COMMUNICATION-
FORMATION CONTINUE- JOURNALISTE- REMUNERATION (CAS)
L’impossible salaire .© Par Z…. A…., fb, 27 février 2020
Il est 15h41. Je suis en plein dans la rédaction de
mon papier sur le Hirak estudiantin de ce mardi,
quand un message laconique sur ma messagerie facebook
m’annonce que j’ai rendez-vous le lendemain avec madame N….A,
directrice de la publication de R….: « Bonsoir sayeh
je dois te voir demain en.fin de matinee
. Merci. Mme.A » (sic) Je continue à concocter mon
papier pendant que je visionne photos et vidéos, qui sont autant de repères
pour le fil de mon histoire. Entre deux paragraphes, j’en parle avec N. A. en
lui montrant le message. « Tu es au courant de ça ? » lui dis-je. « Non, pas du
tout ! » me rétorque-t-il, d’un air étonné.
Pour la petite histoire, N. A, directeur de la
rédaction et journaliste talentueux, est un ami de près de 30 ans. C’est par sa
« faute » que je me suis retrouvé à R…. Je n’ai jamais eu de problèmes de «
censure » avec lui, dans la mesure où le plus souvent, si une phrase ou une tournure
posait problème, nous en discutions et arrivions le plus souvent à un « comme
promis », tel qu’envisagé lors de ma venue au journal. Sauf que depuis le début
de l’été, il semble que les « associés » majoritaires aient repris progressivement
la main sur la ligne éditoriale du journal. Ils sont quatre associés : N…A, Y.
L., R. D. et N.A, en position minoritaire. Y et R. ont la mainmise sur tout le
flux des articles, l’une au secrétariat de rédaction, l’autre à la direction
technique, au montage PAO. Autant dire deux instruments majeurs de contrôle et
de censure. J’y reviendrai.
Dans le bureau d’en face, Y, a
qui je pose aussi la question, semble ne pas savoir… Je la sentais venir cette
entrevue d’autant plus que depuis pratiquement plus d’un mois, N. A. me boudait
et m’évitait systématiquement. En un mois, depuis mon interpellation le 17
janvier, à peine si nous avions échangé quelques salamalecs et deux ou trois
propos sur les vertus des plantes médicinales.
De retour dans le bureau de N. j’anticipe mon post
sur facebook et je lui lance : « Donc le jour où la
police me rend mon portable, je me fais virer de R… ». J’en fais part aussi à K…D…et
à L. Z…., seule consœur authentique, avec N…, dans un
journal sur lequel je ne me fais plus d’illusions. Plus d’illusions non plus
sur mon sort. Une entrevue inopinée, à la fin du mois…
Mercredi, je me pointe plus tard que prévu, occupé à
couvrir un sit-in d’étudiants devant la fac centrale. N…est dans son bureau, au
téléphone, avec certainement une correspondante quelque part, à propos du
coronavirus, d’ailleurs il fera la Une de l’édition du lendemain… Dès qu’elle
raccroche, je demande si je peux la voir. Oui. Elle me demande de fermer la
porte. C’est ce que je fis tout en lui lançant : « je présume que cette
invitation à discuter aux allures de convocation, n’est sûrement pas pour me
signifier une augmentation, d’autant plus que depuis quelques temps vous
semblez bien me bouder, ? »
- « Non, non, dit-elle, c’est plutôt la situation dans
laquelle je suis que je boude… »
- « Quoi qu’il en soit, ne tournons pas autour du pot
et allons droit au but ! De quoi s’agit-il ? »
- « Il s’agit de… que… en raison des charges et de
l’absence de pub, je ne pourrais plus te payer… »
- « Je crois qu’il faut trouver mieux que ça comme
argument, vous et moi savons que ce n’est pas là, la vraie raison ! »
Et… savez-vous ce que N.A.. ne peut plus me payer comme salaire ?
30 000 DA !
Un journal incapable de payer ce montant
là est en faillite aggravée…Mais d’abord, laissez-moi vous raconter
l’histoire de ces 30 000 DA. Ce salaire de misère.
Quand j’ai négocié ma collaboration avec R…, N…
m’avait demandé qu’elles étaient mes prétentions salariales ? J’avais répondu
70 000 DA. Elle m’en a proposé 50 000 DA. Puis nous nous sommes entendus sur un
juste milieu, 60 000 DA. Avec dix articles en moyenne par mois. J’en faisais le
double, sans exiger plus. Je devais pour cela, signer un contrat qu’elle ne me
présentera jamais. Sur le plan financier, tout allait pour le mieux jusqu’à fin
septembre 2019. Exactement le samedi 28 septembre où elle m’appela pour me
demander de venir la voir et que c’était important. Elle me fit comprendre que
l’Anep venait de l’amputer d’une page entière de
publicité et que la raison en était mes articles sur le Hirak
« qui, d’ailleurs, dit-elle, ne mérite pas autant de signes, il faut réduire la
couverture et s’en tenir à l’information essentielle… »
Le mois d’après, elle annonce une réduction des
salaires et même un plan de compression du personnel où elle s’attaque en
premier à deux journalistes, deux jeunes filles qui font leurs premiers pas
dans la presse depuis un peu plus d’un an seulement. Elle leur signifie leur
licenciement les forçant presque à partir. Une procédure contraire à la
règlementation. Heureusement pour elles, une virée à l’inspection du travail
leur fit ouvrir les yeux et qu’en aucun cas, cela ne peut se passer de la sorte.
Acculée, N.. A… se ravise, allant jusqu’à jurer ses
grands dieux qu’elle n’a jamais voulu les licencier. Elle continuera néanmoins
à les payer 20 000 DA/mois. Et elle réussira, par un tour de pleurnicheries, à
faire baisser les salaires de tout le monde dès le mois d’octobre. Des
ponctions de 10 000 à 15 000 DA, sauf pour ma part où j’ai perdu 50% de mon
salaire. « Vous savez, 30 000 DA, c’est une insulte à mon intelligence ! » lui
dis-je. Je pouvais comprendre que le journal traversait une mauvaise passe et
qu’il nous fallait faire des sacrifices… J’y ai longuement réfléchi. J’ai pensé
donner ma démission, puis j’ai eu devant les yeux les irréductibles du vendredi
matin, les étudiants du mardi, Anais, Imili, Abdeldjebbar… Khalti Baya, Rabah Ouakli et bien
d’autres encore. Je ne pouvais pas les abandonner comme ça du jour au
lendemain. Je me devais de continuer à raconter leur histoire. A immortaliser
tous ces instants de vie et de combat. Et je croyais encore qu’il était
possible de le faire dans R…..
Aujourd’hui, je quitte R….avec
30 000 DA. « Prestation de service » est-il écrit sur le document justifiant ce
paiement avec pour objet « Piges ». En principe et selon les termes du contrat
moral, R…. m’est encore redevable de 150 000 DA. Mais
pour moi, cela n’a jamais été une question d’argent. Et cela N… A… ne peut pas
le piger…
Z.A
(A suivre)
Note : Les personnes et le journal cités dans l’article sont présentés
par des initiales…..cet article ayant été présenté ici comme exemple des
conditions actuelles de travail et de collaboration très difficiles, à la limite de l’exploitation,
des journalistes -surtout les jeunes ,
nouveaux arrivés sur le « marché », dans des titres privés (chaînes
de télévision privées y compris) .A signaler que ce sont là des pratiques
apparues dès la naissance de la presse privée, tout particulièrement les titres
« commerciaux -affairistes »