HISTOIRE- PERSONNALITES- MICHELE FIRK
©Par Ahmed Halli/El Moudjahid, dimanche 28/2/2021
C'est
l'une de ces anonymes des réseaux français de soutien à notre guerre de
Libération, de celles qui n'ont pas eu les faveurs des médias de l'époque,
parce qu'elles n'ont pas été arrêtées. Michèle Firk
a, en effet, échappé aux rafles qui ont permis l'arrestation, très médiatisée,
de membres du réseau Jeanson, en février 1960, et c'est pour cela qu'elle est
restée une inconnue pour les Algériens. Comme l'ont raconté des membres de ce
réseau, plus connu sous le nom de «Porteurs de
valises» (1), jugés et condamnés, certains d'entre eux ont été cueillis au saut
du lit (2). C'est dire que si Jeannette, son pseudo dans la clandestinité,
n'est jamais tombée dans les rets de la police, c'est qu'elle était sans doute
mieux formée et plus rompue aux règles de l'action clandestine. Et comment
pourrait-il en être autrement, son mentor étant justement le magicien, spécialiste
de la fabrication des faux papiers, dont elle était l'agent de liaison, Adolfo Kaminsky (3).
C'est à ce dernier que Francis Jeanson avait demandé de lui fabriquer
l'inimitable passeport suisse, qui devait servir aussi à tester le faussaire en
vue de le recruter au FLN/ALN. Quant à la vie en clandestinité, Adolfo Kaminsky pouvait se prévaloir d'une certaine expertise,
puisqu'à l'âge de 17 ans il s'était déjà engagé dans la résistance contre
l'Allemagne nazie.
Michèle Firk, née en 1937, adhère au Parti communiste
en 1956 et entre à l'âge de 19 ans à l'IDHEC, la célèbre école de cinéma de
Paris, après avoir fait une année préparatoire au lycée. Portée à la fois par
son engagement politique, et par sa vocation professionnelle, elle milite
contre la guerre d'Algérie et anime des cinés-clubs
où sont projetés des films interdits sur ce sujet. Elle participera ainsi à la
projection de films comme Une Nation, l'Algérie, puis L'Algérie en flammes de
René Vautier, ainsi que Les réfugiés de Cécile Décugis,
tous interdits bien sûr. C'est dans le cadre de ses activités socioculturelles
en ciné-clubs et dans les bidonvilles de Nanterre qu'elle rencontre Jacques Charby, comédien, fils de résistants, et adhère au réseau
Jeanson. Est-ce pour respecter la règle d'or de l'action clandestine, ou bien
a-t-elle été influencée par l'histoire personnelle de Charby,
dont la mère s'est suicidée pour échapper à la Gestapo?
Toujours est-il qu'Adolfo Kaminsky l'a surprise un
jour le canon de son pistolet pointé sur sa tempe et mimant le geste de se
tirer une balle dans la tête, «en cas de nécessité», dit-elle. Adolfo, qui
connait bien son agent de liaison, n'est pas surpris devant cette scène, mais,
prenant le pistolet, lui explique qu'elle doit entrer le canon dans sa bouche
pour ne pas se rater. Une leçon bien apprise.
Cette scène s'est déroulée quelques semaines après l'arrestation de plusieurs
membres du réseau, dont Jacques Charby, en février
1960, ce qui avait alarmé d'autres comme Michèle Firk.
En dépit de ses craintes, la cinéaste n'aura pas à tomber vivante entre les
mains de la police et à dénoncer ses camarades sous la torture, puisqu'elle ne
sera pas inquiétée, jusqu'en 1962.
Comme beaucoup d'amis français qui ont risqué leur liberté, leur sécurité, et
parfois leur vie,elle a
voulu connaître cette Algérie indépendante à laquelle elle avait apporté sa
contribution. Elle restera que quelques mois à Alger, et entamera même une
collaboration à l'hebdomadaire Jeune Afrique, sous le pseudonyme d'Emmanuelle
Sandino, mais il lui restait du travail. Après une aventure cubaine, ponctuée
par la réalisation d'un documentaire, entre 1963 et 1965, Michèle Firk rejoint la guérilla du Guatémala,
en mai 1968. Mais le 7 septembre de la même année, elle se tire une balle
dans la bouche, pour ne pas être arrêtée vivante (4), tout comme le lui avait
montré Kaminsky. La révolutionnaire qui s'était jurée
de lutter contre l'impérialisme où il le fallait, même au prix de sa propre
mort, aura tenu ses engagements jusqu'à la fin.
A. H.
1)
À ce surnom, rendu célèbre par le livre éponyme de Patrick Rothman,
et Hervé Hamon, paru en 1979, Jacques Charby a
préféré "Les porteurs d'espoir" (2004), plus beau, et plus vrai.
2) Lire le livre très dense d'Hélène Cuénat
"La Porte verte" (édité en Algérie), qui raconte son arrestation, et
celles de ses compagnes, évadées de la prison de la Petite Roquette.
3) À lire aussi ce livre : "Adolfo Kaminsky-Une
vie de faussaire", par Sarah Kaminsky, Traduit
vers l'Araber par Ahmed Madi, et édité par Casbah
éditions.
(4) Pour plus de détails, lire l'excellent livre de Boris Terk, dont j'ai emprunté le titre, à un mot près :
"Michèle Firk est restée au Guatémala"
(Éd. Syllepse. 2004)