HISTOIRE-
OPINIONS ET POINTS DE VUE- ARCHIVES/POINT DE VUE FOUAD SOUFI
Les archives, une
problématique algérienne
Photo : H. Lyès
© HAMID TAHRI/El watan, jeudi
11 MARS 2021
Comme la question mémorielle est à l’ordre du jour, il
nous a paru opportun d’en parler, avec le précieux concours d’un historien,
d’autant que ce sujet brûlant a suscité des réactions inattendues, suite au
rapport Stora.
C’est donc notre ami Fouad Soufi qui va tenter de
démêler l’écheveau, avec toute son expertise, son approche scientifique et sa
rigueur. Les mémoires ? C’est un pari hardi mais par ou
commencer ? Vaste chantier empli de risques. Qui fait le tri ? Ce sont ce les souvenirs, où les trous de mémoire. A moins que
ce soit un rappel d’événements, dont on n’ose pas raconter l’intégralité, car
pour l’heure, tout n’est pas à raconter. Avec cet historien, aguerri, qui va
droit au but, en disant les faits crûment, pas besoin de paraboles, d’esquives
en empruntant des portes dérobées. On va vite au vif du sujet, mais pas en
besogne.
Le rapport de Stora sans l’indifférer, il le place
dans son contexte, loin du bruit qu’il a suscité chez nous. Ce rapport ne
m’étonne pas, car il émane d’un expert français à son président, et au-delà, il
s’adresse à l’opinion publique française. Mais on me dit, il parle de nous. C’est vrai. Il y a eu un débat sur cette
problématique des mémoires. Et c’est comme si c’était à nous qu’il s’adressait.
Tout est faussé, car chacun y est allé de sa version, de l’histoire de
l’Algérie et veut l’imposer aux autres.
Et ça c’est aussi un faux débat. Stora, pour autant
que je sache, est français. Il a écrit plus de livres sur l’histoire de la
guerre de Libération, que ceux, qui , en Algérie, le
critiquent. Il a rappelé certains événements. Il a fait des préconisations, pas
des recommandations à son pays. Pourquoi ? Pour tenter de réconcilier les
mémoires algérienne et française. On sait très bien que c’est un parcours,
parsemé d’embûches, et que les extrémistes algériens et français rejettent
l’idée. Stora a essayé de faire le lien entre ceux qui, en France, ne
confondent pas la France à la France coloniale, et ceux qui en Algérie font de
même.
Guerre des mémoires ?
Comme nous nous inquiétions de l’amalgame qui est fait
ici, concernant le fait mémoriel, gagné par l’émotion, le parti pris et le
subjectivisme, nous voulions savoir où commence et où finit la frontière entre
la mémoire et l’histoire, situation qui a donné lieu à bien des controverses.
Il faut surtout éviter le mémoricide, c’est-à-dire, tirer l’histoire à son
profit et cacher les traces et les documents compromettants. L’important est
qu’il y ait une lecture du passé, plus conforme à la réalité des faits. Mais,
cela ne peut se faire avec la rétention de l’information et surtout la censure.
La réponse de l’historien est sans appel. Entre
l’histoire et la mémoire, il y a un océan. Sauf que chez nous, la mémoire peut
imposer sa loi à l’histoire et aux historiens. L’historien travaille sur des
sources orales, écrites et même sur la pierre. Allusion aux lieux de mémoire,
comme les maquis, les commandements, les endroits symboles… L’historien se pose
des questions et interroge l’histoire. Le mémoraliste rapporte son vécu, qui
n’est qu’un vécu, au milieu de milliers d’autres.
L’histoire, compare. Malheureusement, chez nous, cette
distance, entre l’histoire et la mémoire est mal comprise, surtout pour
l’histoire de la guerre de Libération nationale. L’histoire, c’est l’esprit
critique. A commencer, par exemple, par le mot guerre d’Algérie, qui ne
s’adapte pas à notre histoire qui, à mon sens, épouse le vocable guerre de
Libération nationale. Je vais vous dire une vérité. L’État français a reconnu
qu’il y a une guerre, lorsque ses soldats ont réclamé un statut. Ce fait a
changé la donne.
