CULTURE- OPINIONS ET POINTS DE VUE - THEÂTRE- HAMIDA AIT EL HADJ
© Hamida Ait El Hadj/www.24h.dz, entretien avec Fayçal
Metaoui, 10 avril 2021. Extraits
Hamida Aït El Hadj est metteur en scène, dramaturge et
comédienne. Elle est distribuée dans le prochain long métrage de Merzak Allouache. Elle est
également enseignante à l’Institut des métiers des arts de spectacle et de
l’audiovisuel (ISMAS) de Bordj El Kiffan à Alger.
24H
Algérie : Vous suivez régulièrement les nouvelles productions théâtrales en
Algérie. Le théâtre algérien est-il en train d’avancer, de régresser ou de
stagner ? Je cite un exemple : J’ai apprécié la
mise en scène sobre d’Ahmed Benaïssa dans la pièce
« Le foehn » (une production du théâtre régional de Tizi Ouzou) et
j’ai noté le sérieux des comédiens dans le jeu. Ils ont donné le maximum d’eux
même, parlaient de sens, ne s’exhibaient pas. Les gens sont restés dans la salle pour suivre le
spectacle ici à Constantine. Ils étaient tenus par autre chose que la langue
(la pièce est en tamazight). Le langage théâtral a happé les gens. Il y a avait de la poésie dans les dialogues. Et nous étions dans
le théâtre tout court, ni classique ni contemporain ni happening. La
pièce est une adaptation de l’œuvre de Mouloud Mammeri « Le foehn ou la
preuve par neuf ». Remettre au goût du jour Mouloud
Mammeri, évoquer la Révolution et rappeler aux jeunes le sacrifice des hommes pour
l’indépendance de l’Algérie sont importants. On a tendance à l’oublier
aujourd’hui. Nos jeunes ont le droit de pouvoir créer et travailler dans leur
pays. Je dois dire qu’il n’y a pas de culture sans politique. En Algérie, les meilleurs auteurs de théâtre ont toujours
sous-entendu leurs œuvres de politique. Il y a un engagement d’un côté ou de
l’autre.
Vous
critiquez souvent « l’exhibition corporelle » sur scène. Pourquoi ? Facebook et les autres réseaux sociaux ont dépassé
tout le monde en matière d’exhibition corporelle et d’exposition de beauté tant
féminine que masculine. Pas la peine d’en rajouter sur scène. On vient au
théâtre pour voir autre chose. Nous n’avons pas besoin de voir du porno sur
scène !
Vous
pensez qu’il existe une indécence sur scène ? Il y a de la vulgarité et une absence de pudeur.
Absence de ce qui est élégance de l’âme. Je suis contre le fait qu’on fasse de
la femme un objet sexuel sur scène. En le disant, je vais peut-être paraître
vieux jeu mais je n’ai aucun complexe. Je suis bien autant dans ma tête que
dans mon corps.
Vous
avez critiqué le prix accordé à Ali Djebara pour la meilleure mise en scène de la pièce « Skoura » (une production du Théâtre régional de
Souk-Ahras) lors du 14e Festival national du théâtre professionnel d’Alger
(FNTP) en mars 2021. Pourquoi ? Il
y a tout sauf la mise en scène dans cette pièce. Et je ne cite pas le nom. Je
parle d’un spectacle sans mise en scène. Rien ne m’a plu dans cette pièce. Faut
déjà dire qu’est-ce qui peut me plaire. Le thème lui-même est gênant (la pièce
est une adaptation du roman « Al Malika »,la
reine, d’Amin Zaoui). Il y a avait
du racisme latent sur scène (à l’égard des chinois). Il faut aller voir les
pièces de théâtre produites en Chine pour comprendre pourquoi il faut respecter
les chinois. Je ne prétends pas détenir
la vérité, je vis dans le doute. J’enseigne cela à mes étudiants en soulignant
que le doute est la base de toute création. Chacun a sa vérité, la défend à sa
manière. Mais, il y a la vérité de base : le respect de l’autre, l’amour du
prochain. Dans l’art, il faut travailler avec abnégation, ne pas tomber dans le
dilettantisme.
