COMMUNICATION- ETUDES
ET ANALYSES- PRESSE ALGERIENNE/MOHAMED KOURSI, ENTRETIEN (II/II)
«Une révolution
s’impose à la presse algérienne»
©Aomar
MOHELLEBI/L’Expression, dimanche 21 mars 2021
planétaires par le
biais d' «Une information qui s'adresse aux peuples par-dessus la tête de leurs
dirigeants»
En plus clair?
Je vais citer quelques cas concrets qui illustrent ce lien organique. La Charte
de France 24 précise que la chaîne doit traiter «l'actualité
internationale avec un regard français» et «véhiculer partout dans le monde les
valeurs de la France». Cette chaîne pénètre dans, environ, 75 millions de
foyers dans plus de 90 pays. Medi 1 Sat a un cahier
des charges précis et sans équivoque: offrir un point
de vue marocain sur l'actualité du reste du monde. Certaines personnes croient
que ces pratiques sont nouvelles, voire même relevant du complotisme. Revenons
à l'histoire: Radio France Internationale, placée sous
la tutelle du ministère français des Affaires étrangères, considère la zone
Afrique comme une «priorité absolue» et arrose le continent en un flux continu.
Voice of America et Radio Free Europe, étaient deux machines de la Guerre
froide. Le gouvernement américain admit en 1971 que RFE était financée par des
fonds spéciaux de la CIA. CNN International est aujourd'hui accessible à un
milliard de personnes en anglais et dans plusieurs autres langues grâce à une
quinzaine de satellites... La destruction programmée de l'Irak ou de la Libye a
été précédée par tout un travail de préparation de l'opinion au niveau des
médias. Et, enfin, le soft-power est une réalité d'une telle force que nombreux
sont à nier son existence, même si, pour ne citer que Anthony Blinken, un personnage axial dans l'administration de Joe
Biden, la préconise en direction de certains pays aux régimes jugés«rétifs» «pour faire à
d'autres ce qu'ils n'auraient pas fait autrement».
Avec l'arrivée des réseaux sociaux,
le secteur de la presse a été secoué, pouvez-vous nous en parler?
Je dirais plutôt qu'avec les réseaux sociaux, il est devenu vital, stratégique
d'avoir des médias de qualité animés par des professionnels et à qui on
facilite l'accès à l'information en respectant un certain nombre de précautions
comme chaque charte le précise à travers le monde. Les relations
internationales s'expriment, au-delà des institutions et des cadres
traditionnels, dans les médias. Tous les pays qui se présentent comme des modèles
de la démocratie et de la liberté d'expression disposent de journaux transnationaux
dits de référence, de radios et de chaînes de télévision qui défendent avec
efficacité les intérêts de leurs Etats respectifs. Le Monde (France), El Pais
(Espagne), Der spiegel (Allemagne) Times of India
(Inde), Corriere della Serra (Italie), The Times
Royaume-Uni), The New-York Times (USA)... Partout, les intérêts économiques,
politiques, culturels, même le mode de vie sont portés dans plusieurs langues à
travers le monde. Certains pays du Sud ont, également, pris conscience de cette
nécessité: Al Ghad, en
Jordanie, Al-Ahram en Egypte, Al Youm
en Arabie Saoudite, Al-Araby Al-Jadeed
au Qatar, Al-Quds Al-Arabi; Ashaq Al-Awsat basés en Grande-Bretagne... Il est, à mon avis, impératif,
de réfléchir dans cette direction pour éviter de rester dans la posture de la
réaction après coup sur des articles ou de reportages publiés par les autres
sur nous. Un journal de référence, sous sa forme papier avec son extension
digitale déclinée dans les langues internationales, n'est pas un luxe dans
cette nouvelle configuration des relations mondiales qui frappe à nos frontières
de toutes parts.
De nombreux observateurs préconisent
la fin imminente de la presse papier, il ne resterait, selon eux, que la presse
électronique, partagez-vous cet avis?