Amalgames et fuites en avant
Car ils ont commencé par les appeler les «événements d’Algérie». Si c’était le cas, ces soldats
n’auraient fait que leur simple travail de police. Si c’est une guerre, ils
jouissent d’un autre statut, d’anciens combattants, et bénéficient d’avantages
conséquents. D’ailleurs, les soldats, victimes des retombées des explosions
nucléaires se battent encore pour recouvrer leurs droits et obtenir des réparations.
En lui rappelant, son cri de colère, lancé,il
y a cinq ans dans les colonnesd’El Watan, où il fustigeait l’attitude
négative et l’absence de coopération du directeur des Archives nationales,
arc-bouté sur ses positions fermes d’interdire l’accès aux archives, Fouad ne
décolère pas. C’est une contribution qui date de 2016. Quand je l’ai publiée ,il n’y a pas eu, à vrai dire de réaction.
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Ce qui est tragique, c’est que 5 ans après, ces propos
ont été considérés, comme d’actualité. C’est le contexte actuel qui a donné
sens à ce que je disais. Il fut un temps où on pouvait consulter la
documentation et les archives. Personnellement, j’ai pu voir les archives liées
au GPRA et au CNRA. Actuellement,ce
n’est plus le cas. La libération des mémoires des moudjahidine a démontré la
vanité et l’erreur de cette politique de rétention. Parce que les moudjahidine,
quand ils ont écrit, sont allés plus loin que les archives. Heureusement, leur
mémoire a permis de ne pas cacher ce qui se dit dans la rue.
Il y a peut être
plus d’un millier de livres sur ça. Et c’est tant mieux, car l’expression
écrite, du vécu des moudjahidine, nous aide encore mieux à comprendre notre
histoire. Mais toujours avec l’esprit critique. L’engouement des chercheurs
pour le fait historique a connu des développements appréciables dans une
perspective pluridisciplinaire, avec des problématiques associées à la
sociologie, la psychologie, la psychanalyse, l’anthropologie…Aussi, les
traumatismes, on peut également les chercher dans des lieux de mémoires.
Effectivement. Quelqu’un avait écrit. La terre, elle,
ne ment pas. Mais elle ne nous a pas tout dit. Il nous faut faire
l’anthropologie de la guerre de Libération nationale. Repérer systématiquement
et faire des fouilles dans les PC des wilayas, par exemple, de zone. Fouiller
les lieux de combat même dans les villes, et immortaliser ces lieux par des
plaques indicatives. C’est une façon de nourrir les mémoires et lutter contre
l’oubli.
A la question de savoir s’il est aisé, face au pouvoir
politique, de produire un discours scientifique et objectif sur le passé. Fouad
répond par une autre question. Encore faut-il que les politiques tolèrent ce
travail d’historien ? Hormis l’intervention frontale de Houari Boumedienne, en 1975, concernant l’histoire, en suggérant
qu’il faut dire, que Messali a été un héros jusqu’en 1954 et après un traître,
c’est ce que j’appelle le syndrome Yves Courrière, il n’y pas eu
d’avancées. Au contraire, puisque Messaadia
avait décrété que seuls les moudjahidine avaient le droit d’écrire
l’histoire de la lutte de Libération. D’où les différents colloques depuis
1981.
L’université hors jeu
En parallèle, à cette époque, l’Université était
devenue autonome, en produisant des thèses académiques, que jamais le pouvoir
n’a essayé de contrôler. Mais, étant donné les règles de la méthode historique,
personne ne pouvait travailler, sur la guerre de Libération nationale, comme on
le fait aujourd’hui. Ce qui manque, c’est
précisément la publication et la diffusion des thèses. De plus, il n’y a pas,
ou très peu, de revues académiques, ou ne sont pas
diffusées…
Peut on améliorer
l’état des lieux et en sortir sans dégâts ? L’histoire de la guerre de
Libération n’est pas l’histoire de l’Algérie qui est nettement plus vaste. Cest pourquoi on ne peut ramener l’histoire de l’Algérie à
l’histoire de la guerre.
