COMMUNICATION-
OPINIONS ET POINTS DE VUE- AUDIOVISUEL NATIONAL/REDOUANE BOUDJEMÂA (EXTRAITS)
©l El Watan/Redouane
Boudjemâa, jeudi 18 mars 2021
Professeur à la faculté des
sciences de l’information et de la communication d’Alger et auteur de plusieurs
articles scientifiques et d’ouvrages, Redouane Boudjemaa
s’exprime ici sur la situation du champ audiovisuel national et les
conséquences du verrouillage des chaînes publiques et privées.
– Plus de sept ans après l’ouverture officielle du champ audiovisuel et la
création de chaînes privées, le paysage audiovisuel national reste terne.
Quelles en sont les raisons, selon vous ?
Au cours de
l’année 2012, à une question d’un de vos collègues d’El Watan week-end sur
l’apparition des premières chaînes de télévision privées offshore, j’avais
répondu que «le pouvoir prépare une
ouverture fermée du secteur de l’audiovisuel». Neuf années plus tard, sept ans après la
promulgation de la loi sur l’audiovisuel et plus 2 ans après le début du hirak, ces chaînes demeurent sur le plan juridique des
entités de droit étranger.
Ces télévisions
ont, pour l’essentiel, raté l’objectif au nom duquel elles avaient été tolérées
à l’origine par les pouvoirs publics. En effet, il fallait capter efficacement
le public algérien pour empêcher autant que possible l’influence des chaînes
satellitaires, qui ont joué un rôle actif dans les événements en Tunisie, en
Egypte, au Yémen, en Syrie et en Libye.
Rappelons au
passage que ces chaînes TV offshore ont servi de relais de communication pour
la campagne du 4e mandat de Abdelaziz Bouteflika et qu’elles
étaient toutes insérées dans le dispositif mobilisé pour le 5e mandat.
Le 22 février 2019, quand des dizaines de milliers d’Algériennes et d’Algériens
sont sortis dans les rues des grandes villes pour exprimer le sentiment
général, ces chaînes étaient toutes en stand-by, ne sachant pas s’il fallait ou
non couvrir cet événement et dans quel sens le présenter.
Donc, évoquer sur
le plan professionnel ces chaînes de télévision offshore, c’est poser la
problématique de tout le système médiatique construit sur la rente, la
propagande et la manipulation de l’information. Ce système a atteint ses
limites en montrant sa totale rupture avec l’opinion. Ce constat n’est pas
anodin, car ce système médiatique de ce seul fait menace la sécurité nationale.
– L’opinion publique nationale reste toujours branchée sur les médias
audiovisuels internationaux. Pourquoi, selon vous, les chaînes algériennes,
publiques et privées, font-elles fuir un public auquel elles sont censées
s’adresser ?
Le fond du
problème est bien celui de la crédibilité de ces médias. Ces chaînes diffusent
des informations non sourcées et ressassent mécaniquement un discours univoque,
en décalage complet avec une réalité radicalement modifiée par les technologies
de l’information et les réseaux sociaux………
– Ceux qui se souviennent du début des années 1990 se rappellent encore la
qualité des débats ouverts à toutes les sensibilités politiques à l’époque.
Pourquoi cette expérience ne s’est pas reproduite avec le hirak
?
En 1990, il
existait la volonté politique d’un gouvernement qui souhaitait mener une
transition organisée vers l’économie de marché et vers un système politique
réellement pluraliste. Les médias faisaient évidemment partie de cette
stratégie. Mais cette volonté s’est heurtée à de puissantes résistances au sein
du système.
Cette tentative
de sortie de crise et de modernisation a été avortée. En échange, l’Algérie a
eu droit à un transfert du monopole public vers un secteur privé «bazariste» ……………………………………………….
– Le verrouillage des médias publics, notamment, n’est-il pas préjudiciable
à l’image du pays ?
Un vrai gâchis !
C’est le terme adéquat pour qualifier une synthèse et tirer le bilan de la
(non)-performance des médias publics. Que dire d’autre s’agissant de titres de
la presse publique aux budgets astronomiques, que personne ne lit ? Que
penser de cette télévision publique qui dispose de 4000 salariés et qui
continue de recruter ? Cette télévision emploie plus de 800 journalistes,
dont beaucoup sont payés à ne rien faire, avec un budget annuel avoisinant
celui des grandes chaînes d’information internationales…………………………………..
