Samir Kacimi a
rencontré, samedi 27 mars 2021, un groupe de lecteurs à la faveur d’une
initiative de l’Association « Kasantinatakra’a » (Constantine ) dans le cycle « Lika’a
bila hawadjiz » (Rencontre sans obstacles).
Organisé au Palais Ahmed Bey, à Constantine, le débat s’est concentré autour du
dernier roman de Samir Kacimi « Al hamakatoukamalamyarwihaahd »
(La stupidité comme jamais racontée), paru à Alger, aux éditions El Ikhtilaf et, à Beyrouth, aux éditions Difaf.
« Il faut une forte dose de stupidité pour s’aventurer et devenir écrivain
dans un pays qui combat la vraie écriture, l’intellectuel critique », a
d’emblée déclaré le romancier. Selon lui, les auteurs ressentent une certaine résistance
à chaque nouvelle parution de la part d’autres écrivains, des médias et de la
société.
» En Algérie, il faut
être fou ou stupide pour continuer à écrire. J’ai choisi la voie
de la stupidité et je refuse d’être fou (…) je ne fuis
pas les sujets, mais je les traite d’une manière différente. Le choix du monde
parallèle, de la fantaisie et de l’absurde, dans mon nouveau roman, est un
choix délibéré. Nous ne pouvons rire que de nos malheurs. Notre vécu fait rire
et pleurer à la fois », a-t-il souligné.
Venu au roman grâce à Alberto Moravia
Il dit avoir abandonné la poésie après avoir
senti qu’il ne pouvait pas ramener du nouveau. « Je ne pouvais pas être
différent de Nizar Kabbani ou de Mahmoud Darwich. L’écrivain doit avoir le courage de reconnaître
qu’il est parfois qu’un écho d’une autre voix », a-t-il confié. Après une
rupture de dix ans, Samir Kacimi a repris l’écriture.
Le déclic est venu après la lecture du roman « Le mépris » de
l’italien Alberto Moravia, paru en 1954.
La carrière littéraire de Samir Kacimi, juriste de formation, a commencé en 2008 avec le
roman « Tasrihoun bi dhay’a »
(déclaration de perte). Il a été suivi par d’autres romans comme « Yaoumra’ililmawt » (Jour extraordinaire pour mourir),
« Halabil », « Fi ichqiimaratounakir » (de
l’amour d’une femme stérile) et « Houboun fi kharifinma’il » (un amour
dans un automne perché).
Un pays sans portes
« J’ai senti que je pouvais écrire
d’une manière différente les romans », a-t-il noté. Il a précisé que
« la stupidité comme jamais racontée » se veut une continuité des
romans « Les escaliers de Trolard», « Les idioties de Duc de Cars » et
« Le stupide lit toujourse.
« Les romans sont liés par le lieu, à
savoir le quartier populaire de Trolard-Duc des cars,
à Alger. Un quartier, infiltré par l’ignorance et le populisme, et qui est
proche de tout sauf de la propreté. Un quartier où l’anarchie et la pauvreté
sont présentes aussi », a-t-il noté soulignant que le quartier n’est pas
loin du Palais du Gouvernement de la rue Docteur Saâdane.
Il a expliqué que les personnages portent
les mêmes dans ces romans avec des caractères différents. Il a cité l’exemple
de Djamel Hamidi, personnage central de son nouveau roman. Dans « Les
escaliers de Trolard », Samir Kacimi a imaginé un pays sans portes. « Les portes
séparent entre ce qui est apparent et ce qui ne l’est pas. Et la question était
: pouvons-nous vivre sans secrets ? » », s’est-il interrogé. Les
histoires commencent toujours le 25 août à l’aube d’une année « dont
personne ne se souvient ».
