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Presse algérienne /Mohamed Koursi/Entretien (I/II)

Date de création: 21-03-2021 18:43
Dernière mise à jour: 21-03-2021 18:43
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COMMUNICATION- ETUDES ET ANALYSES- PRESSE ALGERIENNE/MOHAMED KOURSI, ENTRETIEN (I/II)

 

«Une révolution s’impose à la presse algérienne»

©Aomar MOHELLEBI/L’Expression, dimanche 21 mars 2021

 Mohamed Koursi, ancien directeur de la rédaction d'El Moudjahid, est sociologue et chercheur en sciences de l'information et de la communication. Il est l'auteur de deux livres sur l'histoire de la presse et des journalistes en Algérie. Il vient de publier: «Jeux de pouvoirs en Algérie, plumes rebelles».

L'Expression: Votre nouveau livre se penche et décortique près d'un siècle du parcours de la presse algérienne, pourquoi avez-vous choisi de vous étaler sur toute cette période au lieu de vous limiter à une période déterminée?
Mohamed Koursi: Je me suis inscrit sur le temps long pour traquer, si je puis dire, la figure anthropologique du journaliste algérien. Comment le définir ? On sait que la presse a été une importation coloniale et il a fallu un long processus d'appropriation pour voir émerger le journaliste algérien en tant qu'acteur. Lecteur passif d'une presse coloniale dans une langue qu'il ne maîtrisait pas au début, collaborateur «invisible» dans des pages marginales, journaliste, politiquement engagé, au tournant du Xxeme siècle, pour une citoyenneté indigène, nationaliste et révolutionnaire pour l'indépendance... sans occulter, bien sûr, le journaliste du parti unique à partir de 1962, du pluralisme médiatique, de la décennie rouge, et de la révolution du sourire. Comment tout ce cheminement irrigue la mémoire collective du journaliste de nos jours où l'information est au carrefour d'enjeux multiples à la fois nationaux et géostratégiques ? Voilà pourquoi j'ai opté pour cette démarche. Mon livre s'ouvre sur les années trente du siècle dernier, cette décennie des partis politiques qui va labourer les consciences et préparer le brasier de novembre 1954, et se termine sur l'onde de choc internationale des «printemps arabes» et nationale, avec la révolution du sourire.

Si vous deviez «diviser» l'histoire de la presse algérienne en trois ou quatre périodes importantes, lesquelles seraient-elles?
Des historiens ainsi que de nombreuses thèses soutenues dans les universités algériennes se sont penchés sur cette question. On peut citer, cependant, les travaux de Zahir Ihaddaden qui plus est, a été un acteur sur le front de la communication durant la Guerre de Libération nationale. Il a divisé l'âge de la presse depuis son introduction en Algérie (c'est-à-dire de 1830) jusqu'à l'indépendance en tranches pédagogiques qui renvoient aux évolutions politiques. Une presse coloniale, indigénophile, assimilationniste, nationaliste et révolutionnaire. Je suis de la génération de l'indépendance et j'apporte modestement ma contribution à ces séquences en poursuivant cette méthode. Le journaliste algérien a été façonné par l'histoire (notamment celle de la Guerre de Libération nationale), formaté (par le parti unique), instrumentalisé par les forces du marché lors du «printemps de l'Algérie», désintégré par une décennie de terrorisme et, enfin, prolétarisé dans un processus toujours en cours. À cette aventure sur une soixantaine d'années depuis l'indépendance, correspondent des formes d'écritures journalistiques. Dithyrambique des années soixante-dix, passionnée et violente des années quatre-vingt, de recul et d'effacement à la fin du XXeme siècle et de remise en cause à l'aube du XXIeme siècle. Cette dernière étape, toujours en cours, est caractérisée par la crise du modèle économique des médias traditionnels.