La
pièce évoque peut être « la crise » d’hommes
en Algérie ? Oui, nous avons une crise d’hommes en
Algérie. Des jeunes quittent le pays à travers la harga,
d’autres sont morts et d’autres encore refusent de se marier faute de logements
(dans le roman d’Amin Zaoui une femme divorce de son
mari algérien pour se lier à un chinois)… J’aime la
littérature de Mouloud Mammeri, Kateb Yacine et Yasmina Khadra. Yasmina Khadra
est un grand écrivain, prolifique comme Balzac. Il touche dans ses écrits à l’algérianité, au local, mais aussi à l’universel. C’est
l’auteur le plus mis en scène et le plus adapté au grand écran. Et, il est
attaqué. Je me demande pourquoi. En Algérie, Yasmina Khadra a été adapté aux
planches qu’une seule fois avec le roman « L’attentat » (par Mourad Senouci) en 2009 Cette
pièce a été critiquée d’une manière virulente alors que le spectacle était bon
(la pièce produite par le Théâtre régional d’Oran a pris le titre « Es-Sadma, mise en scène par Ahmed Khoudi).
J’étais l’une des rares à défendre ce travail. Je m’interroge pourquoi le
feuilleton sur l’inspecteur Llobe (d’après l’œuvre de
Yasmina Khadra), réalisé par Bachir Derrais, n’a pas
été diffusé à la télévision. J’ai eu la possibilité d’assister à des tournages…
Le
débat sur l’adaptation des romans au théâtre revient en force. Qu’en pensez-vous? Il y a eu certaines réussites dans ces adaptations
comme « Le fleuve détourné » de Rachid Mimouni.
J’ai adapté le roman « Les martyrs reviennent cette semaine » de
Tahar Ouettar pour la pièce « Radjiine Radjiine » (nous
revenons). Je n’ai pas lu le roman parce que j’en voulais à Tahar Ouettar après ses propos sur les auteurs francophones
(durant les années 1990). Quand
j’ai lu le roman, j’ai découvert un auteur d’une grande valeur qui a mis le
doigt sur la plaie de ce qui se passait en Algérie, avait dénoncé les actes de
la « Issaba » déjà en 1986. Nous devons
être fiers d’avoir un Tahar Ouettar comme écrivain.
Dans mon adaptation, j’ai fait en sorte que le personnage de Abed soit
recherché par la « issaba » pour le tuer
car il risquait de dire des choses dangereuses… J’ai appelé la fille de Tahar Ouettar avant l’adaptation et elle a soutenu le projet.
Elle a ajouté que son père n’était pas d’accord avec l’adaptation faite par M’hamed Benguettaf. Dans
l’adaptation d’un texte, il faut aller vers le noyau, mettre en exergue les
idées novatrices de l’auteur. J’ai réadapté la pièce « Fatma » de Benguettaf dans laquelle je disais qu’en Algérie la femme
n’est pas victime de l’homme, mais des lois adoptées par l’Etat. Cela n’avait
pas plu. Nous avons vu au FNTP et au Printemps théâtral de
Constantine deux pièces qui font le réquisitoire contre l’homme : « Skoura » d’Ali Djebara et
« Aramel » de Chahinez
Neghouache (produite par le Théâtre régional de
Constantine). C’est une vengeance. Mon fils, mon
frère, mon père, mon mari sont des hommes. Je leur rends hommage. Je ne suis
pas contre les hommes, mais contre le fait que l’Etat permette une violence
contre les femmes et contre les enfants. On s’est trompé de colère. Je
travaille avec les hommes, je ne les attaque pas. Ce sont mes amis et mes
camarades au théâtre. Pour moi, ces attaques contre les hommes relèvent d’un
faux débat au théâtre. Le théâtre doit aborder les vrais problèmes, comme la
pauvreté des gens, au lieu de s’intéresser à l’histoire d’une algérienne qui
tombe amoureuse d’un chinois ! Qu’on arrête avec cela (……………………………………………)
Certains
pensent que le public a déserté les salles de théâtre. Et nous avons bien
constaté que les dernières pièces d’Ahmed Rezzak ont
attiré les spectateurs vers les salles. Comment expliquer cela? Personnellement, je
n’ai pas aimé la pièce « Torchaka », mais , c’est vrai, le public était bien là. Les
revendications de ce public étaient sur scène. Le metteur en scène a repris
certaines demandes du hirak. Demandes ignorées par la
télévision publique. Ma fille de 19 ans a été subjuguée par la pièce « Torchaka ». Il ne faut pas fermer la porte à ce type
de théâtre.
