ENERGIE- HYDROCARBURES- NATIONALISATIONS 24 FEVRIER
1971
© Abdelatif Rebah/Le Soir d’Algérie,
samedi 27 février 2021 (Extraits)
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3. «Le cœur et
le sang» de l’économie de l’Algérie indépendante
En juillet 1965, les accords pétroliers algéro-français
de juillet 1965 avaient porté le taux de participation de l’Algérie, alors
jeune Etat indépendant, de 40% à 50%, devenant actionnaire à 50% en même temps
que tutelle et puissance fiscale. C’est une série de premières mondiales,
l’Algérie est le premier pays du tiers-monde qui acquiert un tel statut dans
l’industrie pétrolière : opérateur, transporteur et vendeur ; de plus, elle
devient détentrice du monopole de l’exploitation de ses richesses gazières.
Avec les nationalisations du 24 février 1971, l’Algérie exerce le contrôle
intégral sur l’ensemble des activités hydrocarbures, de l’amont à l’aval. Elle
devient détenteur de réserves, explorateur, producteur, transporteur, vendeur.
Les hydrocarbures sont le cœur battant d’une vaste entreprise de construction
nationale où se conjuguent, de manière centralisée et concentrée, state
building, entrepreneurship national et édification de
la base matérielle de l’économie.
En vingt ans, de 1967 à 1986, avec des recettes cumulées représentant moins du
tiers de celles engrangées, par la 3issaba, ces trois dernières décennies,
l’Algérie de la stratégie de développement national et du progrès social a
relevé le défi de jeter les bases d’une industrie nationale ex nihilo. Près de
1 800 unités industrielles ont été mises en service et 200 projets industriels
dans les domaines du raffinage, de la liquéfaction du gaz, de la pétrochimie,
des engrais, des plastiques, des pneumatiques ont été mis en œuvre ; des grands
hôpitaux et des universités ont été édifiés.
En vingt ans, de 1967 à 1986, plus de deux millions de postes de travail
nouveaux ont été créés. L’Algérie a produit des tracteurs, des wagons, des
engrais, des grues, des moissonneuses-batteuses, des produits pharmaceutiques,
des téléviseurs, des camions, des bus. Des bourgs agricoles se sont
transformés, en l’espace de quelques années, en authentiques villes
industrielles comme Sidi-Bel-Abbès, devenue la capitale de l’électronique,
Annaba devenue la capitale de l’acier, Arzew celle de la pétrochimie, ou encore
Skikda, Sétif et Biskra. Chaque commune est dotée d’au moins 3 écoles, un CEM,
un centre de santé, un Souk-el-Fellah, chaque wilaya d’un centre universitaire…
L’emprise économique des ressources hydrocarbures, alors, va aller s’accentuant
jusqu’à progressivement imprimer des traits déterminants à l’ensemble de
l’évolution politique, économique et sociale de l’Algérie.
Plus de cinquante ans après l’indépendance, l’hégémonie des revenus du pétrole
et du gaz est pratiquement totale. Le secteur pétrolier et gazier représente
41% du PIB, 97% des recettes devises, 77% des rentrées fiscales. Les recettes
d’exportations d’hydrocarbures générées durant ce demi-siècle ont rapporté à
l’Etat algérien un montant cumulé d’environ 1 000 milliards de dollars, tandis
que celles de la fiscalité pétrolière ont atteint un montant cumulé de plus de
600 milliards de dollars.
Premier employeur avec un effectif de 150 000 personnes, premier investisseur,
le secteur hydrocarbures est celui qui suscite le plus d’intérêt de la part des
capitaux étrangers, représentant la destination quasi exclusive des IDE rentrés
en Algérie au cours des deux décennies 1990 et 2000. La chaîne énergétique
allant de la recherche à la distribution des hydrocarbures absorbe à présent un
montant d’investissement de 12 milliards de dollars annuellement en moyenne. Le
secteur hydrocarbures assure la couverture des importations destinées à la
satisfaction de 70 à 75% des besoins des ménages et des entreprises et le
climat politique et social est fonction directe du baromètre pétrolier. L’or
noir constitue l’assise matérielle du pouvoir de l’Etat, celui qui lui confère
la souveraineté et l’autonomie de décision. Sans son monopole de la propriété
du sol et du sous-sol, l’Etat serait réduit à sa seule fonction de puissance
publique.
Pour mettre en relief le caractère «vital et stratégique» que revêt désormais cette
richesse naturelle, le recours à la métaphore est devenu un passage obligé :
les hydrocarbures sont «le cœur et le sang de l’économie», ils constituent «la
colonne vertébrale de l’économie algérienne, la denrée sur laquelle est assise
sa souveraineté», si bien que, contrôler le secteur hydrocarbures, c’est
contrôler «la circulation de son propre sang dans son cœur, ses propres
facultés de respiration». Autant d’attributs essentiels qui sculptent la figure
caractéristique du modèle énergétique algérien et forment le noyau invariant du
discours officiel sur le statut de cette ressource du sous-sol depuis les «décisions historiques» du 24 février 1971. Ainsi, assurer
la pérennité du rôle des ressources hydrocarbures à la fois en tant que source
quasi unique de financement de l’économie et source d'approvisionnement
énergétique national à long terme, s’est imposé, depuis les nationalisations
pétrolières, comme la trame essentielle de la politique énergétique de
l’Algérie.
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5. 15 juin 1956, le puits de Messaoud Rouabah rentre dans la postérité : les barils bleu, blanc,
rouge.
Le 15 juin 1956, un puits creusé, un jour de printemps 1919, par le jeunes guide caravanier Messaoud Rouabah
de la tribu des Chaâmbas, pour permettre aux
chameliers de se désaltérer, va être brusquement projeté dans la postérité et
portera, dorénavant, une majuscule et le prénom de celui qui le fora : Hassi
Messaoud. Le communiqué de la SN Repal qui tombe sur
les téléscripteurs est un bulletin de victoire : «La
sonde du puits MD1 foré sur le permis d’Oued Niya au
lieudit Hassi Messaoud à 75 kilomètres de Ouargla a rencontré le toit de grès
imprégné d’huile à 3338 mètres de profondeur et trouvé la couche sur 140
mètres.» C’est l’enthousiasme à la SN Repal : Hassi
Messaoud est un gisement exceptionnel dont l’épaisseur de la couche varie entre
60 et 140 mètres, des réserves égales à une production annuelle de 12 millions
de tonnes pendant 60 ans. A peine cinq mois après, le 8 novembre 1956, à 10
kilomètres du point d’eau de Hassi R’mel, le premier
puits foré HR1 atteignait le premier réservoir de gaz à 2132 mètres de
profondeur. L’Algérie se place comme 3e réserve mondiale de gaz. Des richesses
qui promettent. L’ère pétrolière de l’Algérie commence. Dès 1962, la part de
l’or noir dans le PIB passe à 48% contre 14% en 1959, tandis que le brut
constitue déjà 59% des exportations globales. Mais les barils sont encore
bleu-blanc-rouge.
L’Algérie accédait, en effet, à l’indépendance, lestée, en vertu des Accords
Evian, d’un compromis qui conférait à l’activité pétrolière une sorte de régime
d’extraterritorialité. Comme on disait, alors, l’Algérie regardait passer le
pétrole. Certes, affublée d’un statut de percepteur de royalties versées par
les compagnies françaises, conformément aux-dits
accords. Il était admis, cependant, y compris par la partie française, à la
recherche d’une «décolonisation contractuelle»
exemplaire, que ce volet problématique et décrié des accords était appelé tôt
ou tard à être remis en question.