Où se situe
l’Algérie dans ce monde ? L’Algérie, pays-continent, ne possède pas de
chaîne de télévision internationale, ni en arabe, ni en français, ni en
anglais, ni en espagnol. Pourtant, il ne fait aucun doute que le plus grand
pays d’Afrique a besoin de supports de communication internationale au Maghreb,
en Afrique, dans le monde arabe, en Europe, en Amérique du Nord et latine.
Ce constat de
carence est celui de l’échec de la politique de communication et de la
politique diplomatique. Echec que l’on mesure quand on rappelle que l’Algérie
de Bandung a réussi avec quelques dizaines de journalistes, avec de petits
supports de communication, alors que l’Algérie de 2021 échoue malgré des
milliers de journalistes et des centaines d’appareils médiatiques anesthésiés
par les manipulations et les milliards de la rente.
– Nous avons assisté à de graves dépassements de la part de certaines
chaînes, y compris l’EPTV qui a même diffamé feu Lakhdar Bouregaâ.
Quel est le rôle de l’ARAV ? Cette autorité assume-t-elle ses missions ?
De graves dérives
sont enregistrées depuis des années : des chaînes de télévision privées versent
dans le racisme contre les réfugiés subsahariens, diffusent des contenus
haineux contre les opposants au système Bouteflika, discriminent les femmes, et
j’en passe.
Des plateaux
vecteurs de haine. Ces chaînes, en majorité, se sont spécialisées dans la
diffusion des fake news et d’informations non sourcées. Ainsi, depuis le début
du hirak et à titre d’illustration, nous avons eu
droit au soi disant «coma
profond» de Bouteflika, que l’on voit pourtant le jour suivant déposer sa
démission…
Cette régression
effarante a contaminé la télévision publique, qui a adopté le langage des
mouches électroniques. N’oublions pas, en effet, que l’attaque abjecte contre
le moudjahid Lakhdar Bouregaa a été initiée sur les
réseaux sociaux avant sa reprise par les chaînes de télé privées et publiques.
Pour ce qui du
rôle de l’ARAV, vous me donnez l’occasion de vous confier des éléments peu
connus. Le jour de l’installation de l’ARAV à la fin du mois de juin 2016, par
le Premier ministre Abdelmalek Sellal, mon directeur
de thèse, feu Zahir Ihadaden,
membre de l’ARAV, a pris la parole pour demander, entre autres propositions,
d’ouvrir la télévision publique au débat contradictoire et à l’opposition
politique.
La réponse du
Premier ministre a été conforme à celle des responsables des médias publics de
l’époque : «Comment ouvrir la télévision d’Etat
à des personnes qui nous critiquent ?» Cette réponse résume l’état d’esprit de
personnels d’autorité qui ne font pas de différence entre Etat et pouvoir,
entre information et communication, entre individus et institutions.
Le regretté
professeur Ihadaden revint à la charge peu après pour
exiger du président de l’ARAV de l’époque d’user des prérogatives de l’Autorité
pour appliquer la loi et réguler le champ audiovisuel, loin de la gestion
administrative du ministère. Cette démarche a rencontré une fin de non-recevoir
……………………………..
L’ARAV a connu
quatre présidents depuis Miloud Chorfi, la loi sur
l’audiovisuel existe depuis plus de sept ans : force est de constater qu’il n’y
a eu ni régulation ni application de la loi. Le problème de l’ARAV est celui de
l’absence de volonté politique, on ne peut parler de régulation s’il n’y a pas
consécration des libertés et de la liberté de la presse.
La régulation est
la raison d’être d’un Etat, celle des médias est une affaire de toute la
société, pas uniquement des pouvoirs publics. La régulation est la
matérialisation par les textes et leur application d’une éthique et d’une
politique inhérente à la philosophie de la démocratie, du droit et des
libertés. Le cœur de cette philosophie est la reddition de comptes par les
responsables et le droit de la société à demander des comptes. Peut-on rendre
ou demander des comptes dans un système qui refuse l’émergence d’une société
ouverte ?