Justement,
comment peut s’appeler ce genre de théâtre ? En
Russie, on l’appelle « le théâtre publiciste », c’est-à-dire le
théâtre politique. Un théâtre qui doit exister. Je dis bravo à Ahmed Rezzak qui a fait ses études à l’ISMAS de
Bordj El Kiffan (Alger). Il s’est cultivé, lancé dans
la mise en scène à défaut de metteurs en scène. Et, il a raison puisque le
terrain est vide. Son existence est importante dans le champ théâtral algérien.
J’ai également apprécié aussi le spectacle de Rabie Guichi, « El manb’aa »
(la source).
On
oublie souvent le côté spectacle-divertissement dans les pièces produites ces
dernières années. La narration est dominante au détriment de l’action. C’est vrai, on s’ennuie. Dès qu’il y a ennui, il n’y a
plus de théâtre. Si au bout d’un quart d’heure, j’ai mal à la tête, je sors de
la salle. Bernard Shaw (dramaturge irlandais) s’est mis à écrire des pièces de
théâtre parce qu’il s’ennuyait. Dans la pièce « El Manb’aa »,
par contre, le spectateur est pris dans un tourbillon. Dernièrement, j’ai
quitté la salle lors de la présentation de la pièce « Baccalauréat »
de Azzeddine Abar. Je n’ai
pas été accrochée par la représentation.
Des
metteurs en scène évoquent « la liberté » de création, ce qui sous-entend
que l’avis du public importe peu. Qu’en pense Hamida Aït El Hadj ? On travaille d’abord pour le public, pour un spectacle
ici et maintenant. A la différence de l’artiste peintre ou du cinéaste, le
metteur en scène du théâtre est face à un public vivant (…) Dans les années
1990, je me suis engagée, à travers un spectacle monté en France (« Un
couteau dans le soleil », produit en 1994 à partir d’une composition de
textes dont ceux de Tahar Djaout et Youcef Sebti),
pour dénoncer la politique de « qui tue qui » et évoquer l’assassinat
des artistes et des intellectuels en Algérie par des terroristes. Personnellement, je ne peux pas dissocier vie sociale,
vie de la cité et théâtre de ce qui se passe à un niveau politique. D’une manière
artistique, Kateb Yacine le faisait.
Durant
le Printemps théâtral de Constantine, un débat a abordé la
question taboue du plagiat dans le théâtre algérien. Le plagiat existe-t-il ? Oui, et c’est tellement courant.Il y a un peu de pudeur, on n’ose pas citer
des noms. Si on désigne un metteur en scène, il dira qu’on a parlé par
jalousie. Ce qui est sûr est que plusieurs textes que j’ai vu sur scène ont été
plagiés. Je cite la pièce « Babor Ghrak » (de Slimane Benaïssa).
Le véritable auteur Slawomir Mrozek.
Jusqu’à
quand faut-il garder le silence? J’en ai marre d’être seule à parler. Que les autres
parlent ! Je dénonce le plagiat que lorsque le l’