus. Une correction significative et
durable des hémophilies A et B sur la quasi-totalité des patients participant à
un essai de thérapie génique a été enregistrée, d’où la possibilité d’une
guérison mais à quel prix...
Avec un traitement adéquat, les
personnes atteintes d’hémophilie peuvent-elles vivre normalement ?
Pr. Salhi
: Oui et heureusement d’ailleurs ! Vous n’avez qu’à voir les petits enfants qui
ont commencé le traitement prophylactique il y a une dizaine d’années et qui
sont actuellement des adolescents et des jeunes. Ils ont une scolarité
régulière, avec beaucoup moins d’absentéisme et une bonne insertion sociale.
Ils pratiquent même du sport.
Pr. Sidi Mansour : Un hémophile peut
vivre normalement s’il reçoit très tôt un traitement prophylactique, notamment
une prophylaxie individualisée par la mise en place d’un outil (logiciel) pour
individualiser correctement son profil thérapeutique pour le calcul des doses
et la fréquence des injections. Ce procédé est en cours de mise en place en
Algérie. Ce type de traitement peut se faire à domicile par le patient
lui-même, soit l’auto-traitement.
Si vous avez des conseils ou des
recommandations à donner pour améliorer la prise en charge des
hémophile en Algérie, ce serait lesquels ?
Pr. Sidi Mansour : Il faut d’abord
renforcer le Comité national de l’hémophilie au niveau du ministère de la Santé,
créer des unités hémophilie et maladies hémorragiques héréditaires (enfant et
adulte) au niveau des CHU et des centres régionaux pour le traitement, ainsi
qu’un registre national. Il est primordial également d’améliorer le diagnostic
biologique et génétique et le dépistage des conductrices, d’encourager la
collaboration avec le mouvement associatif et de favoriser les jumelages avec
les centres internationaux pour hémophiles.
Aussi, nous plaidons pour l’optimisation de la coordination avec des services spécialisés
et des soins d'urgence en assurant la disponibilité des médicaments pour une meilleure
prise en charge des patients atteints d’hémophilie dans les quatre coins du
pays.