Ce qui se fait, aujourd’hui, c’est qu’il y a des
tendances au sein de notre intelligensia et du
pouvoir politique qui veulent contrôler,de
façon absolue, non seulement l’histoire de l’Algérie tout entière, mais
également l’histoire de la lutte de Libération. Ce qui donne lieu à des débats
conflictuels. Il n’y a pas que l’État, il y a aussi ce qu’on appelle,
abusivement, la société civile. Je préféré le mot associations.
La société produit son discours sur l’histoire, et les
tabous qu’elle crées sont aussi puissants que ceux de l’État. Parce qu’elle
produit contre ce que dit l’État. On aboutit à mettre en valeur un personnage
contre tous les autres. Finalement, on nourrit les haines, les ressentiments,
les rancœurs, bref, tout ce qui peut être négatif. Il y a aussi cette tendance
à la glorification déplacée. J’avais fait cette remarque à Saida, à un
conférencier, haut responsable politique, qui avait mis en exergue le 8 Mai
1945, dans cette ville, la mettant au même niveau que Guelma, Kherrata et Sétif, dans un but opportuniste avec des visées
politiciennes !
On sait que le fait colonial est appréhendé, selon des
problématiques propres à chaque historien. Timidement, les historiens n’ont pas
insisté sur les liens entre l’égalité républicaine chantée par la France, patrie
des Droits de l’Homme, et les pratiques discriminatoires puis carrément
meurtrières et abominables sur le terrain. L’histographie française a
globalement un point commun avec tous les historiens académiques, dont beaucoup
ont abordé positivement ce volet. C’est la méthode historique, celle qu’on dit
positiviste, qui s’appuie uniquement sur les archives, et celle qui a
révolutionné l’écriture de l’histoire et qu’on appelle l’école des annales, qui
met en avant la question historique et celle de l’usage des sources en
s’appuyant sur la méthode critique.
Rien n’est jamais écrit définitivement. Et il faut
ouvrir, l’histoire à toutes les sciences sociales, dont l’anthropologie, la
psycho, l’histoire sociale… Ses initiateurs sont Lucien Febvre et Marc
Bloch. La loi de 2005, consacrant le rôle positif de la colonisation ? C’est un
problème politique dénoncé par les historiens. Mais, à la limite, c’est le
problème des Français. Leurs historiens académiques ont dénoncé cette loi avant
les politiques français de gauche, rappelle Fouad, qui, en revanche, se
félicite de la décision du président français d’ouvrir, depuis peu, les
archives de la guerre d’Algérie.
Cette ouverture a été précédée par la reconnaissance
de la France de ses crimes et assassinats, notamment celui de Ali Boumendjel. Mais pourquoi Boumendjel
? C’est un choix judicieux que celui de Stora. Il aurait pu choisir Benmhidi.
Comme il s’adresse aux Français, il veut leur dire que
leurs officiers sont arrivés jusqu’à assassiner un avocat, un homme de loi, un
défenseur du Droit et de la loi. Avec tout son poids symbolique. Il leur
renvoie leur barbarie aux officiers, en tant que militant, mais ce n’est pas un
officier de l’ALN. Symboliquement, le message adressé est
que votre barbarie a fait que vous avez touché à un homme de paix qui défend la
société. Il faisait son métier d’avocat, même s’il était lié au FLN.
Pourquoi, je dis ça. L’un des symboles de la guerre des Français de droite, c’est la mort de
l’instituteur Monnerot tué, par erreur à Mchouneche. C’était la première victime
française de la guerre. A Oran, à la même époque, il y a eu presque le même
fait, où un français de confession juive, Azoulay Samuel a succombé. Mais sa
disparition n’a pas eu la propagande du gouvernement, général parce qu’il était
simple chauffeur de taxi et que l’autre, enseignant, était venu prodiguer le
savoir aux indigènes, qui l’ont tué… une véritable bombe dans la conscience
collective française.
Parcours
Fouad Soufi est un homme accompli et un historien rigoureux, de valeur,qui traite des sujets
anciens, comme Sheshnak, yennayer et
d’ autres considérés comme tabous. Chercheur, il a exercé au Crasc d’Oran et dirigé les archives de la wilaya d’Oran. Il
a, à son actif, plusieurs publications académiques. Militant social, il donne
régulièrement des conférences et éclaire sur le mouvement national dont il est
une des références.