Passer « du rêve au cauchemar »
Les personnages se réveillent toujours en se
rappelant d’un rêve ou d’un cauchemar. « Le jeu est de commencer toujours
du même point. Imagine qu’on te donne l’occasion de changer tes choix mais à
chaque fois tu tombes dans l’impasse, dans le trou de la stupidité. A chaque
fois, tu passes du rêve au cauchemar(…) Je narre la
stupidité comme personne ne l’a fait avant moi. La stupidité se vit, le défi
était de la raconter », a-t-il souligné.
« Nous vivons dans une société qui peut lire et écrire, mais qui ne lit
pas et qui n’écrit pas. Quel est l’intérêt de connaitre les mots et les
chiffres et tu ne lis pas », a-t-il dit à propos de son roman « Le
stupide lit toujours », une satire bâtie sur l’apparent et le caché.
Samir Kacimi est formel à propos de son dernier roman
: « le pouvoir ne lit pas. En temps normal, le pouvoir interdit ce roman,
mais, je suis optimiste, en disant que le pouvoir lit et fait montre de
tolérance ». Interrogé sur son écriture, il a eu cette réponse :
« L’écrivain est le produit de ce qu’il lit. Consciemment ou
inconsciemment, on retrouve les traces des précédentes lectures dans les textes
écrits. Je considère le lecteur plus intelligent que moi. Je dois trouver un
moyen pour lui proposer l’imprévu dans ce qu’il va lire ».
Samir Kacimi,« le renouvellement romanesque se déroule au
Maghreb »
Samir Kacimi a
beaucoup de réserves sur la critique littéraire arabe considérée comme
traditionaliste. « Cette école est toujours dominante. Elle tente à chaque
fois de mettre la création expérimentale et renouvelée dans les cases
théoriques qu’elle maîtrise. C’est une erreur car ces textes dépassent ce cadre
théorique », a-t-il constaté.
Et de poursuivre : »
La distribution des prix littéraires dans le monde arabe se réfère au jugement
de cette école critique. Les romans de Wahid Tawila
ou Tariq Imam ne sont pas pris à cause de cela. Cette école ne peut pas comprendre
la nouvelle création romanesque. Contrairement à l’écriture conventionnelle,
cette nouvelle littérature a de l’avenir ».
Selon lui, la critique littéraire au Maghreb est plus avancée et plus forte que
celle du Moyen-Orient. « Idem pour le roman. Le renouvellement romanesque
se déroule au Maghreb, pas au Moyen-Orient ou dans les pays du Golfe. Il y a cinq
ou six ans, Rachid Boudjera, dans une conférence à
Abu Dhabi, a accusé les auteurs des pays du Golfe d’être à l’origine de la
régression du roman arabe. Il n’a dit qu’une vérité », a-t-il appuyé.
« L’Algérie doit encourager le mouvement de traduction vers les langues
européennes »
L’écrivain a critiqué le fait que la
traduction d’un roman soit conditionnée ou liée à l’obtention d’un prix
littéraire. « L’Algérie doit encourager le mouvement de traduction
littéraire de l’arabe vers les langues européennes. Nous avons oublié que nous
sommes les plus proches de l’Europe, l’autre rive. Nous connaissons mieux
l’autre et ses langues, comparés au Moyen Orient », a-t-il noté. Il a critiqué la traduction arabe de certains auteurs comme
la romancière britannique Virginia Woolf.
Pour Samir Kacimi, le Moyen-Orient n’a plus de rôle
civilisationnel aujourd’hui. « Il ne fait que suivre les pays du
Golfe », a-t-il tranché. D’après lui, le conflit arabophones/francophones
n’existe plus en Algérie depuis le début des années 1990. « Avec la
nouvelle génération d’intellectuels et d’écrivains, ce conflit a disparu. Nous
devons exporter notre culture avec des plumes algériennes. Nous devons
redécouvrir l’autre avec nos propos traductions », a-t-il insisté.
« En Algérie, nous n’avons pas de
conflit d’identité, mais une diversité culturelle, un héritage de plusieurs
civilisations. Cette diversité est un avantage pour nous », a-t-il
dit.