Il y a eu des périodes historiques de l'Algérie où des journalistes ont joué des rôles de premier plan à travers leurs écrits, ils étaient pratiquement des acteurs de la scène politique presqu'à part entière grâce à leurs prises de position et à l'influence qu'ils avaient sur le lectorat. Pouvez-vous développer cet aspect?
Me reviennent à la mémoire les paroles de Aboubakr Belkaïd, qui fut plusieurs fois ministre, notamment ministre de la Communication et ministre de la Communication et de la Culture avant d'être assassiné par des terroristes en 1995. Il disait: «Quand on interroge les nombreux journalistes qui ont vécu les années soixante-dix, ils répondent que c'est la magie du projet socialiste qui leur inspirait ce qu'ils écrivaient.». L'Algérie était la Mecque des révolutionnaires et le journal El Moudjahid traduisait dans un style, à la fois percutant et poétique, l'ethos de l'Algérien que moins d'une génération séparait du colonialisme. Des journalistes de talents sillonnaient le monde surtout dans ses parties bouillonnantes et révolutionnaires (Amérique latine et Afrique) pour témoigner de l'attachement de l'Algérie à des principes énoncés dans ce premier communiqué de presse fondateur, à savoir la Proclamation du 1er novembre 1954 et même avant, lors de la conférence de Bandung. Des journalistes, porteurs d'une vision qu'ils traduisaient dans un style d'une rare élégance, ont pu côtoyer des chefs d'Etat et de leader entrés dans l'histoire. Certains ne sont plus de ce monde, d'autres vivants. J'en cite un grand nombre dans mon livre de cette ère des brasiers, pour paraphraser le poète cubain, José Marti. Un feu émancipateur qui a nourri des revendications politiques, sociales, nationalistes et que les journalistes algériens de cette période ont couvert de façon magistrale. C'était «L'heure de nous-mêmes qui avait sonné.» comme le disait Aimé Césaire. Mais, je précise que chaque période enfante quelques journalistes, femmes et hommes, qui donnent à cette profession ses lettres de noblesse. Il est impossible et inconcevable de passer sous silence l'engagement des journalistes durant la décennie noire. Par la plume, le son ou l'image, ils ont participé, activement, à bâtir un front contre les fossoyeurs et à briser le mur du silence érigé par quelques pays intéressés de nous considérer comme un laboratoire. Mon livre brosse le portrait de nombreux journalistes survivants ou emportés par la barbarie, de même que ceux de la révolution du sourire.

Comment concilier les deux facettes du journaliste à la fois transmetteur de nouvelles et militant?
Difficile en période de turbulences sociales. On a tendance à l'oublier, mais le journaliste est un acteur social, pas un acteur politique. Ses orientations doivent être inspirées par les valeurs de l'universalisme: paix, démocratie, liberté, solidarité, droits de l'homme... Il ne doit pas tromper ses lecteurs en présentant ses articles comme une information quand ils font la promotion d'intérêts catégoriels, ou partisans. Ne dit-on pas que le fait est sacré et le commentaire est libre? Mais en même temps, est-il juste un passeur de nouvelles émanant de plusieurs sources? Une sorte de joueur dans un match qui reçoit le ballon et le passe aux autres? Informer, c'est aussi mettre en forme, choisir certains mots et pas d'autres, un angle et pas un autre, certaines déclarations et pas d'autres, certaines questions et réponses et pas d'autres....tout un art. En conclusion, J'emprunte ma réponse à un natif de Blida, Jean Daniel: «Faut-il dire la vérité? Oui, assurément, mais pas n'importe comment, n'importe où, n'importe quand. Rien que la vérité? Sans aucun doute. Toute la vérité? Eh bien non! Je défie qui que ce soit de me prouver qu'il n'a jamais tenu compte des intérêts de sa famille, de son entreprise, de son avenir. Alors, pourquoi ne tiendrait-on pas compte de sa société, de sa nation, des intérêts de la République, des idéaux de l'humanité?»

La mondialisation force les portes de tous les foyers à travers la planète. Mais, au sommet, seule une poignée de producteurs d'informations dominent les médias et défendent les intérêts militaires et industriels de leurs pays...
La désillusion! De même qu'il y a une concurrence féroce entre les multinationales pour dominer des segments du marché à toutes ses étapes (une concurrence qui peut aller jusqu'aux conflits armés), au niveau de l'information et de la communication, il y a (l'ignorer serait faire preuve d'une grave naïveté), suite à la révolution des moyens de communication, l'irruption de nouveaux acteurs qui interviennent dans le champ de la diplomatie publique. Le diplomate n'est plus le simple fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères de son pays, mais aussi un nombre croissant d'organismes qui interviennent en amont et en aval pour accompagner les relations internationales. De ce point de vue, les médias se trouvent complètement insérés dans cette dynamique et le journaliste, par ses écrits, met en forme une certaine vision du monde souvent conforme à son aire culturelle. Les empires médiatiques en France où plus de 80% des médias sont entre les mains d'une dizaine de milliardaires de l'industrie de l'armement, des télécom ou du BTP (comme par hasard!), en Italie, en Allemagne, aux Etats-Unis....sont la preuve que l'enjeu n'est pas l'information ou le divertissement des populations, mais une question de pouvoir et de domination