Ah oui! Je vois cette question revenir régulièrement, comme un marronnier pour
utiliser notre jargon. Il est un fait, que la presse papier est en recul à
l'échelle planétaire. Le confinement et la distanciation sociale ont, non seulement,
confirmé cette tendance mais accéléré cet effritement. Partout, la «vente au numéro» a chuté et les points de vente souvent
fermés; par mesure sanitaire, ont fait basculer le lectorat vers le mode
digital. Bien évidemment, il s'agit d'une tendance lourde. J'aime les
références à Fernand Braudel. Il y a une évolution qu'on peut schématiser sur le
temps long. La logosphère, le temps de l'oralité comme mode de transmission de
l'information et du savoir a cédé la place à la graphosphère avec l'imprimerie
qui a donné naissance aux journaux, ensuite, la vidéosphère a marqué le passage
à l'écran et, enfin, la cybersphère... Depuis au
moins l'invention de la radio, on a prophétisé la fin des journaux. Ils sont
toujours là. En vérité, ce n'est pas la presse qui est en crise (même si les Gafa lui ouvrent un boulevard vers le cimetière) mais son
modèle dans sa globalité. Economique, ses supports, la persistance d'une
présentation de l'information obsolète qui rendent le digital incontournable
pour la presse écrite. N'oublions pas que le journalisme est une invention
permanente. De nouvelles pistes sont explorées. De nouveaux formats de
présentation avec les reportages immersifs. Si le buraliste devient virtuel en
n'étant plus sur un lieu public, mais à un clic sur l'ordinateur, le journal se
doit aussi de suivre dans sa forme ce basculement. N'est-il pas temps d'en
finir avec ces rubriques désuètes, national, international, culturel. Une
rubrique primant sur l'autre par son ordre dans la pagination?
Avec Internet, même une information dans un petit village perdu peut devenir
internationale. Le zapping, les liens hypertexte, le réflexe qui fait parcourir
au lecteur uniquement les titres quand l'accroche est ignorée sont autant de signes
qui montrent que le lectorat a changé.
Y compris en Algérie?
Surtout! D'abord un constat. Le lectorat, pour des raisons qu'on connaît tous,
a migré de la presse d'expression française à l'arabe et, ensuite, il a basculé
de la presse papier aux réseaux sociaux. Résultat? Un
effondrement des ventes spectaculaire! Tous les
journaux ont réduit leur tirage et/ou rogné sur les salaires quand d'autres ont
tout simplement cessé d'exister. Difficile d'imaginer qu'aucun quotidien
francophone n'atteint la barre des 100.000 exemplaires, certains se contentant
d'un modeste et discret 20.000 exp voire nettement
moins, alors qu'au début du pluralisme médiatique les tirages étaient
phénoménaux. L'Algérien est très intéressé par la vie de la cité, mais ce n'est
pas dans la presse papier qu'il va chercher l'information. Les invendus
atteignent des niveaux inquiétants. Par ailleurs, certains
«patrons» revendiquent la liberté de la presse et, en même temps,
demandent et attendent que les pouvoirs publics les portent à bout de bras
financièrement. Il y a comme un paradoxe. Bien sûr, les pouvoirs publics
doivent soutenir les médias quel que soit leur statut juridique pour une
information de qualité même (et surtout) si elle s'adresse à un lectorat
spécifique. Mais on a tous constaté les dérives et les abus d'un transfert de
l'argent de la publicité à des entités fantômes qui n'apportent aucune valeur
ajoutée aux débats publics. À l'évidence, l'expression «champ
de mines et de ruines» n'est pas exagérée. On a parlé de la presse écrite, il
faut aussi rappeler le boulet des chaînes de télévision. Qu'elles soient
publiques ou privées, l'information de qualité reste le point faible dans ces
organismes prisonniers, pour les uns, des communiqués d'institutions;
et pour les autres, des émissions qui flattent le côté voyeuriste ou mystique
des téléspectateurs. Il s'agit d'une révolution et non d'une réforme à mener dans
ce secteur.