HISTOIRE- PERSONNALITES- GHENASSIA PIERRE
© Ali Bedrici/Liberté, samedi 20 mars 2021
Jusqu’à 1990, une rue de Ténès
portait le nom de Pierre Ghenassia,
un enfant juif de la ville, tombé au champ d’honneur pour la libération de
l’Algérie. Les élus islamistes installés à l’APC en 1990 rebaptisèrent la rue
au nom d’El-Qods.
Il est vrai que l’inculture et l’ignorance crasse font commettre les pires
choses, comme d’ailleurs la tentative de débaptisation plus récente d’une rue
qui portait le nom de Fernand Iveton à Oran, avant
que des patriotes n’interviennent pour rétablir la place du guillotiné, mort
pour l’Algérie le 11 février 1957.
Pierre Ghenassia tombait au champ d’honneur à
l’âge de 17 ans, le 22 février 1957, lors
d’un accrochage avec l’armée française dans
la Wilaya 4 historique. Né à
Ténès en 1939 dans une famille juive
de tradition anticolonialiste, il l’était lui-même profondément dès son
jeune âge.
Proche du Parti communiste algérien, il fréquentait les nationalistes du
FLN et baignait dans une
ambiance familiale engagée pour l’indépendance (son
cousin Jean-Pierre Saïd, sa tante Mireille Saïd…). Dès son déclenchement, Pierre Ghenassia
adhérait à la Révolution de Novembre 1954.
En 1956, il rejoint l’ALN dans la Wilaya 4 historique, sous les ordres du
Commandant Azzedine. Sous le nom de guerre de Hadj, il était infirmier et
soignait les blessés de l’ALN. “Hadj est mort, refusant d’abandonner ses
blessés.
C’était un frère et nous l’avons pleuré… Il est mort à Tiberguent
en défendant une infirmerie et les blessés dont il avait la responsabilité”,
écrit le Commandant Azzedine, qui ajoute : “L’une des figures les plus
attachantes fut celle de notre infirmier zonal, Hadj. Nous l’appelions ainsi,
mais son vrai nom était Ghenassia. Il était
israélite, parlait très bien l’arabe. Pour tous ceux qui tiennent comme un fait
établi le prétendu antagonisme de nos origines religieuses, je voudrais qu’on
le sache : Hadj est mort les armes à la main, pour l’Algérie.”
Dans une lettre à ses parents écrite au maquis, “Pierre, dit Hadj” (c’est
ainsi qu’il l’a signée), dit : “Je milite depuis au milieu de milliers de
jeunes qui, comme moi, ont rejoint le maquis et qui, dans un magnifique élan d’enthousiasme,
tendent tout leur être vers la réalisation de leur idéal.”
Il embrasse ses parents et termine sa lettre par un “à bientôt dans une
Algérie libre et indépendante”. Durant la guerre de Libération nationale, le
FLN avait appelé les Algériens “juifs et européens” à le rejoindre, en leur
assurant que “son vœu est
celui d’une Algérie multiethnique, multiconfessionnelle… où
toutes les communautés seront respectées…”.
La direction de la Révolution n’a pas cessé de rappeler
que “l’Algérie est le patrimoine de tous… L’Algérie aux Algériens, à
tous les Algériens, quelle que soit leur origine. Cette formule n’est pas une
fiction. Elle traduit une réalité vivante, basée sur une vie commune”.
Cette démarche était en symbiose avec
les convictions de beaucoup d’hommes et de femmes, juifs et
européens, essentiellement sympathisants ou membres du PCA, qui se sont engagés
dans la lutte anticolonialiste. Si l’on connaît mieux Frantz Fanon, Maurice Audin ou Gisèle Halimi, d’autres noms sont inconnus du
public algérien.
Pourtant, ces hommes et ces femmes se sont battus pour l’indépendance de l’Algérie qu’ils considéraient comme
leur pays. Si, durant la
guerre de Libération, les organisations juives
“officielles” choisissent la neutralité, beaucoup de juifs
français refusent de se taire et vont jusqu’à risquer leur vie pour s’opposer à
la torture.
“Ils jouent un rôle de premier plan dans la
divulgation auprès de l’opinion des actes de violence révoltants commis
par l’État français contre les insurgés et figurent, aux côtés de chrétiens, de
musulmans et de libres-penseurs, en tête du mouvement contre la torture en
France”.
D’autres juifs se sont résolument engagés dans le
combat libérateur, issus pour la plupart du PCA. À sa demande, ils ont, comme d’autres militants, rejoint
individuellement le FLN-ALN. Ténès gagnerait à honorer la mémoire du Chahid Pierre Ghenassia en
redonnant son nom à un espace public de la ville.