CULTURE-
MUSIQUE- MUSIQUE RAÏ
© Messaoud Bellemou,
trompettiste et pionnier du rai/ Mohamed Kali/ El Watan,
dimanche 11 avril 2021.Entretien. Extraits
(…………….) Le raï moderne est le fait de groupes musicaux
rivaux, entre chebs des deux villes (Note : Ain Témouchent /Sidi Bel Abbès). Pour
en dire le ridicule, il me suffit de dire qu’ils n’étaient encore que des
enfants lorsque le raï moderne était en gestation. Or, il se trouve que je suis
un acteur central de cette dernière, l’instrument distinctif du raï moderne
naissant, la trompette a été introduite par moi-même, si le raï ne se réduit
pas à une substitution d’instruments «modernes» aux
lieu et place d’instruments «archaïques». D’autres avant moi avaient tenté
l’aventure, comme l’usage du violon à la place de la gasba mais sans que cela
ne débouche sur le raï moderne.
-Soyons plus précis…
D’abord, mon souci premier n’était pas de
moderniser la chanson Trab. Je n’ai d’ailleurs jamais
été un chanteur, contrairement à ce qu’on répète à mon propos. En 1962, j’étais
un instrumentiste saxo ténor et trompette. Je baignais dans la musique
occidentale puisque j’ai été formé au sein de la lyre municipale. Dans mon
univers musical, divers genres musicaux se répondaient en écho. Je suis
également pétri de Trab, Cheïkha
El Wachma, l’alter-go de Rimitti,
est de Témouchent. J’animais les tribunes du stade de
Témouchent et j’accompagnais le CRT, le club fanion,
dans ses déplacements. Ma trompette faisait concurrence sur les tribunes à la
ghaïta en entonnant des airs latino-américains, ibériques (mamba, boléro,
rumba, tcha tcha tcha, les valses, etc.). J’ai repris par la suite des airs
de musique moderne algérienne. Mohamed Lamari me
subjuguait. Je m’efforce également de tirer des sonorités trab
de mon instrument. Mes efforts commencent à aboutir à la suite d’un long
cheminement et de tâtonnements à travers l’exécution de courtes partitions que
je compose, dont je teste la validité aux réactions du public des stades à Témouchent et ailleurs. Mes scènes ont donc d’abord été les
tribunes des stades.
Aguerri par l’expérience, je suis passé au
stade professionnel en fondant le premier groupe tbal
ayant remplacé la ghaïta par la trompette. Ces groupes, contre rétribution,
accompagnent de leur musique les cortèges nuptiaux, une musique exécutée sur
une benne de camionnette J’y ai gardé le tbal en le
doublant par un deuxième et je lui ai adjoint le karkabou
pour renforcer la percussion. J’y ai inclus un autre trompettiste, Mimi Tmouchenti, pour me remplacer et j’ai repris mon saxo
ténor.
Le rythme et la mélodie, devenant
puissamment entraînant et festif, faisaient chalouper les corps. A force de
tâtonnements, en 1966, j’ai réussi à composer mon morceau le plus connu, un
métissage de plusieurs genres, un son nouveau que j’ai intitulé Poréapo. Les gens enregistraient mes lives
et les faisaient écouter autour d’eux. A l’époque, les magnétos légers étaient arrivés sur le marché, ce qui permettait d’entendre ce que
la censure interdisait. De la sorte, j’ai été connu non par le biais des
médias, mais par mes prestations en live. Les invitations à accompagner les
cortèges ont commencé à affluer de toutes les villes de l’Oranie.
-En résumé, la musique raï a précédé
la chanson raï…
Absolument. Vers 1968, le succès
grandissant, je suis passé à un stade supérieur en commençant à animer des
soirées. J’inclus dans mon groupe un berrah pour les
dédicaces, le regretté Hamani en l’occurrence. Comme
instruments, j’ajoute l’accordéon et la derbouka. Mon groupe s’est étoffé à six
membres. Le son raï est là. Spontanément, Hamani, qui
connaissait le répertoire Trab, a commencé à pousser
de la voix pour accompagner ses tébrihate
(dédicaces). D’autres groupes sont attirés par la brèche que j’ai ouverte. Bouteldja Belkacem s’y essayait. Il était connu pour ses
reprises du répertoire Trab de Cheikha
El Ouachma de Témouchent.
C’est que préadolescent, il accompagnait
sa sœur aînée qui faisait partie de l’orchestre de médahate
d’El Ouachma, cette dernière avait par ailleurs un
autre orchestre, lui spécifiquement Trab. Bouteldja qui se faisait accompagner au départ par la gasba
a introduit des instruments modernes. Je fais sa connaissance et l’idée
s’impose à moi d’élargir mon groupe avec deux chanteurs, Hamani
passant du statut de berrah à celui de chanteur. En
1974, Kadi Missoum, un éditeur est intéressé. Sous le
label Zad el youm, sa maison d’édition, il me propose
de graver, deux 45 tours, l’un avec Boutelja comme
chanteur et l’autre avec Hamani.
Le succès est phénoménal, les disques se
vendaient comme des petits pains. A ce propos, je dis à ceux qui prétendent que
le raï moderne est d’Oran ou de Bel Abbès, qu’ils
produisent leurs vinyles, car ce raï est bien né à Témouchent,
non seulement avec un répertoire témouchentois (El Wachma)
et une musique qui y a été forgée par mes soins. Par ailleurs, parmi les
pionniers, je citerai deux Témouchentois incontournables. Le premier : Boutaïba Hafif, dit Boutaïba Seghir, a la voix à la
tessiture remarquable, musicien-compositeur et auteur de textes qui vous
remuent les entrailles. Le second, Benfissa Younès,
qui est un chanteur réputé. Avec ces deux artistes, j’ai enregistré deux autres
disques en 1975 à la demande de Kadi Missoum. Et
quatre années après, mes deux disques inauguraux, en 1978, le premier Festival
national du raï se tient.
-Et pour ce qui est de
la revendication marocaine sur le raï ?
Là, je fais court : que ceux qui
l’avancent au Maroc viennent me jeter à la figure les vinyles enregistrés aux
époques considérées (le dépôt légal institué en France au XVIe siècle a été
étendu par la suite à ses colonies). La Bibliothèque nationale de France
possède des quantités considérables d’enregistrements. Par ailleurs, les pays
ayant été sous domination française ont maintenu l’obligation du dépôt légal
après leur indépendance. Mais plus sérieusement, la mémoire commune des deux
côtés de la frontière retient que chacun des pays avait une tradition de
chanson populaire paillarde. De notre côté de la frontière, en Oranie, c’est le
raï. De l’autre, c’est la aïta dont la plus illustre
représentante vient de décéder, l’immense Haja Hamdaouia, Rabi yarhamaha (……………….)