COMMUNICATION- FORMATION
CONTINUE-JEAN LACOUTURE
© Ahmed Cheniki, fb, mardi 2
février 2021
UN JOURNALISTE AU LONG COURS
Il n’est nullement possible de parler de Jean
Lacouture sans évoquer les conditions de sa formation : études chez les
Jésuites qui vouent un culte absolu à l’autorité du pape, sa première rencontre
avec le journalisme alors qu’il était attaché de presse du général Leclerc à la
fin de la seconde guerre mondiale et ses premiers contacts avec le Vietminh et
Hô Chi Minh. C’est un homme des paradoxes, une sorte de parcours oxymorique
associant deux réalités contraires : le culte de l’autorité et de la discipline
et l’attrait d’un certain dilettantisme. Cet auteur prolifique de 71 livres
dont on sait qu’il touche à tout (sport, actualité, cinéma, théâtre,
politique…) et qu’il aime fréquenter les « grands » dont il décrit le parcours
dans des biographies est un personnage marqué paradoxalement par les jeux de
l’objectivité positiviste et de la subjectivité faisant du bon goût, du beau et
du vraisemblable, mais aussi de cette admiration des « génies » dans la
perspective de Gustave Lanson.
Sa rencontre avec Hô Chi Minh est déterminante dans
ses positions politiques. Ce familier des géants de la décolonisation, ce
biographe talentueux de de Gaulle, Malraux, Hô Chi Minh, Mauriac, Nasser,
Stendhal, Mendès France, des Jésuites et de bien d’autres, adepte d’un
journalisme d’engagement, un « spectateur engagé » pour reprendre la belle
formule de Raymond Aron est fortement marqué par un livre et un auteur, « Le
savant et le politique » de Max Weber, lui empruntant ses catégories « éthique
de la responsabilité » et éthique de la conviction » pour juger les hommes et
les réalités politiques et sociales. C’est un homme engagé dans le processus de
décolonisation, soutenant le Vietnam, l’Algérie à laquelle il a consacré deux
ouvrages : « Algérie, la guerre est finie » et « L’Algérie algérienne : la fin
d’un empire, naissance d’une nation ». Critiqué par de nombreux journalistes
pour ses positions anticolonialistes, notamment durant la guerre de libération
algérienne, Jean Lacouture, ce passionné d’opéra et de tauromachie, journaliste
à Combat, France soir, mais essentiellement Le Monde, avait des positions
anti-américaines et tiers-mondistes qui finit par adopter le genre
biographique. Il était le seul journaliste européen à avoir dénoncé l'agression
tripartite contre l'Egypte en 1956 à la suite de la nationalisation du canal de
Suez.Pour lui, la biographie, c’est avant tout la
célébration d’un homme se muant en héros absolu pouvant, à lui tout seul, influer
sur le cours de l’Histoire. Il est dominé par le personnage qu’il décrit en
usant d’un style empreint d’admiration et d’empathie, convoquant bienséance,
décence, revendiquant et assumant totalement sa subjectivité. La biographie se
transforme chez lui en un singulier jeu de miroirs. Toutes ses biographies, des
hommes politiques, des artistes, de l'univers du sport, du monde des médias,
sont marqués par cette empathie et cette admiration qu'il voue aux "grands": Hô Chi Minh, Sekou Touré,
De Gaulle, Tillon, Mendès France, Mitterand,
Montaigne, Montesquieu, Garbo, Mauriac, Blum, Malraux...
Il a parfois des positions trop conformistes, évoquant
sans cesse la raison d’Etat et vouant un certain mépris pour le journalisme
d’investigation qui se substituerait à la police ou à la justice regardant par
le trou de la serrure. Il considère que les écrits d’Edwy
Plenel par exemple sont peu supportables comme ceux
de Bernstein et de Woodward pour le Watergate. Ces positions sont très
discutables. Il a pris position, au même titre que Robert Barrat et quelques
autres rares journalistes, pour le combat anticolonial des Algériens dans une
presse acquise au bruit des colonisateurs, ce qui lui a valu les attaques de
nombreux confrères.
Note (AD B) : Auteur , entre autres, de
« Cinq hommes et la France » dont une partie est consacrée à Ferhat
Abbas (1er président du Gpra, qu’il avait
interviewé plusieurs fois et qu’il connaissait de près)